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En décembre dernier, l’assemblée réunie au Réseau wallon de lutte contre la pauvreté est atypique. Elle mélange volontairement les horizons. Et d’emblée, associe des personnes dans la pauvreté et d’autres issues de secteurs distincts : le logement d’une part, la santé et le soin aux personnes de l’autre.

Malgré leur temps souvent compté, leur charge de travail importante et les urgences – d’autant plus marquées en période hivernale –, une soixantaine de professionnels de la santé et de l’aide sociale ont répondu présents à l’invitation du Réseau et de l’asbl Miroir vagabond. Les deux organisations se sont réunies sous la bannière « Logement sous baxter », partageant le constat d’une aggravation des problèmes de logement pour un nombre croissant de personnes et des liens indissociables entre santé et logement. « Il n’est plus tenable, plus supportable de dire aux gens que ce logement trop petit, insalubre, éloigné de leur vie sociale, c’est toujours mieux que rien, mieux que la rue », expliquent les organisations.
Les témoignages auxquels une large place est donnée disent les traumatismes de l’habitat sur la santé physique, mentale et sociale ; ils expriment aussi l’usure, parfois l’apaisement retrouvé grâce à un logement où l’on « revit ». Certains confient la honte de dévoiler ces conditions de vie. Derrière chaque témoignage apparaît la volonté de sensibiliser et de faire changer la situation collectivement. « Si nous osons parler, c’est pour faire changer les choses », explique d’ailleurs clairement un des témoins.

Un tableau clinique affiné

Le diagnostic partagé par les participants confirme et renforce un tableau clinique critique du logement en Wallonie et de ses impacts sur la santé des habitants. Le contexte d’intervention des professionnels de l’aide sociale est marqué par la dureté, la violence « presque ordinaire » due à l’absence de solutions, la déprime aussi, expliquent certains d’entre eux. « Quand je dis oui à une personne, je dis non à neuf autres, parce qu’il y a dix fois plus de demandes que de logements accessibles, relate le responsable d’une agence immobilière sociale. Les gens ne sont donc pas contents. Il y a des tensions et du harcèlement. Mais c’est pas ça qui fait apparaître les maisons. » « Les rencontres avec les locataires de l’agence immobilière sociale sont déprimantes et l’avenir n’est pas rose », indique un autre acteur du logement. Le sentiment d’impuissance grandit. Certains font état de situations abusives de la part de propriétaires privés, à la faveur d’un contexte de pénurie de logements.
Les solutions manquent ; les individus sont renvoyés à leur responsabilité personnelle. Et la concurrence règne pour avoir un logement décent et accessible financièrement. « Le système [de logement public] a besoin de critères objectifs pour les attributions par exemple. […] On a des gens qui ne rentrent pas dans les cases, explique cette professionnelle du secteur de l’hébergement1. C’est ainsi que se créent des maisons “pirates”2, hors des clous d’agréments, qui accueillent un public en grande précarité avec des soucis de santé mentale qui ne trouve pas de solution dans le système classique… ».
La tension entre le pragmatisme et l’éthique d’intervention s’accroit pour les professionnels.

Le logement comme déterminant de la santé

Le mal-logement, le trop cher logement et le non-logement ont des conséquences directes sur la santé des personnes dans toutes ses dimensions : physique, mentale et sociale.
Les personnes trop cher-logées font par exemple face à des choix difficiles avec le revenu qui leur reste. L’alimentation devient alors une variable d’ajustement. Et on connait le lien entre santé et alimentation de qualité. Faute de moyens, ces personnes doivent parfois aussi renoncer aux soins de santé.
Certains logements entrainent des problèmes respiratoires à répétition ou d’autres atteintes à la santé qui peuvent être graves comme en témoigne cette mère, la gorge nouée : « Il y avait des champignons. Il y a eu la peur. Il y a eu les urgences, la maladie de l’asthme. Il y a eu presque la mort de mon enfant. Il y a les médecins qui disent “il faut partir de chez vous” ». Et aller où ? Cette question, une autre témoin du vécu militante au RWLP la tourne en boucle : « J’ai fait cinq ulcères tellement tout cela m’énerve. » « Si ça joue sur ton mental, ton corps prend aussi », rappelle un autre témoin.
Vivre dans du logement insalubre, trop étroit, trop froid, trop chaud, trop humide, bruyant… provoque du stress, de l’anxiété. « En me questionnant sur ma santé et mes logements, je prends conscience que, depuis mes huit ans, j’ai voyagé de mal-logement en mal-logement, constate une témoin. […] ma santé s’est dégradée sans que je m’en aperçoive. Mon énergie s’est consumée à grande vitesse. Me voilà aujourd’hui épuisée, forçant sur mes réserves, mais jusqu’à quand ? »
Accepter un logement loin de tout, se déraciner, ne pas oser recevoir des invités ou des services à domicile, se sentir seul, abandonné ou, au contraire, vivre dans la promiscuité, sans aucune intimité, manquer l’école ou des rendez-vous, ne pas recourir à ses droits, s’auto-exclure par honte, par stigmatisation, pèse sur la santé. « J’ai honte d’être pauvre, répète une témoin du vécu militante. J’ai honte d’être moins pauvre que d’autres, j’ai honte de m’humilier devant les assistantes sociales, j’ai honte de devoir me justifier, j’ai honte de prendre du bon temps, car cela me semble interdit. »

« On n’en parle pas au docteur »

Aux yeux de cette témoin, « les visites à domicile, c’est 50 % du diagnostic ». Les retours d’expériences sont unanimes : en consultation, le logement est plutôt un non-sujet. Comme le relate cette travailleuse en santé communautaire d’une maison médicale : les patients se confient rarement sur leur situation de logement. D’autant moins que « la honte pousse à ne pas dévoiler son lieu de vie », témoigne un participant qui explique qu’il allait jusqu’à faire huit kilomètres à pied pour voir un médecin, « pour ne pas qu’il vienne et qu’il voie mes conditions de logement ». La peur du jugement peut aussi freiner les personnes à ouvrir leurs portes, parce que le soignant verra qu’elles fument par exemple. « Est-ce que vous vous sentez bien dans votre logement ? » devrait de l’avis de nombreux participants faire partie des évocations rituelles d’une consultation médicale chez le généraliste.

Accéder à ce que les gens vivent

Les notions répandues de soins intégrés, de santé communautaire, d’approche holistique de la santé – prendre en compte la personne dans sa globalité plutôt que de manière morcelée –, voire la définition même de la santé telle que fournie par l’Organisation mondiale de la santé 3, enjoignent à considérer les questions de logement dans le domaine de la santé. Mais « comment devenir sensible aux situations de logement quand on est médecin ? Comment les connaitre ? interroge un soignant. Avoir une grille de plus par rapport au logement peut se noyer dans la masse », craint-il. Dans sa réflexion, il invite à dépasser le strict cadre de la santé, pour « accéder à ce que les gens vivent » avec leur lieu de vie.
« En tant que soignant, on ne connait pas la question du logement. C’est un monde très technique et très complexe », estime cette autre participante. Or, nous aurions tendance à rechercher ce que nous connaissons, à fonctionner avec la boite à outils qui nous est familière. Prendre contact avec d’autres, multiplier les points d’appui, travailler en réseau, développer des ressources, demande de l’énergie. S’ouvrir à d’autres logiques est aussi bousculant.

Construire des alliances

L’intention de la rencontre de décembre ne s’arrêtait pas à l’organisation d’un temps d’échanges. La volonté était de « sortir avec quelque chose qui nous serait commun, pour intensifier la lutte et que chacun mesure l’importance de son rôle au bénéfice des populations appauvries ». Un souhait qui a fait mouche. Rendez-vous est pris pour poursuivre dans cette voie et élargir la participation des acteurs et actrices du logement et de la santé. Ce sera pour le printemps.

 

  1. L’hébergement se distingue du logement ; il regroupe les solutions d’accueil temporaire en maison d’accueil, en abri de nuit.
  2. Structures d’hébergement non agréées qui disposent parfois de conditions de salubrité et d’encadrement insuffisantes. 
  3. Selon l’OMS, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », www.who.int. 

Cet article est paru dans la revue:

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