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Introduction n°98


Santé conjuguée n°98 - mars 2022

Des rencontres, des échanges, des histoires… en quarante ans nous en avons accumulé ! Quatre décennies de lutte pour une vision de l’organisation des soins de santé dans notre pays, peut-être même pour une vision de l’organisation du monde en filigrane.

Peu d’entre nous s’en souviennent : le mouvement des maisons médicales est né sur un conflit. Une histoire de grève, de piquet, de rencontre avec les syndicats et de participation des patients. Si l’idée des maisons médicales nait sur les cendres d’une bataille, la Fédération des maisons médicales nait quant à elle de la volonté de se rassembler, de se rencontrer entre soignants qui partagent une vision, un idéal de soins de santé que l’on retrouve dans la Déclaration d’Alma-Ata [1], soulignant en 1978 la nécessité d’une action urgente de tous les gouvernements, de tous les personnels des secteurs de la santé et du développement ainsi que de la communauté internationale pour protéger et promouvoir la santé de tous les peuples du monde.

Des fondamentaux

Très vite, dès le début des années 1980, Monique Van Dormael, du Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM) pointait deux importants obstacles au développement des maisons médicales en Belgique. Le premier était la formation des professionnels, notamment des médecins, qui n’était pas du tout orientée vers une prise en charge globale et pluridisciplinaire de la santé. Le deuxième était le financement à l’acte. Aujourd’hui encore, ce sont de solides piliers du mouvement des maisons médicales.

Depuis sa création, la Fédération a toujours eu à mener, au moins, deux combats de front. D’une part, permettre les échanges entre soignants pour les aider à améliorer leurs pratiques et promouvoir la conceptualisation de ces pratiques. D’autre part, dimension plus politique, faire reconnaitre le modèle « maison médicale » et en faire la promotion dans le paysage des soins de santé. Pour répondre au premier axe, la Fédération a mis en place des formations en interne. Par exemple des formations à l’éducation à la santé, absente des cursus et pourtant connue depuis les années 1980 et la Charte d’Ottawa [2] qui vise la réalisation de l’objectif de la Santé pour tous d’ici à l’an 2000 et au-delà, par la création d’un dossier médical informatisé compatible avec la pluridisciplinarité… Pour répondre au deuxième axe, la reconnaissance et la promotion du modèle, elle a trouvé un mode de financement original et adapté : le forfait.

Petit à petit…

Les années 1980 et les crises économiques successives n’ont pas aidé au développement des maisons médicales. Pourtant, la Fédération a organisé un travail de fond, toujours avec les partenaires progressistes, pour faire reconnaitre les spécificités d’une maison médicale et tenter de les traduire dans une réalité institutionnelle et législative. Un travail rendu difficile par la fédéralisation de l’État et l’éparpillement des compétences en santé… Ces difficultés se traduisent toujours aujourd’hui dans l’absence de reconnaissance globale de l’activité d’une maison médicale et de ses spécificités. En effet, il faudra attendre le milieu des années 1990 pour que les associations de santé intégrées (ASI, la dénomination des maisons médicales en Région wallonne) soient partiellement reconnues et encore dix années pour qu’elles soient financées pour leurs activités de santé communautaire alors que la participation des patients et cette approche communautaire de la santé font partie intégrante de l’identité de la Fédération. Ce n’est que dans les années 2000 que cette dimension sera réellement reconnue, structurée et que des fonctions répondant à cet objectif seront créées. La pluridisciplinarité évoluant, elle s’est ouverte à une nouvelle dimension de la santé : les patients partenaires. Toutefois, le financement des professions de soins « de base » – médecin, kinésithérapeute, infirmier (MKI) – qu’il soit au forfait ou à l’acte reste délié des activités collectives et psychosociales de la maison médicale.

Un modèle qui essaime

Depuis quarante ans, l’une des réussites de la Fédération est sans doute liée à sa capacité, avec d’autres, de faire bouger les lignes et de peser sur les changements de paradigme dans l’organisation des soins de santé de première ligne. Cette réussite est avant tout celle des soignants de maisons médicales. En effet, l’organisation même de ses structures (autogestionnaires) et le fait que les représentations politiques soient portées par des soignants de première ligne permettent de faire connaitre et reconnaitre leur réalité ainsi que celle des patients. Le modèle des maisons médicales séduit les uns et les autres. Loin de la vision étroite des années 1980 de centres de santé pour les pauvres, le modèle des maisons médicales intégrées dans leur quartier et dans les réseaux primaires des patients répond plutôt à une demande de proximité, d’écoute et à une approche globale de la santé. C’est également un modèle qui répond aux besoins des soignants qui veulent de moins en moins travailler seuls et recherchent un meilleur équilibre professionnel.

Accompagner

Parallèlement à cette évolution, la Fédération grandit et construit un service de soutien au développement de nouvelles maisons médicales. Elle compte aujourd’hui 125 membres en Wallonie et à Bruxelles. En fonction de leurs soignants, de leurs patients, de leurs partenaires locaux, ces maisons médicales ont développé leur propre histoire. Cette diversité, vécue parfois comme une difficulté, reste une richesse du mouvement. Une richesse qu’il faut pouvoir accompagner : développement et soutien à la création, soutien à la pratique, formations, représentation politique, éducation permanente, promotion de la santé… Aujourd’hui, l’objectif est non seulement de promouvoir le modèle des maisons médicales, mais aussi d’accompagner des équipes qui, sans relâche, remettent régulièrement leur travail en question. C’est cette recherche constante d’amélioration de la qualité des soins dispensés aux patients, de l’organisation du travail, des équilibres professionnels, de l’organisation des soins de santé et même de la société belge et au-delà qui constitue le ciment de l’identité des maisons médicales. Il est impossible d’établir ici la liste de toutes les personnes – soignants, patients, sympathisants – qui ont marqué le mouvement de leur empreinte, elles sont trop nombreuses et toutes n’ont pas été sous la lumière des projecteurs. Toutes cependant ont œuvré à cette vision des soins de santé globaux, intégrés, continus et accessibles. Une vision de l’organisation des soins de santé primaires, et peut-être aussi de l’organisation du monde : un monde plus juste, plus solidaire et moins marqué par les inégalités.

Notes

[1Organisation mondiale de la santé, Conférence internationale sur les soins de santé primaires, Alma-Ata, 12 septembre 1978, www.euro.who.int.

[2Organisation mondiale de la santé, Première Conférence internationale pour la promotion de la santé, Ottawa, 21 novembre 1986, www.euro.who.int.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°98 - mars 2022

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