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Travail social et santé : une combinaison gagnante


Santé conjuguée n°107 - juin 2024

La (bonne) santé n’est pas uniquement liée à des facteurs génétiques et biologiques. Elle est considérablement tributaire des déterminants sociaux. Ces deux dimensions se pensent ensemble, et cette synergie est essentielle pour fournir des soins de qualité, améliorer les conditions de vie et donc la santé des patients.

Les maisons médicales pratiquent des soins globaux, intégrés, continus et accessibles. Ces soins impliquent les dimensions sociales, autrement dit les aspects liés à l’environnement, à la société, aux conditions de vie et aux facteurs socioéconomiques dans lesquels évoluent les individus et qui les influencent. Des domaines assez vastes et le plus souvent complexes dont il faut se saisir pour ne pas réduire l’humain à un corps à réparer.

Les déterminants de la santé

Les déterminants sociaux de la santé sont des facteurs qui influencent l’état de santé d’une population. Ils sont de nature sociale et économique, et ils affectent le bien-être physique et émotionnel des individus. Parmi ceux-ci, citons l’éducation, le logement, le revenu et le statut social, l’emploi et les conditions de travail, la culture, le lien social… Ils déterminent la santé de la population dans son entièreté. Ces facteurs sont loin d’être inconnus et pourtant ils sont encore trop peu pris en compte par les politiques de santé, qui restent largement focalisées sur les soins curatifs. La promotion de la santé qui, comme la définit l’Organisation mondiale de la santé1, « représente un processus social et politique global, qui comprend non seulement des actions visant à renforcer les aptitudes et les capacités des individus, mais également des mesures visant à changer la situation sociale, environnementale et économique, de façon à réduire ses effets négatifs sur la santé publique et sur la santé des personnes », reste quant à elle encore sous-financée, alors que – nous le constatons chaque jour dans nos pratiques de terrain – soigner l’individu sans prendre en compte l’environnement consiste à appliquer un emplâtre sur une jambe de bois.

