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Les médicaments sont indispensables pour traiter un grand nombre de pathologies, mais la hausse de leur consommation n’est pas sans conséquences sur l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes.

Lors de leur conception, de leur consommation et de leur élimination, des résidus de produits pharmaceutiques sont rejetés dans l’eau et les sols et contaminent les organismes vivants qui s’y trouvent : modification du comportement, de la morphologie ou de la reproduction des organismes aquatiques exposés à de faibles concentrations de substances pharmaceutiques actives compromettant parfois leur survie. La plupart de ces substances étant produites dans les pays du Sud, l’industrie pharmaceutique est responsable d’une pollution largement délocalisée. Cependant, nos contrées ne sont pas épargnées puisque « l’excrétion via les urines ou les selles est la principale source de rejet de résidus de médicaments à usage humain dans l’environnement »1. Dans un article récent, Imagine, demain le monde révélait que, selon leur composition, jusqu’à 90 % des comprimés ingérés sont éliminés par nos corps sous forme de substances actives classées parmi les micropolluants qui contaminent nos cours d’eau2. Par ailleurs, le secteur pharmaceutique est extrêmement dépendant du pétrole « puisque 99 % des matières premières et réactifs utilisés sont dérivés de produits pétroliers »3. L’empreinte carbone de ce secteur est en outre très élevée, son industrie émettant en moyenne 55 % de CO2 de plus que l’industrie automobile 4.

Des stratégies d’influence

Pour augmenter leurs ventes et maximiser leurs profits, les firmes dépensent des sommes considérables dans le déploiement de diverses stratégies d’influence et de marketing : recours à des leaders d’opinion rémunérés pour défendre leurs intérêts, présence dans les universités et dans les hôpitaux, financement de recherches, parrainage d’évènements et d’associations de patients, publicité dans des revues spécialisées et à travers le profilage des soignantes et des soignants, etc. Parmi ces techniques, le démarchage dans les cabinets médicaux5 consiste à venir présenter et vanter les mérites de produits pharmaceutiques et à fournir des échantillons dans le but d’influencer les prescriptions. Ces visites peuvent être assorties de cadeaux qui constituent d’autres puissants ressorts psychologiques pour nouer et entretenir une relation favorable avec les soignantes et les soignants. Selon les psychologues sociaux, ces stratégies les piègent : « Une fois que l’on a accepté un cadeau, il est difficile de ne pas être influencé, du fait d’un enchainement de réactions psychologiques inconscientes habilement exploitées par les professionnels du commerce. » 6
Représentant les intérêts mercantiles de leur entreprise, les délégués médicaux cherchent à donner une image positive de leur firme et à mettre en avant leur rôle dans la recherche de solutions innovantes. Or l’information dispensée lors de ces visites est souvent biaisée, car fondée sur des observations non systématiques issues de l’expérience clinique de la firme elle-même plutôt que sur l’evidence-based practice. Les visiteuses et visiteurs médicaux tendent aussi à majorer l’efficacité des médicaments promotionnés et à en minimiser les risques. D’après un rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) française, « les résultats des essais cliniques sont présentés de façon à faire percevoir une balance bénéfices-risques plus favorable qu’elle n’est en réalité ; et, dans 19 % des cas, les indications présentées ne correspondent pas à celles de l’autorisation de mise sur le marché »7. Malgré la vigilance des soignantes et des soignants qui s’estiment « immunisés » face à ces messages promotionnels, la revue Prescrire a mis en évidence que « la plupart des professionnels de santé n’ont pas le temps, ou pas les compétences ni les connaissances suffisantes pour analyser les informations fournies, ou pas la formation pour prendre du recul par rapport aux techniques de communication et de promotion utilisées par des visiteurs médicaux »8.

Quelles alternatives au marketing ?

Depuis plusieurs années, nombreux sont les médecins de maisons médicales qui refusent ces visites. Ils se tiennent informés des nouveautés thérapeutiques en privilégiant la consultation de sources d’informations objectives et fiables dans des revues médicales universitaires ou indépendantes telles que Prescrire, Minerva, et sur des sites indépendants comme le Centre belge d’information pharmacothérapeutique (CBIP), le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), EBpracticenet, etc., le travail interdisciplinaire au sein de leur maison médicale et les échanges de pratiques dans les groupes sectoriels de leur intergroupe, et la participation à des groupes locaux d’évaluation médicale (GLEM) auxquels les médecins sont tenus de participer pour conserver leur accréditation. Par ailleurs, plutôt que de dépendre des dons d’échantillons des sociétés pharmaceutiques, des équipes ont choisi de constituer leur propre pharmacie de base pour répondre aux urgences et aux besoins médicaux ou sociaux de leur patientèle.

