Aller au contenu

Les infirmières et les infirmiers peuvent-ils avoir un rôle novateur spécifique à jouer dans un nouveau modèle visant à réaliser une meilleure prise en charge des besoins complexes, et donc à améliorer la qualité des soins ? Une recherche explore l’intérêt de cette évolution du métier qui pourrait, entre autres effets, contribuer à son attrait.

Vieillissement de la population, flambée des maladies chroniques, multimorbidités, demande et complexité de soins croissantes… les défis auxquels est actuellement confronté le secteur de la santé sont bien connus et de plus en plus difficiles à relever avec les possibilités du système en place et les moyens financiers et humains disponibles. Il est donc plus important que jamais de faire de ces derniers une utilisation optimale et de repenser en profondeur des modèles de soins hérités du passé, à la fois pour gagner en efficience et pour développer des réponses plus adaptées aux besoins nouveaux. Or, les modèles de soins axés sur le traitement aigu de pathologies individuelles sont limités dans leur capacité à appréhender les situations complexes, qui nécessitent des approches centrées sur la personne et sur ses besoins spécifiques. Dans ce contexte, le KCE, en collaboration avec la KULeuven et l’UGent, a dressé un état des lieux des consultations infirmières telles qu’elles existent actuellement en Belgique et a dégagé des pistes pour améliorer leur développement dans le futur1. 1. Cet article fait le point sur quelques résultats clés.

Quelle efficacité ?

Il ressort d’une analyse de la littérature 2 que les consultations infirmières sont au moins équivalentes au comparateur (soins habituels et/ou consultation médicale). Elles pourraient même apporter une plus-value en complément ou en remplacement (partiel) des soins usuels seuls pour les résultats touchant à la qualité de vie, aux comportements de santé (comme l’arrêt du tabagisme ou l’encouragement de l’activité physique), à la mortalité, à la satisfaction des patients et à la compliance au traitement. D’autres études ont mis en évidence un impact favorable sur l’utilisation des services de santé, au travers d’aspects comme la réduction du nombre de réadmissions hospitalières. Cependant, les données sont trop limitées pour confirmer un éventuel impact sur les coûts.

Quels infis pour quelle consultation ?

En parcourant la littérature et en investiguant les pratiques en France, en Irlande, en Finlande, dans l’Ontario (Canada) et aux Pays-Bas – quatre lieux représentant différents systèmes de santé où les consultations infirmières sont soit en émergence, soit plus développées que ce qui existe aujourd’hui en Belgique –, force est de constater que les consultations infirmières peuvent être assurées par différents types de profils. Dans certains contextes, en particulier dans les soins primaires, les consultations sont parfois confiées à des infirmières et des infirmiers de niveau bachelier sans autre formation particulière. Les profils les plus fréquemment associés à ces consultations sont toutefois ceux d’infirmières et infirmiers spécialisés (bachelier et formation/expertise supplémentaire) et d’infirmières et infirmiers de pratique avancée (IPA, master) ; c’est également ce qui ressort de notre enquête en Belgique auprès de 638 infirmières et infirmiers. Mais si dispenser des consultations requiert un certain niveau de formation et d’expérience, il n’existe pas de données tangibles qui justifieraient de les réserver aux seuls IPA, bien qu’une certaine forme de distribution des tâches puisse être envisagée.

La première ligne, un lieu de pratique privilégié… sauf en Belgique ?

