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#vivre mieux : renforcer l’accessibilité aux soins


Santé conjuguée n°106 - mars 2024

Dans le précédent numéro de Santé conjuguée, la Coalition Santé présentait le premier volet de sa campagne #VivreMieux, axé sur une vision solidaire de la santé[1], et soulignait l’importance de défendre une approche large de la santé, celle-ci étant influencée par une multitude de facteurs. L’accessibilité aux soins constitue le second volet de la campagne : le système de soins de santé devrait permettre à chacune et à chacun de subvenir à ses besoins en santé. ------ 1. B. Dubois, « #VivreMieux : une vision solidaire de la santé », Santé conjuguée n° 103, décembre 2023.

Financière, géographique, administrative, culturelle : la question de l’accessibilité aux soins est complexe. Aujourd’hui, plusieurs tendances à l’œuvre mettent à mal cette accessibilité.

Une vision néolibérale nocive

Des logiques de marchandisation et de privatisation engendrent des inégalités importantes. L’un des exemples les plus marquants est sans doute celui de l’industrie pharmaceutique : l’absence de transparence en matière de régulation des prix des médicaments puisque leur prix est déterminé dans le cadre de négociations opaques plutôt qu’en fonction de leurs coûts réels de production. Cette opacité empêche les comparaisons entre les États et par conséquent leur coopération. Conséquences ? Des prix élevés pour certains médicaments, un bénéfice considérable pour les industries, un manque à gagner important pour la Sécurité sociale et un déficit d’accessibilité aux médicaments.
Cette course à la rentabilité financière se manifeste aussi dans les lieux de soins (hôpitaux, maisons de repos et maisons de repos et de soins, soins et aide à domicile). Elle se fait au détriment de l’accessibilité (la facture globale des patients en cas d’hospitalisation fait par exemple régulièrement l’objet de suppléments d’honoraires pour des séjours en chambres individuelles), mais aussi de la qualité de la prise en charge des personnes. Les soins de santé sont considérés comme un business à faire fructifier. La rentabilité est au centre du système et devient l’objectif à atteindre, au prix d’une diminution de l’accessibilité aux soins pour certains publics, en particulier les plus défavorisés. Les personnes exilées en situation irrégulière sont parmi les plus vulnérables et les plus confrontées à des barrières d’accès au système sociosanitaire.
La Coalition Santé place la solidarité, la coopération et l’égalité au centre de son projet de santé. Les besoins de santé de toutes les personnes vivant en Belgique doivent pouvoir être rencontrés, ce qui suppose de garantir à toutes et à tous un accès à des soins de qualité. Une logique d’universalisme proportionné (des services et actions pour toutes et tous, mais avec une ampleur et une intensité proportionnelles aux besoins) doit être appliquée au système afin de lutter contre les inégalités de santé.

Un financement suffisant

En Belgique, les dépenses publiques de santé représentent 10,7 % du PIB 1, ce qui est comparable, voire inférieur aux pays voisins. Ces dépenses doivent permettre de rembourser les honoraires médicaux, le financement hospitalier et les produits pharmaceutiques, ce secteur représentant près de 20 % des dépenses.
Aujourd’hui, le budget consacré aux soins de santé est trop souvent considéré comme une variable d’ajustement budgétaire alors qu’il devrait répondre aux besoins de la population et à des objectifs de santé publique. Les besoins de santé ne cessent d’augmenter sans que la norme de croissance imposée politiquement suive le mouvement, ouvrant la voie à des pratiques commerciales préjudiciables. Ce sous-financement des soins de santé conduit à une diminution de l’accessibilité et à des remboursements insuffisants, notamment pour les soins dentaires, la santé mentale, les lunettes, les appareils auditifs et certains médicaments. Conséquence ? Les Belges doivent supporter davantage de dépenses de santé (19 %) que dans nos pays voisins2.
Un financement suffisant est nécessaire pour répondre aux besoins d’une population qui vieillit et dont les inégalités en santé grandissent. Cet argent doit aussi répondre à des objectifs de santé publique et ne pas servir des intérêts privés. Un renforcement global de la Sécurité sociale, incluant un soutien financier accru pour les métiers de première ligne et les actions de prévention, est crucial afin de garantir un système de santé solide et durable.

Revaloriser les métiers de l’aide et du soin

La Belgique est confrontée à une grave pénurie de personnel dans le secteur des soins, causée par de mauvaises conditions de travail et des salaires insuffisants. Les réductions budgétaires ont entrainé une intensification des tâches dans toutes les professions du soin. Les logiques de rentabilité qui guident de trop nombreuses institutions ne laissent que peu de place à l’humain, ce qui constitue une source supplémentaire de démotivation. Le nombre de postes infirmiers laissés vacants augmente alors que près de la moitié des infirmières en soins intensifs de notre pays envisagent de démissionner en raison de la charge de travail insoutenable et des conditions de travail déplorables. La pandémie a mis en lumière ce phénomène autant qu’elle l’a accentué. Augmentation des cadences de travail, renforcement des risques de burn-out à l’hôpital : ces effets sur la santé et le bien-être au travail se font encore sentir aujourd’hui.
L’ensemble des métiers de l’aide et du soin sont touchés. Les rythmes et la charge de travail, combinés au stress de ces métiers et à une rémunération trop faible, n’attirent plus les jeunes. Le personnel manque donc, ce qui alourdit la charge de travail de ceux qui, à bout de souffle, sont toujours sur le pont. Au-delà du facteur humain, c’est tout le système de soins de demain qui est en danger.
Un plan ambitieux est nécessaire pour retrouver une société qui prend soin, pour améliorer l’attractivité des métiers de l’aide et du soin en proposant des conditions de travail et de rémunération dignes pour les professionnels de santé. Les systèmes de formation et de stage doivent également être revus pour offrir un encadrement adéquat et éviter l’abandon massif des étudiants dans ces filières professionnelles.

Renforcer la première ligne

Actuellement, l’assurance maladie obligatoire présente des lacunes. Au moins 1 % de la population n’est pas couverte, et ce chiffre monte à 2 % à Bruxelles 3. Autre chiffre interpellant : plus d’un tiers des Belges n’ont pas de médecin généraliste attitré, et cette situation empire avec la pénurie croissante de médecins généralistes dans tout le pays. En outre, la digitalisation croissante et le sous-financement des structures intermédiaires privent de nombreux individus de l’accès aux informations et à des conseils dispensés par des organismes de proximité tels que les mutualités.
La répartition des budgets au sein de l’INAMI favorise actuellement la seconde ligne de soins (hôpitaux, spécialistes) au détriment de la première (médecins généralistes, infirmières à domicile, aides à la vie journalière, maisons médicales, centres de planning familial, etc.). La première ligne est pourtant plus proche, plus adaptée aux besoins, plus préventive.
Par ailleurs, le mode de financement à l’acte des prestataires de soins entraine une multiplication des actes médicaux au détriment d’une approche globale et préventive de la santé, créant de fortes inégalités d’accès au système de soins. Ces inégalités entrainent à leur tour un engorgement des urgences hospitalières et des coûts élevés pour les traitements aigus.
La pandémie a souligné l’importance de mieux coordonner le système de soins, en le basant sur une première ligne solide et en garantissant l’accès de chaque citoyen à une équipe pluridisciplinaire locale pour répondre à ses besoins de santé. Cette approche doit permettre d’être plus proche de la population, de ses préoccupations et de la réalité de terrain afin de traiter les problèmes de santé préventivement et de permettre ainsi à la population de vivre en bonne santé.

Sécurité tarifaire

L’accès aux soins de santé est fortement influencé par les questions financières. Pour de nombreux patients, les soins sont devenus trop coûteux et représentent une part trop importante de leur budget annuel. En Belgique, certaines mesures comme le maximum à facturer (MAF), le statut BIM (bénéficiaire d’intervention majorée) ou le conventionnement des prestataires de soins assurent une protection des personnes les plus fragiles. On observe néanmoins que de plus en plus de professionnels de la santé choisissent de se déconventionner, fixant eux-mêmes leurs tarifs et augmentant les coûts à charge des patients. C’est notamment le cas pour un nombre croissant d’ophtalmologues (six sur dix ne sont pas conventionnés), de logopèdes (plus de 40 % ont refusé d’adhérer à la dernière convention) ou de kinésithérapeutes (le déconventionnement concernait 16,2 % de leurs actes en 2022 contre 3,4 % en 2016). Cette situation a un impact plus important sur les populations vulnérables, telles que les chômeurs, les personnes en incapacité de travail et les ménages à risque de pauvreté. Ces populations rencontrent des difficultés à payer leurs soins médicaux et finissent par renoncer à des soins pour des raisons financières.
La Coalition Santé défend la régulation des honoraires des prestataires, la suppression du conventionnement partiel et le renforcement des statuts protecteurs (BIM et MAF). D’autres modèles existent aussi et sont à promouvoir. Le système au forfait, par exemple, est essentiel pour améliorer l’accès aux soins et favoriser une approche interdisciplinaire et globale des soins.

La planification

Un système de santé efficace repose sur l’échelonnement des soins, qui hiérarchise les différentes lignes de soins de santé et encourage les patients à entrer dans le système par le niveau le plus « bas », généralement le médecin généraliste. Une première ligne forte permet de tisser un lien de confiance avec les patients, de développer une bonne connaissance des réalités de vie et d’être proche de la population pour répondre à ses besoins. Lorsque c’est nécessaire, cette première ligne est également capable de rediriger les personnes malades vers les spécialistes adéquats.
L’échelonnement favorise une vision globale des soins, intègre la promotion de la santé et réduit les coûts pour la Sécurité sociale. Pour ce faire, les soins de première ligne doivent être davantage planifiés et organisés. En effet, la situation de pénurie de médecins généralistes en Belgique témoigne d’une répartition inégale des médecins sur le territoire. Certaines zones sont moins bien desservies que d’autres, notamment les régions rurales et les quartiers défavorisés des grands centres urbains.
L’offre de soins doit être pensée en fonction des besoins en santé de la population. Il faut garantir dans chaque bassin de vie et de soins l’identification des besoins des populations, la formulation d’objectifs de santé publique en fonction de ces besoins et la capacité à y apporter des réponses. Cela nécessite une planification et une organisation des soins de première ligne, adaptées aux besoins de la population locale. La collaboration entre les différents niveaux de pouvoir doit être améliorée afin de mettre en œuvre ces politiques, qui devront prendre en compte les conditions géographiques, démographiques et socioéconomiques qui influent sur l’organisation des soins.

La Coalition Santé souhaite provoquer un tournant pour notre système de santé dès la prochaine législature. Un tournant urgent au vu de certaines situations dramatiques. La libéralisation et la recherche de bénéfices ne peuvent dicter les règles de notre système, car la santé est un droit fondamental que nous devons défendre pour toutes et tous.

 

En savoir plus ?
La Coalition Santé, connue jusqu’ici comme la Plateforme d’action santé-solidarité, est née en 2007 sous l’impulsion d’actrices et d’acteurs issus d’horizons divers, toutes et tous préoccupés par le droit à la santé, et qui ont décidé d’unir leurs forces afin de prévenir les conséquences des politiques néolibérales sur le plan social et sanitaire. Elle réunit aujourd’hui des représentants de syndicats, de mutuelles, du secteur associatif et d’ONG. Découvrez ses revendications, regroupées dans le Livre Blanc Notre alternative pour la santé, et parcourez le site web : www.coalitionsante.be.

  1. OCDE/European Observatory on Health Systems and Policies (2021), Belgique : Profils de santé par pays 2021, State of Health in the EU, OECD Publishing, Paris/European Observatory on Health Systems and Policies, Brussels.
  2. Données 2018, SPF Sécurité sociale, “The evolution of the social situation and social protection in Belgium 2020”, mars 2021.
  3. N. Bouckaert et al., Can people afford to pay for health care? New evidence on financial protection in Belgium. WHO Regional Office for Europe, 2023.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°106 - mars 2024

Introduction n°106

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- Claire Poinas