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Rêves de santé – JEAN-MARIE LÉONARD – « Penser la santé autrement »


Santé conjuguée n°98 - mars 2022

Comme permanent syndical dans la région de Charleroi puis comme secrétaire fédéral au SETCa – le syndicat des employés des techniciens et des cadres –, il a vécu l’évolution du secteur de la santé et la naissance des maisons médicales.

À l’époque, syndicalement, le secteur de la santé c’était les hôpitaux point à la ligne. Quand j’arrive comme permanent à Charleroi avec quelques collègues et une série de travailleurs dont quelques médecins de la région, mais aussi de Liège et de Bruxelles, il y a une réflexion qui nait à partir de la Déclaration d’Alma Ata et de la définition de la santé dans son aspect bien-être global. La santé ce n’est pas seulement des soins et ce n’est pas seulement des soins spécialisés que l’on donne à l’hôpital. On s’est dit « il faut penser la santé autrement », il faut structurer une série de niveaux d’approche de la santé et développer ce qui ne l’était pratiquement pas : les soins primaires.

Non-marchand

Dès la fin des années 1980, devant l’incroyable vigueur du courant néolibéral, la Fédération a conscience que la dynamique associative constitue peut-être le dernier rempart à une dérégulation totale du marché et à l’exclusion sociale accélérée qui en découle. Elle va contribuer à l’organisation du secteur non marchand dans les années 1990. Elle participe par exemple à la création de la FASS (Fédération des associations sociales et de santé) en 1994. Le mouvement aboutit en 2000 aux premiers accords sur le non-marchand qui prévoient la conclusion de conventions collectives de travail et la barémisation des travailleurs du non-marchand. Dans un premier temps, les maisons médicales en sont exclues car elles ne bénéficient d’aucun emploi subventionné directement par les pouvoirs publics. Cependant, grâce à l’appui des syndicats, les maisons médicales sont intégrées à l’accord au niveau fédéral en 2002 et au niveau régional wallon en 2006. Pour les travailleurs en maisons médicales, les accords conclus représentent une hausse salariale d’environ 20 %. La barémisation a eu cependant un effet pervers sur le principe d’égalité salariale cher aux maisons médicales.

Des permanents du SETCa stimulés par des professionnels de la santé organisent leurs idées dans un document intitulé Le Livre blanc de la santé. Ça date de 1979-1980 et les pages centrales développent la nécessaire mise en place des soins primaires. Essayer de créer des équipes sanitaires, des centres de santé intégrés ou des maisons médicales… Les éléments fondateurs de ce que sera la charte des maisons médicales. Sans aucune fierté exagérée, je pense que le SETCa a été à ce niveau-là un soutien des professionnels qui voulaient penser, voir et agir dans le secteur de la santé autrement qu’à partir de l’hôpital. Nous étions en train de réfléchir et de construire ce livre blanc et voilà qu’une grève des syndicats, l’ABSyM particulièrement, se déclenche avec la volonté selon eux de sauver leurs intérêts particuliers. Or les médecins généralistes qui étaient en train de fonder les maisons médicales ici dans la région de Charleroi ne partageaient pas du tout ces revendications-là, et donc se sont mis au service de la population de manière à assurer une continuité des soins. Tout seuls ils ne pouvaient pas y arriver, c’était dur au niveau psychologique et au niveau idéologique, c’était dur aussi au niveau logistique. Nous avons créé à Charleroi une espèce de permanence téléphonique à laquelle les patients pouvaient faire appel de manière à ce que nous puissions leur envoyer des médecins très rapidement, 24 heures sur 24. Nous souhaitions comme syndicat appuyer des revendications qui nous semblaient légitimes et une autre façon de penser la politique de santé de manière à ce que ce soit un service au public et pas une commercialisation et le profit d’une médecine libérale que nous contestions évidemment.

Dix ans plus tard, lors des négociations des accords du non-marchand, les syndicats soutiendront la Fédération des maisons médicales. On a vu se créer et se mettre en place des structures de planning familial, on a vu se mettre en place la santé mentale, on a vu se développer l’aide à la jeunesse à travers des éducateurs de rue, on a vu les maisons de la culture se développer dans des centres culturels proches des quartiers, etc. Il y a eu une dynamique extrêmement importante, mais en même temps des travailleurs qui étaient assez éparpillés, très militants, parce que très convaincus des actions qu’ils menaient, mais aussi avec peu de sécurité statutaire, au niveau emploi, au niveau contrat, etc. Les gens s’en contentaient dans une certaine mesure, mais il fallait structurer les choses. C’est ainsi que se sont créées des commissions paritaires spécifiques par rapport aux différents secteurs. On a commencé à discuter sur des barèmes, la durée du travail, les conditions de travail. C’est ainsi qu’on a vu une commission paritaire qui s’occupait essentiellement des hôpitaux commencer à s’intéresser aussi à ce qui se passait dans le secteur de la santé mentale, du planning familial, de l’accueil de l’enfance, mais aussi des maisons médicales. Cette dynamique qui s’est structurée a donné lieu à des négociations. Nous avons fait des accords entre organisations syndicales, employeurs et gouvernements au niveau fédéral en 2000, mais tout cela n’est pas tombé du ciel. Il avait fallu une décennie de manifestations, de revendications. Ça a été un combat assez difficile pour faire reconnaitre que les travailleurs des secteurs dits non marchands sont des travailleurs dont les boulots et les politiques qu’ils mènent dans la société sont extrêmement importants.

