La transition entre l’hôpital et la première ligne de soins – et vice-versa – constitue une période charnière caractérisée par un risque accru de rupture dans la continuité et la cohérence des soins, de l’aide et de l’accompagnement offerts aux bénéficiaires.
Si la liaison entre les professionnels déjà impliqués et les professionnels appelés à prendre le relais n’est pas assurée, la qualité des soins fournis en pâtit et la sécurité des patients, en particulier des plus vulnérables, se trouve compromise. Une situation qui, conjuguée à la surcharge de travail engendrée, peut générer de l’insatisfaction chez les professionnels. Le système de santé serait donc doublement impacté : d’une part, au niveau de la sécurité et de l’utilisation des ressources et, d’autre part, au niveau du vécu tant des professionnels que des bénéficiaires1. Face à ce constat et dans un contexte marqué par le raccourcissement des durées de séjours en service hospitalier, l’augmentation du nombre de transitions entre l’hôpital et la première ligne ainsi que des situations de soins complexes, la figure du référent hospitalier ou de la référente hospitalière (RH) est apparue comme agent de liaison.
Les soins de transition (transitional care)
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « les transitions de soins désignent les divers points où un patient se rend, ou en revient, dans un endroit physique particulier, ou entre en contact avec un professionnel de la santé, dans le but de recevoir des soins »2. Cela comprend les transitions de soins entre le lieu de vie des bénéficiaires, d’autres services intermédiaires et l’hôpital.
Les soins de transition visent à assurer une continuité optimale des soins et des services par le biais de la coordination et de la communication entre acteurs et actrices. Cette démarche implique un partage fluide et efficace des informations, une collaboration entre les professionnels concernés ainsi qu’une transmission claire des responsabilités. L’objectif : garantir que le bénéficiaire reçoive un accompagnement adapté à ses besoins et préférences, cohérent, sans interruption ni perte d’informations, tout en minimisant les risques d’erreurs et les efforts redondants3. Pour ce faire, la collaboration de toutes les personnes impliquées (y compris le bénéficiaire et son entourage) est fondamentale. Les preuves montrant l’efficacité de cette approche sont toutefois limitées et dépendent du type d’intervention testée4,5. On observe que les initiatives partagées à l’échelle internationale mettent principalement l’accent sur les transitions de l’hôpital au domicile avec des actions couvrant différents moments :
- Avant la sortie de l’hôpital : interventions préparatoires (la concertation pour l’évaluation des besoins du bénéficiaire, par exemple) ;
- Lors de la sortie : interventions de liaison (un contact direct avec le professionnel de référence pour annoncer la sortie et transmettre le plan de sortie, par exemple) ;
- Après la sortie : suivi post-hospitalisation (un appel téléphonique pour s’assurer du bon déroulement des soins, par exemple).
En Belgique, différentes approches ont été mises en place pour faciliter ces transitions. Au niveau fédéral, des programmes de soins et des parcours de soins transmuraux ont été développés. Concrètement, cela s’est traduit par une organisation structurée et transmurale des parcours de soins pour certaines maladies. Ainsi, le trajet de soins pour le diabète précise les rôles des professionnels impliqués à chaque étape de la prise en charge du bénéficiaire. Au niveau régional, certaines procédures comme l’agrément des hôpitaux visent à renforcer la continuité à l’intérieur et à l’extérieur des établissements hospitaliers. Des fonctions spécifiques ont par ailleurs été créées pour répondre à ce besoin spécifique. Cela concerne des équipes de liaison (interne ou externe) ou des actrices et acteurs individuels proposant des services afin de répondre aux besoins spécifiques des transitions principalement intrahospitalières.
Des concepts innovants ont été développés autour de ces rôles de liaison, notamment celui de « référente hospitalière » ou « référent hospitalier » qui fut exploré dans le cadre du projet bruxellois de soins intégrés BOOST6, lié à Brusano. Cette initiative, axée sur la réflexion autour des enjeux de liaison lors des transitions ainsi que sur l’exploration et l’expérimentation de nouveaux rôles, identifiait deux volets à la mission de référent hospitalier : l’un organisationnel, puis un autre individuel ou clinique.