Dans les cinq pays inclus dans notre comparaison internationale, les consultations infirmières trouvent leur place dans un large éventail de contextes, des soins communautaires (par exemple en institution) à l’hôpital en passant par les soins ambulatoires et les maisons de repos. Ce qui ressort, c’est que les infirmières et les infirmiers endossent des rôles très étendus dans le secteur des soins de première ligne, où ils sont tantôt premiers points de contact, tantôt acteurs de l’éducation à la santé, tantôt même responsables de l’entièreté d’un centre de soins de santé primaires.
En France, il existe par exemple une coopération organisée entre infirmières, infirmiers et médecins en première ligne – le dispositif ASALEE (action de santé libérale en équipe)3. Dans ce dispositif, les consultations infirmières sont organisées en complémentarité des consultations médicales pour des patients vivant avec des pathologies chroniques : diabète, risques cardiovasculaires, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), asthme, troubles du sommeil ou encore troubles cognitifs. Ces consultations visent un objectif d’éducation thérapeutique personnalisé pour renforcer l’empowerment, l’autonomie et l’autogestion des patients. Des protocoles listent une série de tâches déléguées par les médecins aux infirmières et infirmiers pour leur garantir une autonomie suffisante lors de ces consultations. Il s’agit, par exemple, de la prescription et de la réalisation d’électrocardiogrammes, de la réalisation et de l’interprétation de spirométries ou de l’administration de tests cognitifs à des personnes âgées.
Du côté de la Finlande, ce sont toujours des infirmières et des infirmiers qui font la première évaluation dans les centres de santé de première ligne avant d’orienter les patients vers des médecins ou vers des infirmières et infirmiers pour le suivi ultérieur. Dans ces centres, ils mènent des consultations pour toute une série de problèmes de santé aigus et chroniques : soins de plaie, suivi du diabète ou encore activités de promotion de la santé. Si la pose du diagnostic reste l’apanage des médecins, les infirmières et les infirmiers peuvent évaluer la situation, initier le traitement, faire sortir et réorienter la patientèle de façon indépendante.
En Belgique, en revanche, sur la base de notre enquête de 2023, le milieu hospitalier prédomine : la grande majorité des infirmières et des infirmiers participants étaient actifs dans un (grand) hôpital général (42,2 %) ou universitaire (26,5 %). Un peu moins d’un quart travaillaient dans les soins de première ligne (maison médicale, cabinet de médecine générale, structure de soins à domicile…) et une petite minorité, dans le secteur de la médecine du travail ou dans d’autres structures de soins (hôpitaux psychiatriques, centres de revalidation…). Les maisons de repos n’étaient pas représentées dans notre enquête. Une hypothèse pour expliquer cette situation est que les structures plus grandes peuvent plus facilement développer ce type d’approche innovante ; il serait néanmoins intéressant d’examiner si c’est dans cet environnement que les consultations infirmières sont les plus utiles.

 

Qu’est-ce qu’une consultation infirmière ?

À l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus et seules les consultations infirmières qui ont lieu dans les soins à domicile sont couvertes par un code de nomenclature4. Dans cette étude, les consultations infirmières sont définies comme des consultations qui :

  • Ont pour objectif d’apporter des informations, des conseils, un soutien et/ou un suivi aux patients et à leurs proches dans une perspective holistique et en s’appuyant sur des fondements evidence-based.
  • Sont menées par un infirmier possédant l’expertise clinique et les compétences avancées nécessaires pour pouvoir suivre les cas qui lui sont confiés de manière autonome (ce qui n’exclut pas qu’il puisse travailler en étroite collaboration avec une équipe plus large).
  • Peuvent être organisées à la demande d’un médecin, d’autres prestataires de soins, des patients ou de leur entourage, mais aussi, dans certains cas, à l’initiative de l’infirmier. Elles peuvent être planifiées ou non, ponctuelles ou récurrentes.
  • S’inscrivent dans différents contextes de soins et domaines de spécialisation (par exemple soins de première ligne, hôpital, soins à domicile, maisons de repos et de soins, soins de santé mentale, etc.).
  • Peuvent prendre différentes formes (en personne, par téléphone ou vidéoconférence, par voie électronique, etc.).

Complémentarité ou subsidiarité des consultations infirmière et médicale ?

