Sophie Lanoy : « Nous ne sommes pas là pour représenter notre propre point de vue, mais pour porter la voix des patients »
Pascale Meunier
Santé conjuguée n°110 - MARS 2025
Depuis vingt-cinq ans, la Ligue des usagers des services de santé (LUSS) porte la parole des associations de patients et de leurs proches. La directrice politique de cette coupole qui rassemble près de cent membres en Wallonie et à Bruxelles explique les détails de cette représentation essentielle dans notre système de santé.
Quelles sont les missions de la LUSS ?
Notre focus, c’est d’améliorer l’accès aux soins et aux services de santé de qualité pour toutes et tous. Pour cela, nous avons trois missions principales : soutenir les associations de patients et leurs proches, former et informer, et participer aux mécanismes de concertation en représentant les patients. Nos quatre antennes – en province de Namur, Liège, Hainaut et à Bruxelles – nous permettent de travailler en proximité avec ces associations, de connaitre leurs priorités de terrain et d’instaurer une dynamique de solidarité entre elles.
Comment fédérer une telle diversité ?
Il y a en effet autant d’objectifs que d’associations, de petites et de grosses structures, des associations très bien organisées, d’autres qui sont uniquement intéressées par le travail avec les patients, qui organisent des groupes de parole et qui n’ont pas l’intention de participer aux politiques de santé. C’est un premier pas et nous considérons qu’elles peuvent évoluer vers d’autres implications. Car ce que nous souhaitons, ce que nous défendons avec notre homologue néerlandophone, la Vlaams Patiëntenplatform (VPP), c’est la possibilité que les associations de patients fassent partie intégrante du système de soins de santé.
Dans quels organes la LUSS est-elle représentée ?
La LUSS travaille depuis plus de treize ans au niveau de l’Observatoire des maladies chroniques de l’Inami. C’est le premier mandat à officialiser la voix des patients. Nous nous structurons en interne pour porter cette voix : dix représentants issus d’associations détiennent dix mandats au nom de la LUSS et douze pour la VPP ; les mutualités occupent un banc équivalent et, tous ensemble, nous sommes reconnus en tant que porte-parole des patients. Le rôle de l’Observatoire est d’améliorer les politiques de santé pour les malades chroniques, toutes compétences confondues. Au fil des ans, nous avons cependant remarqué que c’était de plus en plus compliqué pour les associations de déposer un dossier sortant un peu de ces objectifs et nous avons réfléchi avec la VPP et l’Inami à un autre organe de représentation, qui est devenu le Forum des patients. Il est en place depuis un peu plus d’un an. Les associations peuvent y déposer un dossier, poser une question – qui doit être dans les compétences de l’Inami, mais qui peut concerner toutes les problématiques de santé. Une petite dizaine de dossiers sont déjà ouverts. Pour de meilleurs remboursements concernant la dégénérescence maculaire, par exemple. Cela tourne souvent autour du remboursement… Beaucoup d’associations de patients viennent aussi vers nous pour des maladies non reconnues, pour lesquelles il n’y a pas de diagnostic ou pas de reconnaissance officielle. Une association de personnes électrohypersensibles, par exemple. La LUSS ne se positionne pas scientifiquement à ce sujet, mais elle revendique a minima des mesures de précaution. Quand nous portons la parole des patients, nous le faisons du point de vue de l’expertise du vécu, jamais d’un point de vue scientifique ou juridique. C’est la parole du patient. Une personne qui a vécu des obstacles révèle peut-être un problème dans le système. Porter un dossier à l’Inami, même si le sujet ne relève pas nécessairement de ses compétences, nous aide à trouver d’autres interlocuteurs. Nous avons également déposé un dossier à propos du Fonds spécial de solidarité qui permet d’aider les patients quand les coûts de traitement ne sont pas remboursés. Cela concerne souvent des personnes atteintes de maladies rares. Ce fonds spécial n’est pas suffisamment connu et ses critères, comme les dossiers à remplir pour y avoir accès, sont assez complexes.
Quel est votre rôle dans la commission fédérale « droit du patient » ?
Nous avons participé activement à la réforme de la loi relative aux droits du patient1 en y amenant notre expertise du vécu. Par exemple au niveau de la neutralité des médiateurs : quand un service de médiation se trouve juste à côté du bureau de la direction de l’hôpital, nous estimons qu’il n’est pas toujours facile pour le patient de faire entendre son problème… Nous amenons une série d’éclairages et de points d’attention. L’un d’eux, c’est que la loi relative aux droits du patient est difficilement applicable sur le terrain pour le moment. Je pense notamment au libre choix : comment l’exercer quand un seul psychiatre parle l’allemand pour toute une région ? Ou comment disposer d’une information éclairée avec une médecine sous pression, qui n’a plus le temps d’informer les patients ? Il faut donc aussi créer les conditions d’une bonne application des droits du patient.
Les médicaments sont un volet sensible. Quelle est votre action dans ce domaine ?
Nous avons des mandats « médicaments » au sein de l’Inami et des mandats à l’Agence fédérale du médicament et des produits de santé du SPF Santé publique. Par rapport aux indisponibilités des médicaments, par exemple, une articulation peut se faire entre les besoins des patients et des groupes de travail où tout cela est discuté. Cela permet aussi d’expliquer aux patients pourquoi un médicament est indisponible, de suivre cette indisponibilité sur le site de l’Agence fédérale des produits de santé, de réfléchir à la mise sur le marché, aux effets indésirables du médicament et à l’importance de les notifier. Il y a aussi la question de la littératie en santé : il est important que le patient puisse prendre connaissance de la façon dont se développe un médicament, savoir où trouver une information valide à son sujet. Et aussi la question du remboursement et de l’accès aux médicaments innovants, qui est problématique.
D’autres mandats encore ?
Nous allons commencer un mandat à la commission « remboursement » en avril. C’est la première fois qu’il y aura une représentation de patients dans ce type d’enjeu. Nous sommes aussi présents dans l’organe d’administration du Centre fédéral d’expertise des soins de santé, le KCE, au Fonds des accidents médicaux… Nous avons un pied dans pas mal d’institutions essentielles, généralement fédérales, et nous essayons plutôt de freiner les sollicitations, car nous sommes une petite équipe et l’occupation de ces mandats demande énormément de travail en amont. Ce que nous déplorons en revanche, c’est que cela ne suive pas au niveau de la Région wallonne et de la Région bruxelloise. Nous avons peu de mandats pour y porter la voix des patients alors que la santé touche aussi à ces niveaux de pouvoir. Pour nous, c’est un signal inquiétant. Nous sommes souvent confrontés à des témoignages de patients qui font face à des frais de transport importants. Sans voiture ou dans l’incapacité de conduire, sans transports en commun à proximité, il faut faire appel à des services et ceux-ci relèvent des compétences régionales. Les déplacements sont dans le top des difficultés rencontrées par les patients, avec les obstacles financiers aux traitements.
Comment passer du vécu personnel à une représentation collective ?
C’est tout un processus. Souvent, une association de patients, deux ou trois personnes au départ, se crée autour d’un problème sans solution, autour d’une revendication ou d’un besoin partagé d’amélioration. Elles commencent évidemment par exprimer leurs problèmes personnels. C’est quelque chose que l’on voit aussi dans nos moments de concertation, mais, au fur et à mesure et en appuyant sur l’importance de travailler à partir du collectif, elles entendent ce que d’autres patients rencontrent et se détachent de leur propre problème de santé et parviennent à le dépasser. Pour les mandataires, nous fonctionnons par expertise thématique, en fonction des compétences de chacun. Nous estimons par ailleurs que travailler à la LUSS nécessite une formation en interne. Car nous ne sommes pas là pour représenter notre propre point de vue, nous sommes là pour porter la voix des patients. Cela veut dire qu’il faut pouvoir sortir de nos propres convictions, de nos préjugés pour adopter une approche globale.
Quelles évolutions majeures observez-vous en vingt-cinq ans ?
Côté positif, symboliquement, c’est notre reconnaissance. Avant, nous devions nous battre pour que les patients aient une place dans les décisions politiques et aujourd’hui nous devons refuser des mandats… Il y a eu un changement de paradigme. Nous devions aussi nous battre pour prouver notre légitimité ; on nous considérait un peu comme des gens qui ne faisaient que râler ou porter plainte. Aujourd’hui, on nous voit dans la coconstruction… tout en étant dans la critique. Il reste malheureusement un combat inchangé : celui de l’accès aux soins de santé. On rempile avec le ministre Frank Vandenbroucke, on sera donc dans la continuité ; même si ça semble plus ou moins stable au niveau du budget des soins de santé, on sent bien qu’il va y avoir des réformes importantes.
Vous sentez un glissement vers une privatisation des soins de santé ?
Nous craignons le développement d’une médecine à deux vitesses. Pour accéder à un diagnostic – il est crucial dans certaines spécialités de consulter rapidement – les personnes qui peuvent se le permettre se tournent vers la filière privée et obtiennent un rendez-vous dans la semaine tandis que les autres doivent attendre plusieurs mois… C’est une vraie question de santé publique. Nous sommes évidemment en faveur du conventionnement des médecins. Un autre grand point d’alerte, c’est l’apparition d’un problème de lisibilité. Nous craignons que les personnes les plus fragiles ne puissent plus embarquer dans le train ou soient exclues de leurs droits faute d’avoir accès à leurs données, à leur dossier patient informatisé puisqu’aujourd’hui, pour accéder aux soins de santé, il faut avoir un bon niveau de littératie numérique, il faut pouvoir se déplacer, chercher sur internet où trouver de bons soins. On n’a parfois plus de médecin généraliste ; on se rend aux urgences, mais ce n’est plus le bon endroit… Les repères ont bougé et on sent, avec la dématérialisation, que les patients sont perdus. Ce qui est compliqué aussi au niveau de la santé, c’est que tout est très lent. On a débuté il y a dix ans le dossier de remboursement pour la logopédie des personnes qui ont un niveau intellectuel inférieur à 65, et c’est aujourd’hui seulement que l’on commence à trouver des pistes de solutions.
La LUSS revendique l’empowerment du patient… et forme les soignants !
Oui, c’est-à-dire que le patient soit suffisamment outillé, informé pour prendre ses propres décisions. On sait que ce n’est pas toujours possible et que ça dépend d’un patient à l’autre, mais c’est l’idéal que nous souhaitons atteindre. Nous développons par ailleurs un projet de patient-formateur. En consultation, le médecin ne voit le patient qu’une dizaine de minutes et n’a pas toujours conscience du vécu durant toute une journée. Pour ouvrir le champ, des membres d’association de patients et de proches vont former les futurs soignants dans les hautes écoles et à l’université en leur exposant ce que c’est de vivre au quotidien avec une maladie chronique et tout ce que cela suppose.
Cet article est paru dans la revue:
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