Au niveau organisationnel, le ou la RH s’inscrivait dans les objectifs de l’institution, contribuait à des initiatives visant à améliorer la continuité des soins et participait à des groupes de réflexion, des comités de concertation ou des projets locaux et régionaux dédiés à ce rôle. Au niveau individuel, le ou la RH jouait un rôle clé pour assurer la coordination entre les différents intervenants afin de garantir une continuité optimale dans la prise en charge des patientes et patients atteints de maladies chroniques. Le RH accompagnait également les bénéficiaires durant leur séjour à l’hôpital, en adoptant une approche centrée sur la personne et son entourage. En collaboration avec d’autres professionnels, il anticipait et organisait leur sortie dans le but de raccourcir la durée d’hospitalisation.
Dans le cadre de sa mission de soutien à l’organisation sociale-santé intégrée, Brusano organisera en 2025 des espaces de rencontre dédiés à la liaison entre l’hôpital et l’ambulatoire. Ces concertations thématiques se dérouleront au niveau des cinq bassins d’aide et de soins de la Région de Bruxelles-Capitale. Ils offriront aux professionnels de première ligne et du secteur hospitalier l’opportunité de se rencontrer, de mieux se connaitre et de réfléchir ensemble aux pistes de solutions pour rencontrer cet enjeu majeur.
Le point de vue de l’infirmière hospitalière
« J’ai eu l’opportunité de rencontrer de nombreux intervenants du secteur social-santé œuvrant
extra-muros, dans l’environnement de vie des patients. Des collaborations concrètes favorisant le lien extra-intra hospitalier ont pu être développées. Au-delà de l’objectif commun des professionnels de santé, la connaissance réciproque de leurs actions respectives est essentielle pour assurer une continuité des soins efficace à la sortie de l’hôpital. Le décloisonnement entre les structures est indispensable pour assurer des prises en charge adaptées aux besoins des bénéficiaires, notamment dans les situations médico-sociales complexes et/ou de vulnérabilité. Lors de ces concertations, nous avons mis en évidence un besoin criant de communication entre les deux lignes de soins dont les contextes de travail sont très distincts. Les contraintes de la réalité hospitalière, liées à son financement, mettent la priorité sur le turn-over d’occupation des lits et, pour les services hospitaliers, ce qui se passe pour le patient à sa sortie d’hôpital est une préoccupation secondaire. Par ailleurs, certains éléments pratiques et/ou organisationnels compliquent la prise en charge infirmière à domicile. On peut citer en vrac les retours à la maison les veilles de week-end, la disponibilité d’appareillage (chaise percée, chaise roulante, béquilles…), les adaptations ergonomiques du logement requises par une perte d’autonomie, la réconciliation médicamenteuse (adaptation du schéma thérapeutique du patient entre son admission et sa sortie), etc. Les problématiques rencontrées concernent principalement les patientes et les patients isolés, dépourvus d’aidants proches pouvant assurer ce lien et gérer certaines actions à mettre en place. Par ailleurs, l’expérimentation de la fonction RH telle que conceptualisée au départ dans le cadre de BOOST a montré ses limites sur le terrain, à l’hôpital : une seule personne ne peut pas gérer l’ensemble des retours à domicile des patients isolés et/ou ayant un profil socio-médical complexe. C’est particulièrement vrai dans un hôpital public qui concentre ce type de patientèle. La gestion des sorties doit rester dédiée à l’équipe de l’unité d’hospitalisation où se trouve le patient. Le support d’un autre type d’expertise, par exemple le case manager interne spécialisé dans la gestion des situations complexes, est actuellement en réflexion. Nous devons impérativement travailler l’anticipation des hospitalisations planifiées et faciliter les voies de communication pour les patients admis en urgence. Pratiquement, les dispositions à mettre en place à la sortie du patient, qui sont connues pour les trajets de soins standards avec admissions programmées, devraient être organisées avant même l’entrée du patient à l’hôpital. L’amélioration de la communication entre partenaires des deux lignes de soins, intra et extrahospitalières, est également indispensable. Un trait d’union nécessaire compte tenu de l’évolution actuelle vers “l’ambulatorisation” des soins et la diminution des durées de séjours hospitaliers. Le virage ambulatoire est déjà bien amorcé. L’hôpital devient un grand plateau technique où œuvrent des spécialistes. Il prend en charge les urgences médicales et les actes médico-techniques pointus, dans un espace-temps court. Le suivi des soins, assuré par les prises en charge dans l’environnement de vie du patient, doit être mieux réfléchi en ce sens. »
Catherine Bosman, cheffe de projet-project manager office, CHU Saint-Pierre (Bruxelles).
Le point de vue de l’infirmière de première ligne
« J’ai souvent été confrontée à la prise en charge de patients en sortie d’hospitalisation, qu’elle soit prévue ou imprévue. Cette transition est souvent émaillée de difficultés : manque de planification, absence ou insuffisance d’informations. Il m’est arrivé d’apprendre la sortie d’un ou d’une patiente plusieurs jours après, ce qui a entrainé des erreurs de traitement dues à des incompréhensions sur un nouveau protocole, un refus de prise de médicaments ou encore une absence totale de prescription médicale. Ces problèmes s’accompagnent parfois de situations inadaptées, comme des logements non préparés pour l’état de santé du patient, des pansements négligés… De telles circonstances augmentent significativement le risque de réhospitalisation. De nombreuses infirmières rencontrent ces mêmes obstacles. Cela crée un stress élevé chez les soignants contraints de gérer des urgences et de pallier des lacunes organisationnelles. Par exemple, j’ai déjà pris en charge un patient rentré chez lui sans lit ; un nettoyage complet de son appartement avait été planifié, mais sans qu’un lit de remplacement ne soit prévu. Ces situations mettent en lumière la nécessité d’une meilleure anticipation et d’une communication fluide entre la première et la deuxième ligne de soins afin d’assurer une transition optimale. Sur le terrain, cet objectif reste difficile à atteindre, en grande partie à cause de l’absence de référents dans de nombreuses structures de soins. Des collègues m’ont signalé des problèmes similaires à Namur : sorties d’hospitalisation le vendredi soir sans ressource pour les patients, mauvaise coordination des soins à domicile ou encore absence de communication entre les hôpitaux et les médecins généralistes. Ces lacunes nuisent gravement à la continuité des soins. J’ai eu la chance de participer à la communauté de pratiques BOOST organisée par Brusano qui réunissait divers professionnels du secteur social et de la santé : intervenantes sociales, aides familiales, pharmaciennes, infirmières de première ligne, ainsi qu’une infirmière référente hospitalière. Ce poste est crucial pour garantir une bonne transition hôpital-domicile, mais il reste sous-représenté dans les structures hospitalières. Ces rencontres permettent de tisser des liens, d’échanger sur nos réalités respectives et de proposer des solutions concrètes, d’identifier les enjeux des deux niveaux de soins et de trouver des moyens d’améliorer la transition pour les patients tout en respectant les contraintes de chacune des parties. À Namur, des initiatives similaires ont vu le jour : les infirmières de maisons médicales ont organisé des rencontres avec les services sociaux hospitaliers pour améliorer la transmission d’informations et présenter les spécificités des maisons médicales. Parmi les pistes envisagées, on trouve la mise en place de communications anticipées par mail pour les sorties complexes, la sensibilisation des professionnels hospitaliers à la première ligne via des ateliers, la formation d’un groupe de travail réunissant première ligne et deuxième ligne, etc. Ces initiatives visent à renforcer les liens entre les niveaux de soins, garantissant ainsi une transition fluide et sécurisée pour les patients, tout en améliorant les conditions de travail. Une collaboration structurée est essentielle pour répondre efficacement aux défis de la continuité des soins et assurer une prise en charge de qualité. »
1
1. S. Nundy et al., « The Quintuple Aim for Health Care Improvement: A New Imperative to Advance Health Equity », JAMA, 2022 Feb 8;327(6).
2. OMS, Transitions of care, 2016, iris.who.int.
3. M. Naylor, SA Keating, « Transitional Care: Moving patients from one care setting to another » Am J Nurs, 2008 Sep;108(9).
4. D. Sezgin et al., « The effectiveness of intermediate care including transitional care interventions on function, healthcare utilisation and costs: a scoping review », Eur Geriatr Med, 2020;11(6).
5. N. Tyler et al., « Transitional Care Interventions From Hospital to Community to Reduce Health Care Use and Improve Patient Outcomes: A Systematic Review and Network Meta-Analysis », JAMA Network Open, 2023 Nov 30;6(11).
6. www.boostbrussels.be.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°110 - MARS 2025
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