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Vapoter pour ne plus fumer ?

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Santé conjuguée n°106 - mars 2024

En 2004, un pharmacien chinois a mis au point un nouveau système de délivrance de nicotine permettant de contourner la problématique de la combustion qui engendre la production de goudrons et de monoxyde de carbone, principaux responsables des maladies cardiovasculaires et pulmonaires. Cette alternative à la cigarette classique est appelée eCigarette, cigarette électronique, vapoteuse ou vape.

Le commerce de l’eCigarette connait un essor en Belgique à partir de 2016 suite à l’application de la directive européenne marquant sa libéralisation. L’explosion de l’usage de la vapoteuse ainsi que sa place en tant que dispositif de réduction des risques – voire d’outil d’aide à l’arrêt du tabagisme – ont entrainé une diminution du chiffre d’affaires de l’industrie du tabac dont la réaction fut de mettre en place de nouvelles stratégies, notamment le rachat ou la production de produits électroniques et l’élaboration d’un nouvel arsenal marketing.

Fonctionnement et composition de l’eCigarette

La vapoteuse est constituée d’une batterie, d’une résistance en contact avec l’eLiquide et d’un embout buccal. Le principe est similaire pour tous les modèles. La batterie chauffe la résistance qui, en contact avec l’eLiquide, le transforme en vapeur inhalée par le consommateur. L’eLiquide est composé de glycérine végétale et de propylène glycol, des produits que l’on retrouve entre autres dans les cosmétiques. Chauffés à des températures inférieures à 200 degrés, ces composés sont transformés en vapeur. Il n’y a donc ni combustion ni production de fumée. Notons également la présence d’arômes alimentaires pour apporter un goût plaisant, d’eau pour fluidifier le liquide et éventuellement de nicotine à divers taux.

Et la toxicité ?

Un poumon est naturellement conçu pour respirer de l’air. Toute autre substance inhalée est donc potentiellement nocive. Cependant, pour un fumeur qui aspire une fumée composée de plus de 7 000 substances toxiques et/ou cancérigènes issues de sa cigarette combustible, inhaler de la vapeur semble préférable en termes de réduction des risques…
Le ministère de la Santé anglais a publié en 2015 un résumé des études portant sur la toxicité des eCigarettes : vapoter serait au moins 95 % moins nocif que fumer 1. En 2022, il a mis à jour les résultats : à court et moyen terme, le vapotage représente une petite fraction des risques du tabagisme. Vapoter n’est pas sans risque, surtout pour les personnes qui n’ont jamais fumé. Les preuves sont néanmoins principalement limitées aux effets à court et moyen terme ; des études évaluant le vapotage à plus long terme (plus de douze mois) sont nécessaires2. D’autres études stipulent quant à elles qu’un eLiquide chauffé à forte température entraine la production de formaldéhyde (cancérigène) et d’acroléine (toxique)3.
Il existe des milliers d’arômes sur le marché 4. Les plus sucrés contiennent plus d’additifs aromatisants que les arômes de tabac et de menthol 5. De plus, la chauffe des liquides à saveurs sucrées entrainerait la formation de furanes toxiques6.

 

L’eCigarette, efficace dans le cadre d’un sevrage ?

La revue Cochrane de janvier 2024 mentionne que les vapoteuses avec nicotine augmentent les taux d’arrêts par rapport aux substituts nicotiniques 7. Le dosage juste de nicotine est évidemment un paramètre déterminant afin d’éviter les symptômes de manque ainsi qu’un comportement compensatoire qui se marquerait par une quantité plus importante d’eLiquide inhalé8.
Il existe deux types de nicotine pour les eCigarettes : la nicotine libre et les sels de nicotine. Les sels de nicotine, moins irritants en bouche, permettent par ailleurs une délivrance de nicotine au cerveau fort semblable à celle d’une cigarette combustible. Bien que cela apparaisse particulièrement problématique dans le cas d’une consommation par un non-fumeur étant donné leur caractère plus addictif que la nicotine libre, ils sont en revanche particulièrement adaptés pour les patients fumeurs très nicotino-dépendants qui souhaitent arrêter de fumer sans signes de sevrage 9.
Pour un sevrage, il est important de choisir une eCigarette qui ne chauffe pas trop le liquide afin d’éviter la production d’acroléine et de formaldéhyde, des eLiquides pas trop sucrés afin d’éviter la production de furanes toxiques et de limiter le nombre d’additifs aromatisants, de même que le bon dosage de nicotine afin d’éviter tout symptôme de manque.
Lors d’un arrêt tabagique, les substituts nicotiniques seront utilisés en première intention, et le bupoprion ou la varénicline (indisponible pour l’instant en Belgique) en deuxième intention. La eCigarette sera envisagée seulement dans certains cas, de préférence en combinaison avec un substitut nicotinique et seulement si les autres méthodes se sont révélées inopérantes. De plus, comme le recommande entre autres l’Organisation mondiale de la Santé, on évitera la vapoteuse chez les femmes enceintes et chez les jeunes10. Pour information, il existe depuis 2019 des consultations spécifiques à la vapoteuse au centre d’aide aux fumeurs de l’hôpital de la Citadelle de Liège.

Les jeunes face au vapotage

La délivrance de nicotine par les sels de nicotine dans les cigarettes électroniques de dernières générations étant très semblable à celle d’une cigarette combustible, les entreprises cigarettières ont vu là un moyen de compenser la baisse des ventes du tabac classique et ont commencé à investir dans ces nouveaux produits, les présentant comme « plus responsables », « à risque réduit » et destinés aux fumeurs qui souhaitent arrêter de fumer. Leur objectif annoncé était de remplacer le tabac fumé par un produit « plus sûr », mais leur stratégie commerciale nous pousse à nous interroger sur le public réellement visé.
Le cas des puffs – les eCigarettes jetables apparues en 2019 – pose particulièrement question. La promotion qui en est faite par des influenceurs sur les réseaux sociaux (dont TikTok utilisé surtout par des ados et préados), leur prix démocratique, leur facilité d’utilisation (prêtes à l’emploi), leur format compact, leur design tendance et la panoplie d’arômes très attractifs (barbe à papa, bubble-gum, fruits, etc.) participent à favoriser l’initiation des jeunes en créant un appel et en diminuant la perception des risques.
Une enquête sur l’utilisation de la puff a été menée par le FARES entre le 10 et le 25 juin 2022 auprès de 259 jeunes âgés de 11 à 24 ans 11 : 65 % d’entre eux connaissaient la puff ; 60 % identifiaient les points de vente (night shop, internet, réseaux sociaux…) et 90 % des utilisateurs en appréciaient le goût, l’odeur et la variété des arômes. La Fondation contre le cancer a également réalisé une enquête sur les jeunes et le vapotage en 2023 12 : 86 % des quinze-vingt ans qui vapotaient utilisaient les puffs et 72 % des jeunes de la même tranche d’âge qui vapotaient utilisaient principalement des produits contenant de la nicotine. D’après cette enquête, le vapotage pourrait être un tremplin majeur vers le tabagisme chez les jeunes. La plupart des puffs étant composées de sels de nicotine hautement addictifs, les jeunes risquent de devenir plus rapidement dépendants, la nicotine ayant en outre un impact négatif sur les cerveaux en développement13.

Quelles recommandations ?

Le Conseil supérieur de la Santé (CSS) a publié en juin 2022 des recommandations par rapport à l’eCigarette14: elle n’est pas sans risque, mais elle est considérée comme moins nocive qu’une cigarette classique. Elle peut être utilisée comme aide au sevrage tabagique. Par contre, elle est déconseillée pour les non-fumeurs et en particulier pour les jeunes.
Il est donc important de mieux informer les fumeurs envisageant l’usage de l’eCigarette comme moyen d’aide à l’arrêt ou en tant qu’alternative offrant une réduction des risques (en les orientant, si cela s’y prête, vers des cigarettes électroniques de troisième génération, voire de quatrième génération, mais en déconseillant la puff). En parallèle, il convient bien de continuer à protéger les non-fumeurs, les jeunes en particulier, du vapotage et de son possible corollaire pour cette population : le tabagisme. Dans cette optique, la Belgique a d’ailleurs entrepris d’interdire la puff dès 2025.

  1. A. McNeill et al., E-cigarettes: an evidence update, report commissioned by Public Health England, 2015.
  2. Nicotine vaping in England: 2022 evidence update main findings, www.gov.uk.
  3. R. Dusautoir et al., « Comparaison de la composition chimique des aérosols des produits du tabac chauffés, des cigarettes électroniques et des cigarettes de tabac et de leurs effets toxiques sur les cellules épithéliales, bronchiques, humaines », BEAS-2B cells, Journal des Matériaux dangereux Vol. 401, 5 janvier 2021.
  4. EJZ Krüsemann et al., « An E-Liquid Flavor Wheel: A Shared Vocabulary Based on Systematically Reviewing E-Liquid Flavor Classifications in LiteratureNicotine”, Tob Res, 2019 Oct ; 21(10).
  5. CD Czoli et al. “Identification of flavouring chemicals and potential toxicants in eCigarette products in Ontario, Canada”, Can J Public Health 2019;110.
  6. S. Soussy et al., “Detection of 5-hydroxymethylfurfural and furfural in the aerosol of electronic cigarettes”, Tob Control 2016;25.
  7. N. Lindson et al., “Electronic cigarettes for smoking cessation”, Cochrane Database of Systematic Reviews, 2024.
  8. L. Kosmider et al., “Compensatory puffing with lower nicotine concentration e-liquids increases carbonyl exposure in E-cigarette aerosols”, Nicotine Tob Res, 2018;20(8).
  9. VV Gholap et al., “Nicotine forms: why and how do they matter in nicotine delivery from electronic cigarettes?” Expert Opin Drug Deliv., 2020;17.
  10. OMS, Tabac : cigarettes électroniques, Q&R, 19 janvier 2024, www.who.int.
  11. Résultats complets sur www.aideauxfumeurs.be.
  12. Résultats complets sur https://cancer.be.
  13. F. Musso et al., “Smoking and impacts on prefrontal attentional network function in young adult brains”, Psychopharmacologie, 2007 ;191 (1).
  14. Cigarette électronique : évolution, avis du Conseil supérieur de la Santé, CSS n° 9549, juin 2022.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°106 - mars 2024

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