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Rêves de santé – RI DE RIDDER – « Un système qui n’est pas efficient »


Santé conjuguée n°98 - mars 2022

Il a créé l’une des premières maisons médicales en Flandre, où il y a travaillé durant plus de vingt ans. Il a ensuite dirigé l’Inami, l’Institut national d’assurance maladie invalidité. Aujourd’hui, il conseille le ministre fédéral de la Santé publique. Il connait très bien le système belge de santé et ne manque pas d’idées pour le dépoussiérer.

Je suis venu à Gand pour étudier et j’y suis resté. On a fondé dans ce quartier une maison médicale. En néerlandais, ça s’appelle wijkgezondheidscentrum — centre de santé de quartier. J’y ai travaillé pendant vingt-quatre ans comme médecin généraliste. En fait, la toute première maison médicale, c’était à Alken, dans le Limbourg. Ils avaient quelques mois d’avance sur nous !

On n’avait pas du tout envie d’entrer dans un modèle de médecin patron, autoritaire, hiérarchique. On voyait aussi à cette époque des problèmes de qualité de santé, le manque de dialogue avec le patient, l’exploitation… Il y avait l’idée de Alma Ata. On était inspirés par les centres de santé au Québec, par les wereldscholen, les écoles mondiales, les idées d’Ivan Illich autour de la médecine, de Paulo Freire sur l’éducation permanente, l’autodétermination, le socialisme de base. Ici, on a commencé avec des actions sociales autour des conditions d’emploi, de logement. La migration a explosé, la nouvelle cohorte de travailleurs venait remplacer les Espagnols et les Portugais dans les usines de textile à Gand. C’était une époque aussi de changements sociétaux importants avec cette émanation de l’extrême droite politique.

Une partie des socialistes était portée par ces idées d’une autre vision de la santé. On a créé des liens, ça s’est construit d’abord avec la FGTB et avec la CSC, on a participé à des formations… ça a pris du temps, mais c’est essentiellement autour de l’action sur le forfait que l’on a vraiment eu des liens politiques et du soutien politique. Cette lutte pour le forfait était une lutte aussi pour une autre relation ou une autre position de la médecine au sein de la société.

GERM (Groupe d’étude pour une réforme de la médecine)

Au lendemain de la grève des médecins de 1964, un groupe de médecins, dont beaucoup travaillent dans de grands hôpitaux, s’insurgent contre le caractère corporatiste du mouvement dans lequel les chambres syndicales les ont entraînés malgré eux. De tendances philosophiques et politiques diverses – mais avec une nette tendance à gauche – ils constituent une plateforme de réflexion qui deviendra le GERM.

Parmi les personnalités marquantes du mouvement, citons Lise Thiry, Pierre Mercenier, Henri Cleempoel, Félix Moerman, Willy Peers, Paul Galand, etc. Ils dénoncent l’incohérence de la politique de santé en Belgique, la dévalorisation du rôle du médecin généraliste, la formation foncièrement hospitalo-centriste des soignants, l’absence d’un système d’échelonnement des soins, la pauvreté de la médecine préventive, etc. À travers les Cahiers du GERM et de publications ponctuelles, ils élaborent un tableau d’ensemble des réformes à entreprendre, synthétisé en 1971 dans un recueil intitulé Pour une politique de santé. Les lignes de force de ce programme restent aujourd’hui celles de la Fédération.

Dans les années 1980, les relations entre la Fédération des maisons médicales et le GERM ont été très importantes. Le GERM a contribué à la maturation du modèle du centre de santé.

Expert en politique de santé, Ri De Ridder est très critique par rapport au système belge. Je le trouve un peu dépassé. Il tourne sur d’anciens concepts comme le colloque singulier entre le médecin et le patient. Ça date d’une période où on avait de courts épisodes de maladie : on intervient, on guérit et voilà. Ça a beaucoup changé. Dans la situation actuelle, 80 % du travail tourne autour de la maladie chronique ou de la dépendance. C’est très vétuste avec ce médecin qui reçoit ses honoraires — qui doit être honoré parce qu’il met à disposition sa connaissance pour ce pauvre patient ! Le médecin qui sait tout, le médecin au centre du système, le spécialiste au top du système… Un système qui a été corroboré en1964 après la grande grève des médecins et les accords de la Saint-Jean, un système qui cultive toujours la liberté thérapeutique et qui est très conservateur. Une grande partie de la population est OK avec ce système : si occasionnellement on est malade, on ne peut pas dire que c’est vraiment cher… Ce n’est qu’au moment où on a de graves problèmes que les frais commencent à monter et là on voit effectivement que la partie à charge des patients est très grande et commence à exclure de gens de l’accès aux soins. On n’a pas vraiment un système dual, mais d’un autre côté beaucoup d’inconvénients, beaucoup de liberté pour les médecins, les suppléments. Surtout, c’est un système qui n’est pas efficient : on dépense beaucoup pour des choses qui n’ont aucune utilité, aucune valeur ajoutée pour la prise en charge.

Dans un livre sorti en 2020 [1], il décrit un concept américain dont il s’inspire : le triple aim (le triple objectif). Une meilleure santé, une meilleure expérience au niveau de la qualité des soins et sans devoir dépenser plus d’argent. Quelque chose s’est ajouté au fil du temps : l’importance de la qualité de vie de ceux qui travaillent dans la santé, et c’est devenu le quadruple aim.

Il plaide pour une approche locale intégrée et plus proche des gens. Avoir une intégration entre l’action sociale et les soins de premier échelon, en équipe, en maison médicale si possible – mais en réseau aussi – et avec de bons liens avec la médecine spécialisée. C’est un peu au-delà d’une approche échelonnée. Je le vois nettement plus orienté sur des populations circonscrites : un quartier ; et puis à un deuxième niveau : la région, le locorégional dans lequel on développe la politique locale de santé et du bien-être de façon très intégrée et avec beaucoup de responsabilités. Je trouve mobilisant de dire que notre objectif est d’améliorer la santé de la population. On veut que ce soit une meilleure expérience et une meilleure expérience du patient ça veut dire aussi la participation des patients, être acteur de sa santé, de ses soins, comme on le fait au forfait. On reçoit un budget, on fait des priorités, on travaille avec la population dans un quartier, on s’implique dans la santé communautaire. On déplace des dépenses pour des radios inutiles vers d’autres interventions, par exemple l’appui d’un psychologue, éducateur, formateur, etc.

Échelonnement des soins

Traditionnellement, on considère que les systèmes de santé sont construits sur trois lignes (ou échelons). La première est constituée des médecins généralistes et autres travailleurs de l’ambulatoire (infirmiers, kinésithérapeutes), en théorie le premier contact entre le patient et le système de santé. La deuxième ligne est constituée par les médecins spécialistes et les hôpitaux. La troisième ligne est constituée de services de diagnostic et de traitement très spécialisés généralement implantés dans des hôpitaux. Dans un système efficient, les trajets de soins commencent par un recours à la première ligne puis un renvoi éventuel aux deuxième et troisième échelons. Le combat qu’ont mené le GERM et la Fédération pour un échelonnement réel du système des soins de santé en Belgique dure depuis les années 1960. À cette époque, les défenseurs d’une médecine de première ligne consistante soulignent que la pyramide belge des soins est sur sa tête, avec une hypertrophie des deuxième et troisième échelons et des soins primaires émiettés et sans cohésion. En réalité, avant les années 1980, le système de santé n’a jamais été pensé dans sa globalité et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le qualifia un jour de no-system system.

Ce problème se pose encore pour une large part au XXIe siècle si l’on en croit les études menées par le KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé), qui dénonce par exemple une offre excédentaire dans le domaine des soins somatiques sur la deuxième ligne ou une offre insuffisante de soins de santé mentale sur la première ligne. En 2010, le taux d’hospitalisation en Belgique restait supérieur de 15 % à la moyenne européenne. L’étude récente de Ri De Ridder, qui a dirigé pendant douze ans le service soins de santé de l’Inami, confirme ce problème d’échelonnement. Et ceci, en dépit du fait que nombre de ministres (Jean-Luc Dehaene, Philippe Moureaux, Frank Vandenbroucke, Rudy Demotte…) ont mis à leur agenda un échelonnement plus marqué des soins notamment dans le but de réduire le déficit de l’Inami.

Notes

[1R. De Ridder, Au chevet des soins de santé, Comment les améliorer sensiblement ?, Mardaga, 2020.

Cet article est paru dans la revue:

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