La relation entre la consultation médicale et la consultation infirmière s’inscrit dans un continuum entre subsidiarité et complémentarité. Dans le premier cas, les infirmières et les infirmiers peuvent reprendre un certain nombre d’activités qui incombaient jusque-là aux médecins (évaluation des risques, gestion du traitement dans des populations de malades chroniques dont l’état est stable…). Cette substitution peut décharger les médecins d’une partie du suivi ou de la réalisation de certains actes. Dans le second cas, les infirmières et les infirmiers délivrent un ou plusieurs services supplémentaires qui n’étaient pas encore proposés par ailleurs, généralement dans le but d’améliorer la qualité ou la continuité des soins (par une information plus poussée ou un accompagnement plus étroit, une attention plus grande aux besoins non médicaux…).
Mais, en pratique, c’est souvent un mélange entre complémentarité et subsidiarité qui est observé, sans que l’une de ces approches soit supérieure à l’autre. Le degré de substitution et de complémentarité souhaitable dépend des besoins et réalités concrètes sur le terrain, et peut en outre présenter une variabilité plus ou moins marquée chez les patients avec des pathologies complexes stables ou instables. Soulignons aussi que, même lorsqu’ils reprennent certaines activités, les infirmières et infirmiers ne se substituent jamais complètement aux médecins.
De même, le lien de dépendance entre les deux consultations est variable. Notre enquête montre que la majorité des consultations infirmières sont liées d’une manière ou d’une autre à l’intervention médicale : 81 % des infirmières et infirmiers interrogés interviennent à la demande des médecins. En outre, près d’un quart de nos répondants planifiaient leur consultation avant celle des médecins ; une proportion équivalente l’organisait après. Chez environ un tiers d’entre eux, la consultation infirmière ne présentait pas de lien direct avec une consultation médicale : en première ligne, cette proportion montait jusqu’à plus de la moitié, ce qui souligne – dans une certaine mesure – la plus grande autonomie des consultations infirmières en première ligne. De même, 17 % des répondants actifs en première ligne déclaraient rencontrer tous ces cas de figure, contre 10 % de ceux qui ne travaillaient pas en première ligne.

Et demain ?

Il peut sembler paradoxal de mobiliser un groupe professionnel lui-même sujet aux pénuries pour de nouveaux rôles et tâches, mais cette évolution pourrait en réalité contribuer à renforcer l’attrait de la profession (et donc à accroitre le flux entrant et à améliorer la rétention des effectifs), en offrant de nouvelles perspectives d’évolution à ceux qui l’exercent. Comme la littérature et les exemples internationaux le montrent, les consultations infirmières valorisent l’expertise de la profession, sans pour autant tomber dans le piège du corporatisme ou de la course au diplôme.
Et évidemment, les consultations infirmières ont une plus-value pour la prise en charge des patients vivant des situations complexes en première ligne. La première ligne semble être un terrain fertile pour le développement de ces consultations infirmières, notamment par l’expérience existante de collaboration, de confiance, d’échange de pratiques et d’interdisciplinarité. Mais il reste encore du chemin à faire avant que ce dispositif soit pleinement fonctionnel en Belgique. C’est pourquoi nous recommandons, entre autres, de tester ces dispositifs innovants par le biais de projets pilotes. Ces projets devraient intégrer une évaluation scientifique basée sur le quintuple aim4, reposant sur une méthodologie mixte, avec des critères et indicateurs transparents. Ces projets devraient pouvoir proposer, durant une certaine période, un cadre règlementaire flexible permettant d’explorer quelles modifications pourraient utilement être apportées au cadre légal ou quels éléments devraient être repris dans les cadres d’accords interprofessionnels, le portfolio5 et les instruments de politique futurs.

  1. J. Detollenaere, M. Dauvrin et al., Consultations infirmières pour les patients avec des problèmes de santé complexes, KCE Reports 373Bs, 2023, kce.fgov.be.
  2. M. Deschodt et al., “The effect of consultations performed by specialised nurses or advanced nurse practitioners on patient and organisational outcomes in patients with complex health conditions: An umbrella review”, Int J Nurs Stud, 2024 Oct;158.
  3. www.asalee.org.
  4. Le quintuple aim s’articule autour des objectifs suivants : amélioration de la santé de la population ; justice sociale et inclusion avec attention particulière pour les plus vulnérables ; meilleure perception de la qualité des soins par le citoyen/patient ; utilisation plus efficiente des ressources ; accroissement du bien-être des professionnels de la santé.
  5. La loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé prévoit que chaque professionnel des soins de santé dispose d’un portfolio contenant les données démontrant qu’il dispose des compétences et de l’expérience nécessaires, de préférence sous forme électronique. Par exemple, le portfolio peut contenir les diplômes, les attestations de formations complémentaires et continues ou des éléments attestant de l’expérience professionnelle.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée,