Les personnes ayant un trouble de l’addiction peinent à accéder aux soins et c’est d’autant plus vrai pour celles qui consomment des produits illicites, trop souvent victimes de stéréotypes et d’(auto)stigmatisation. Parmi elles, les femmes sont plus éloignées encore que les hommes du système de santé. La médecine générale de première ligne n’échappe pas à ce constat, et nombreuses sont les pistes à creuser pour améliorer l’accompagnement des consommateurs dits problématiques : réhumanisation de la relation de soin, développement des approches multidisciplinaires, prise en compte d’une santé globale dans toutes ses dimensions biopsychosociales. Agir sur les usages problématiques de substances psychoactives impose aussi de se décentrer de la pratique soignante afin d’appréhender les impacts d’un environnement global (législatif, économique, social ou culturel) sur ces situations.
Tantôt occultées ou interdites, tantôt réservées à un usage médicinal, tolérées voire socialement acceptées, les substances psychoactives sont utilisées depuis la nuit des temps pour des motifs rituels, spirituels, thérapeutiques ou récréatifs. Impulsé par les États-Unis et les conventions internationales, le dispositif répressif actuel envers la plupart des drogues a (eu) pour fonction la régulation de l’ordre social, avec pour effet une stigmatisation et une criminalisation des consommateurs. Ceux qui font le plus les frais de la pénalisation sont les plus fragilisés d’entre eux : les personnes sans titre de séjour, en détention ou sans logement, pour qui les barrières d’accès aux dispositifs sociosanitaires sont les plus fortes.
Si l’on évoque souvent les effets délétères du marché noir des drogues, c’est parce que nous en sommes les témoins dans l’espace public (précarité, deal, violences). Les acteurs marchands actifs dans les drogues légales ne sont pourtant pas en reste en matière de méfaits. Les industries de l’alcool, du tabac, mais aussi des jeux de hasard et d’argent font montre d’ingéniosité pour vendre leurs produits à tout va, au détriment de la santé publique. Autres substances employées de façon abusive et présentant des risques d’accoutumance et de dépendance : les médicaments qui visent à traiter les troubles dépressifs, anxieux, de la douleur, du sommeil ou de l’attention. Des pathologies dont le marché privé a flairé les juteux bénéfices qu’il pouvait engranger.
Les politiques régulatoires des drogues, légales comme illégales, doivent aujourd’hui se renouveler afin de replacer la santé au centre des préoccupations. De la même manière, c’est l’ensemble des facteurs sociaux favorisant le recours à des pratiques addictives (inégalités socioéconomiques, violences de genre, délitement du lien social, mauvaises conditions de travail, société d’hyperconsommation, etc.) qui doit être pris en considération au sein d’une politique et de pratiques de prévention ambitieuses, dans une visée d’amélioration du bien-être et de la qualité de vie de toutes et tous. Car les (més)usages de drogues, au-delà de leurs composantes individuelles biomédicale et psychique, sont surtout un puissant révélateur social.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°106 - mars 2024
Introduction n°106
Les personnes ayant un trouble de l’addiction peinent à accéder aux soins et c’est d’autant plus vrai pour celles qui consomment des produits illicites, trop souvent victimes de stéréotypes et d’(auto)stigmatisation. Parmi elles, les femmes sont(…)
Pathologie multiple, soin global
Comment s’est dessiné, en Belgique francophone, le paysage de l’accompagnement de l’usage problématique de substances psychoactives ? D. L. : J’ai commencé mon activité de médecin en 1984. Très vite, j’ai été confronté à des jeunes dépendants(…)
Rites, cultures et traditions
Les origines de l’usage de substances psychoactives remontent aux prémices de l’humanité. En explorant et expérimentant la flore à des fins alimentaires, les premiers hominidés ont découvert que la consommation de certaines plantes ou champignons engendrait(…)
De la démédicalisation à la criminalisation
Avant le XXe siècle, la Belgique, comme d’autres pays européens, ne semble pas confrontée à la consommation de drogues qui reste confinée au monde médical. Le vocable drogue y apparait de manière parcimonieuse et avec une telle(…)
Un modèle pour soigner plutôt que punir
La Fédération bruxelloise des institutions spécialisées en matière de drogues et d’addictions (fedabxl.be) propose l’ébauche d’une filière social-santé complémentaire au cadre pénal actuel, avec la volonté de remettre la santé au cœur de la politique drogues(…)
Alcool : la fiction de la modération
Dry january, Tournée minérale, Défi de janvier : originaire du Royaume-Uni, où l’on pratique le mois sans alcool depuis 2013, le concept s’est répandu dans plusieurs pays. En Belgique, la ATournée minérale touche chaque année de 16(…)
Vapoter pour ne plus fumer ?
Le commerce de l’eCigarette connait un essor en Belgique à partir de 2016 suite à l’application de la directive européenne marquant sa libéralisation. L’explosion de l’usage de la vapoteuse ainsi que sa place en tant que(…)
Jeux de perdition
L’addiction au jeu de hasard et d’argent est un trouble caractérisé par un besoin irrépressible de jouer, malgré ses conséquences négatives sur le plan personnel, professionnel, financier et social. Les personnes concernées sont incapables de contrôler(…)
Consommer à moindre risque
Les salles de consommation à moindre risque (SCMR) ne sont pas là pour endiguer la problématique croissante des usages de drogues dans nos villes. Non plus pour arracher les consommateurs et les consommatrices des griffes de(…)
Renforcer les pratiques de prévention
Dans le cadre de l’évolution récente du secteur social-santé bruxellois, il apparait essentiel aujourd’hui d’interroger l’articulation possible entre les différents acteurs de terrain, de confronter des cultures de travail sectorielles et de construire des communautés de(…)
Exil et addictions
L’équipe Artha voit le jour en automne 2019 : une équipe mobile du projet Lama qui vise à accompagner des usagers de drogues en situation d’exil et de vulnérabilités. Dans un premier temps, le projet se(…)
Le marché de l’addiction
Indiqués dans le traitement de problèmes psychologiques graves, les médicaments psychotropes agissent sur l’activité cérébrale en modifiant certains processus biochimiques et physiologiques. Largement prescrits en Amérique du Nord et en Europe, ils visent à soulager la(…)
Actualités n° 106
Le 8 mars
C’est désormais un rendez-vous régulier pour la Fédération des maisons médicales, comme pour les millions de femmes dans le monde qui se font entendre (un peu plus fort) ce jour-là. C’est l’occasion de rappeler à quel(…)
Dave Sinardet : « Nos réformes de l’État, c’est un mouvement perpétuel »
La santé est-elle une priorité politique à l’agenda des prochaines élections ? D. S. : La thématique du bien-être et des soins touche le cœur de la vie des gens. Beaucoup ont des problèmes de santé physique ou(…)
Résonance
La résonance, c’est une relation harmonieuse au monde pour répondre à la crise actuelle qui est multiforme : écologique (relation au monde), démocratique (relation aux autres) et psychologique (relation à soi). La question fondamentale « Qu’est-ce qu’une vie(…)
#vivre mieux : renforcer l’accessibilité aux soins
Financière, géographique, administrative, culturelle : la question de l’accessibilité aux soins est complexe. Aujourd’hui, plusieurs tendances à l’œuvre mettent à mal cette accessibilité. Une vision néolibérale nocive Des logiques de marchandisation et de privatisation engendrent des inégalités(…)