À partir de là, une délégation syndicale originale appelée « délégation intercentres » permet aux travailleurs des maisons médicales d’être défendus en cas de besoin. Quel en est l’intérêt dans des structures autogérées ? Il est intéressant d’avoir un regard autre, qui puisse à certains moments avoir la capacité et la liberté de poser des questions et de voir si effectivement l’autogestion est bien organisée et fonctionne bien. Est-ce que chacun a la possibilité de faire son métier correctement ? Est-ce que chacun a la capacité de s’exprimer à partir des compétences qu’il a par rapport à la politique menée dans la maison médicale ? Il faut qu’il y ait une possibilité d’une autocritique. La délégation syndicale peut aussi être porteuse des préoccupations des travailleurs par rapport aux différents ministres de tutelle, etc. Tout le monde n’est pas beau et tout le monde n’est pas gentil parce qu’on travaille dans une maison médicale. Un certain nombre de situations conflictuelles sont nées, souvent sur des problèmes non pas financiers, mais de relations entre les personnes.

Autogestion

Le principe de l’autogestion est un héritage de Mai 68, qui a prôné une idéologie égalitariste. Jacques Morel : « on voulait un mode de société, de microsociétés, où chacun partagerait de façon égale le gâteau de la production ». Dans les années 1970, de nombreuses associations et entreprises ont fonctionné suivant ce principe, qui se présente comme « une troisième voie entre un centralisme à la soviétique ou à la chinoise et des options libertaires qui font la part belle au tout à l’individu (Michel Roland, 2017).

En 1983, la Fédération participe aux États généraux des alternatives wallonnes, un mouvement où on retrouve pêle-mêle des coopératives agroalimentaires, des associations d’habitat groupé, des médias autogérés, etc. Le principe de l’autogestion sera repris dans les versions successives de la charte et dans les notes d’orientation de la Fédération. Il y est décrit comme un mode d’organisation « dans lequel chaque travailleur intervient dans la prise de décision et dispose d’une voix. Cela implique une participation de tous dans la gestion, une non-hiérarchisation, mais également le partage des responsabilités et favorise la solidarité parmi les travailleurs ».

Beaucoup d’entreprises autogérées ont disparu dans le contexte socio-économique néolibéral des années 1980 et 1990, mais les maisons médicales ont tenu bon. Avec d’autres entreprises et organisations du secteur de l’économie sociale qui combinent des modes de gestion de type associatif avec des finalités non centrées sur le profit, elles ont contribué à donner une voix au secteur non marchand.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°98 - mars 2022

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Le bureau stratégique – pour résumer avec un mot que peu de gens aiment –, on dirait qu’on est des lobbyistes au service d’une bonne cause. Évidemment, les lobbyistes pensent toujours que leur cause est la(…)

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Rêves de santé – AUDE GARELLY – « Rester puriste ou s’ouvrir »

La Fédération travaillait depuis plusieurs années sur la mise à jour des critères de membre pour coller à la réalité du mouvement et des enjeux de santé publique aujourd’hui. Je suis allée voir des partenaires ou(…)

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Je ne suis pas tout de suite tombée dans le mouvement des maisons médicales. Je suis d’abord passée par la mutualité. Même si j’ai à cœur de toujours garder un lien avec le terrain, de toujours(…)

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Rendez-vous en 2062 !

F.D. : Quand je suis arrivée à la Fédération des maisons médicales, l’une des premières choses que l’organe d’administration m’a dites, c’est que j’avais tendance à survaloriser ce mouvement et que j’en comprendrais vite la complexité. Effectivement !(…)

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Accélération

Ce mal touche de nombreux soignants et tant de nos patients. Nous courons, nous courons et nous avons de moins en moins de temps. Hartmut Rosa, philosophe et sociologue allemand, a consacré un essai à cette(…)

- Dr André Crismer