Agir plus globalement

D’autres initiatives permettent de réduire l’impact environnemental des médicaments sur les écosystèmes en amont et de limiter l’importance des mesures de dépollution à prendre en aval (l’investissement dans des systèmes d’épuration des eaux usées performants a un coût économique et écologique élevé). Certaines relèvent du champ d’action des autorités publiques :

  • La mise en œuvre de politiques de prévention visant à réduire les effets des déterminants socioéconomiques (conditions de travail, de logement…) et environnementaux (accès aux transports en commun, pollutions…) sur la santé.
  • La prise en compte du résultat de l’évaluation de l’impact environnemental des médicaments avant la délivrance d’une autorisation de mise sur le marché (AMM)9.
  • La mise à disposition de conditionnements plus petits et l’autorisation de prescrire et de délivrer des médicaments à l’unité. Les conditionnements sont souvent inadaptés aux besoins réels et induisent un gaspillage et une pollution évitables.

 

D’autres relèvent du champ d’action des soignantes et des soignants :

  • Le recours aux solutions thérapeutiques non médicamenteuses, quand cela est recommandé, telles que la prescription d’activité physique ou de soins verts, définie comme « une intervention ayant pour but de traiter, de guérir et/ou de rééduquer des patients présentant une maladie ou un état de santé délétère, avec le principe thérapeutique fondamental que la thérapie fait appel aux plantes, aux matériaux naturels, et/ou à l’environnement extérieur »10.
  • Le recours à des médicaments au profil écotoxicologique plus favorable lorsque des molécules d’efficacité équivalente existent (le choix d’inhalateurs à poudre au détriment des puffs qui contiennent des gaz propulseurs très polluants, par exemple). Pour poser ces choix, les professionnels de santé peuvent consulter la base de données Pharmaceuticals and Environment créée par le Conseil de la région de Stockholm 11.
  • Le développement de la prise de décision partagée entre soignants et patients en matière de prescription. Les professionnels de santé sont souvent confrontés à des demandes qui ne se justifient pas sur le plan médical (des antibiotiques, par exemple). En fournissant des informations sur le rapport bénéfice/risque des médicaments et les alternatives possibles, ils peuvent contribuer à leur utilisation appropriée tout en favorisant l’implication des patients.
  • L’évaluation régulière des traitements en cours entrainant le cas échéant la déprescription, c’est-à-dire la réduction ou l’arrêt d’un médicament dont le rapport bénéfice/risque est défavorable au patient.

Ces pistes d’action efficaces permettraient d’allier l’écologie et la santé, « les préoccupations sociales et environnementales [étant] synergiques et non concurrentes », comme le défend la docteure Anne Berquin 12. Plus globalement encore, il est indispensable de penser la santé commune13 (interdépendance entre la santé des milieux naturels, la santé sociale et la santé humaine) et de la décliner au niveau systémique et politique.

 

  1. « Impact environnemental des médicaments : tenir compte des données de consommation », Prescrire, n° 490, août 2024.
  2. V. de Lannoy, « Des médocs à la flotte », Imagine, demain le monde, n° 162, automne 2024.
  3. A. Berquin, Transition et soins de santé. Quels défis pour le futur ?, Étopia, décembre 2021.
  4. Ibid. 
  5. La loi belge règlemente les dons d’échantillons, les dons de cadeaux et les invitations à des repas, voir pharma.be.
  6. « Le repas : un cadeau particulièrement influent », Prescrire, n° 416, juin 2018. 
  7. « En 2023, toujours rien à attendre de la visite médicale : c’est aussi l’analyse de la HAS », Prescrire, n° 483, janvier 2024.
  8. Ibid. 
  9. Une directive européenne de 2004 prévoit que, lors de leur demande d’AMM d’un médicament à usage humain, les laboratoires pharmaceutiques évaluent les risques pour l’environnement. Le résultat de cette évaluation ne constitue pas pour autant un critère de refus à la mise sur le marché. Source : Prescrire, n° 490, op cit. 
  10. M. Annerstedt, P. Wärhrborg, “Nature-assisted therapy: Systematic review of controlled and observational studies’’, Scand J of Public Health, 39(4), 2011, cité dans S. Hubaux, « Et si on prescrivait des soins verts ? », Santé conjuguée, n° 108, septembre 2024. 
  11. janusinfo.se/environment. 
  12. A. Berquin, op cit.
  13. F. Collart Dutilleul, et al., Manifeste pour une santé commune. Trois santés en interdépendance : naturelle, sociale, humaine, Utopia, 2023. 

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée,