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Jeux de perdition


Santé conjuguée n°106 - mars 2024

Divertissement, recherche d’adrénaline ou espoir de gains… le jeu a toujours fait partie intégrante de la société. Cependant, cette fascination révèle une facette complexe et préoccupante de la psychologie humaine : l’addiction. Aujourd’hui, cette problématique revêt une importance particulière dans le domaine de la santé mentale, nécessitant une compréhension approfondie de ses mécanismes, des risques qu’elle engendre et de son impact sur la société et les plus jeunes.

L’addiction au jeu de hasard et d’argent est un trouble caractérisé par un besoin irrépressible de jouer, malgré ses conséquences négatives sur le plan personnel, professionnel, financier et social. Les personnes concernées sont incapables de contrôler leurs comportements, ce qui entraine une détérioration significative de leur qualité de vie. Pour poser un diagnostic d’addiction au jeu, une personne doit répondre à au moins quatre des neuf critères suivants au cours d’une période d’un an :

  • Le besoin de jouer avec des sommes d’argent de plus en plus importantes pour atteindre l’excitation désirée.
  • L’irritabilité ou l’agitation lors des tentatives de réduction ou d’arrêt de la pratique.
  • La présence de tentatives infructueuses de contrôler, réduire ou arrêter le jeu.
  • Des préoccupations constantes liées au jeu, que ce soit en revivant des expériences passées, en planifiant les prochaines sessions de jeu ou en pensant à la manière d’obtenir de l’argent pour jouer.
  • Jouer pour gérer le stress, l’anxiété, la dépression ou un sentiment de détresse ou de mal-être.
  • Retourner jouer après avoir subi des pertes pour se refaire.
  • Mentir à propos du jeu, de l’argent perdu ou gagné, ou dissimuler l’ampleur réelle du comportement de jeu aux autres.
  • Mettre en danger ou perdre une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d’étude ou de carrière à cause du jeu.
  • Compter sur les autres pour obtenir de l’argent et se sortir de situations financières désespérées dues au jeu.

Les causes de l’addiction au jeu

Complexes et multifactoriels, les mécanismes à l’œuvre impliquent souvent des facteurs biologiques, psychologiques et environnementaux. Certaines personnes peuvent être génétiquement prédisposées à développer une dépendance au jeu, tandis que d’autres sont influencées par des facteurs environnementaux tels que le stress, la dépression ou des évènements traumatiques.
Sur le plan biologique, l’addiction au jeu est associée à des altérations dans le système de récompense du cerveau, notamment une libération excessive de dopamine, le neurotransmetteur associé au plaisir et à la récompense. Cette réaction renforce le comportement de jeu, car les personnes recherchent continuellement cette sensation de plaisir intense.
Sur le plan psychologique, la théorie de l’excitation propose que des personnes recherchent des sensations fortes et des émotions intenses, ce qui les pousse à jouer de manière compulsive pour retrouver ces sensations. La théorie de l’évitement suggère que le jeu soit utilisé comme mécanisme d’adaptation pour échapper à des problèmes émotionnels ou à un sentiment de vide intérieur.
Sur le plan environnemental, l’accessibilité accrue aux jeux de hasard et d’argent joue un rôle majeur dans le développement de l’addiction. Les casinos, salles de jeux, agences de paris, librairies, les cafés et applications mobiles offrent une variété de possibilités de jeu, le rendant plus accessible que jamais. Avec l’avènement d’internet et des smartphones, il est désormais possible de jouer à tout moment et en tout lieu, ce qui accroît considérablement le risque d’addiction pour de nombreuses personnes. Le rôle de la société dans ce phénomène d’ampleur croissante ne peut être ignoré. Les industries du jeu investissent massivement dans le marketing pour attirer de nouveaux joueurs et encourager la fidélité des joueurs existants. Les publicités, les offres promotionnelles et les programmes de fidélisation contribuent à normaliser le jeu et à le rendre socialement acceptable. En ce sens, en Belgique, des lois et des projets de loi tentent de réguler ces différents aspects1

Impacts des troubles liés au jeu

Les joueurs compulsifs peuvent accumuler des dettes colossales, entrainant des problèmes financiers graves (faillite, surendettement, perte de logement…). Sur le plan personnel, l’addiction au jeu peut entrainer des problèmes de santé mentale (dépression, anxiété, suicide dans les cas extrêmes). Sur le plan social, les relations familiales et amicales peuvent être gravement affectées, entrainant l’isolement et la stigmatisation.

L’adolescence, période de vulnérabilité

L’ado aspire à trouver son identité. Il tente de s’affranchir du lien de dépendance aux parents en affirmant ses propres désirs par la recherche de nouvelles figures d’identification, mais aussi de nouvelles expériences, associant souvent une certaine résistance aux règles.
Dans un désir d’émancipation vis-à-vis des parents et d’intégration dans un groupe de copains, avec la recherche de leur reconnaissance, l’adolescence constitue une phase de curiosité, de prise de risque et de défis. Les jeunes sont aussi particulièrement sensibles à la publicité et au marketing, très présents pour les sites de jeux en ligne notamment. Ces dernières années, les jeux de hasard et d’argent se sont immiscés dans le paysage ambiant par le biais des médias numériques avec pour conséquence une offre plus grande et une disponibilité 24 heures sur 24. Ces facteurs ont un impact sur la place grandissante qu’occupe cette pratique chez les adolescents malgré l’interdiction d’accès aux mineurs, encore trop facilement contournable.

Traiter l’addiction au jeu

La thérapie cognitive et comportementale (TCC) est l’une des approches les plus courantes pour traiter le jeu excessif. Elle vise à identifier et modifier les pensées et les comportements problématiques liés au jeu. Les techniques incluent la formation à la gestion du temps et de l’argent, la modification des schémas de pensée négatifs et le développement de stratégies de résolution de problèmes pour faire face aux déclencheurs. Le jeu peut être perçu comme une tentative d’automédication à d’autres troubles ou difficultés de vie. La thérapie va également se concentrer sur ces facteurs afin d’aider les personnes à trouver d’autres stratégies plus efficaces pour y faire face. La participation à des séances de thérapie de groupe, avec d’autres gens confrontés au même problème, peut être bénéfique en leur permettant de partager leurs expériences, de recevoir un soutien mutuel et de se sentir moins seules dans leur lutte contre le jeu excessif. Une médication peut être prescrite pour traiter les symptômes associés, tels que l’anxiété et les troubles de l’humeur. La médication n’est pas considérée comme un traitement principal, plutôt comme un complément à d’autres formes de thérapie. Impliquer la famille et l’entourage dans le processus de rétablissement peut être extrêmement utile. Le soutien social peut aider à renforcer la motivation à changer. La gestion des finances est également centrale dans le traitement, incluant la création d’un budget, la mise en place de limites de dépenses et la gestion des dettes en partenariat avec des services de médiation. En parallèle, la Commission des jeux de hasard et d’argent propose des mesures d’auto-exclusion ou d’exclusion par un tiers2 Le joueur ne peut dès lors plus entrer dans un casino ou une salle de jeux ni se connecter en ligne sur les sites de jeu régulés par l’État belge.
L’addiction au jeu nécessite une approche holistique passant par la sensibilisation du public et des jeunes aux dangers du jeu excessif, la mise en place de programmes de prévention et de traitement efficaces et la réglementation stricte de l’industrie pour limiter son impact négatif sur les individus et la société dans son ensemble.

 

  1. Notamment la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs.
  2. https://gamingcommission.be.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°106 - mars 2024

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