Quelques exemples

Mr Aziz2 est électricien. En 2018, il fait un accident vasculaire cérébral (AVC) qui a provoqué une perte massive de ses facultés. S’ensuivent une longue hospitalisation et une revalidation d’une durée d’un an. Monsieur est tiré d’affaire, mais garde des séquelles et une perte de mobilité et de fluidité du langage. Il ne peut plus travailler, ses revenus d’invalidité sont inférieurs à son salaire antérieur. Ses charges continuent de rester stables, mais les frais médicaux ne font que croitre. Il n’arrive plus à payer ses factures, s’endette jusqu’à devoir introduire une requête en médiation judiciaire assez rigoureuse, qui ne lui laisse que peu de marge. Sa compagne le quitte, il reste seul, sans emploi et donc sans activité et avec insuffisamment de moyens pour honorer la pension alimentaire qu’il doit verser mensuellement à ses enfants. Lorsqu’il rencontre l’assistante sociale, il est dépassé, il ne répond plus à ses courriers, ce qui ne fait qu’envenimer les rapports avec le médiateur de dettes. Cela déclenche chez lui une forte anxiété qui aggrave les séquelles de son AVC et ralentit son rétablissement. Les contacts avec le médiateur sont compliqués, la communication entre eux est fortement détériorée, ce qui envahit le patient au point de le détourner de ses soins. Au fur et à mesure, un accompagnement se met en place, les malentendus se dissipent et Monsieur peut retrouver un peu de sérénité pour continuer son traitement quotidien.
C’est un peu ce qui est arrivé à Mr Michel, homme brillant dont la carrière trépidante l’a emmené d’une entreprise à une autre, il a gravi les échelons, voyagé sur plusieurs continents, rencontré des personnages célèbres. Très entouré, sociable, investi et gourmand de la vie, il la dévorait à pleines dents. Un jour, un problème de santé l’a terrassé, il s’est retrouvé hospitalisé, abimé et incapable de reprendre une activité professionnelle. Ce fut le début d’une chute vertigineuse, car, après avoir définitivement perdu sa santé, il a perdu son logement ainsi que sa compagne, qui n’a pas supporté les conséquences de cet incident. Cet homme à qui tout réussissait s’est retrouvé plusieurs mois à la rue. Ses revenus de handicapé lui suffisent à peine pour survivre dans un petit studio dans lequel il entasse ses maigres biens, ses souvenirs qu’il n’arrive ni à trier ni à ranger, et qui ne laisse aucun espace à une vie relationnelle. Ses problèmes de santé ont provoqué une multitude de pertes : sociale, financière, de logement… Il s’agissait pour lui d’être soutenu dans tous ces aspects afin de reprendre pied et trouver un nouvel équilibre, mais aussi une nouvelle identité. Un accompagnement soutenu a été nécessaire afin d’arriver à le soulager des effets des pertes successives.
Mme Fatima est maman solo de deux enfants. Elle cumule plusieurs boulots pour joindre les deux bouts, car elle ne perçoit aucune pension alimentaire du père de ses enfants. Sa vie bascule lorsqu’elle est victime d’un accident de roulage en revenant du travail. S’ensuivent des mois de combats pour acter qu’il s’agit d’un accident de travail, avec un employeur qui se soustrait à toutes ses obligations et qui tarde à faire intervenir l’assurance. Entre-temps, les factures s’accumulent, dont le loyer, ce qui amène assez rapidement le propriétaire à mettre fin au contrat de bail. À ses douleurs physiques et psychiques viennent s’ajouter d’innombrables batailles juridiques et administratives, des passages en maison d’accueil et des appels incessants pour retrouver un toit. L’accompagnement social est venu se greffer au le suivi médical, en complémentarité et en continu. Retrouver des revenus et un logement lui a permis de rebondir et se rétablir.
Mme Tina consulte fréquemment pour des migraines qui la paralysent. Au fil des consultations, elle finit par aborder des problèmes conjugaux, des violences intrafamiliales qui se déroulent quotidiennement dans un espace de vie exigu. Elle dort sur le canapé, elle se plaint de douleurs dorsales. Elle vit dans la terreur, sans échappatoire. Elle ne travaille pas, n’a aucun revenu, son époux la menace de lui retirer ses enfants si jamais elle ose se soustraire à cette vie infernale. Elle arrive à peine à honorer ses rendez-vous, car les douleurs provoquent des amnésies. Le travail social ouvrira des espaces à partir d’une information objective sur ses droits et sur les aides possibles, ce qui lui permettra de reprendre confiance en elle, de se sentir soutenue et d’entamer un parcours de libération.

Agir sur la santé individuelle et globale

Ces exemples, parmi tant d’autres, illustrent la manière dont les problèmes de santé ont des effets sur la vie sociale et relationnelle. Et inversement. On pourrait également citer les nombreuses personnes âgées, isolées, en perte cognitive, qui en plus des soins nécessitent de (re)trouver un environnement suffisamment sécure, des aides à domicile et des stimulations quotidiennes. S’ajoutent également toutes les personnes souffrant d’addictions, dont le parcours de réhabilitation résultera d’une combinaison nécessaire entre le traitement médical, psychothérapeutique et social. Mais aussi des adolescents en souffrance liée à un décrochage scolaire, pour lesquels les premiers signaux d’alerte se vérifieront à travers les nombreuses demandes de certificat médical, et nécessiteront des interventions au niveau de l’école, de la famille, des services d’aide à la jeunesse… Plus petits déjà, des enfants ayant un trouble de l’attention ou du langage interrogent la manière dont la famille pourra faire face à des difficultés d’adaptation dans une école, qui nécessitent un soutien social et financier important. Les innombrables mal-logés, qui souffrent de multiples pathologies liées à leur lieu de vie délabré, encombré, inadapté, dont le traitement ne pourra se limiter à des visites médicales, mais s’étendra aussi et surtout à un processus qui vise à agir sur l’environnement lui-même. Ceux-là mêmes qui passent de médecins à travailleurs sociaux afin de retrouver une qualité de vie, car le logement est un déterminant majeur de la santé3. Agir individuellement et aussi collectivement sur tous les déterminants est une nécessité absolue et influence de facto le bien-être de nos publics. C’est un processus dont les actions se répandent à chaque étage, avec toutes les ressources disponibles. Il est impossible d’agir seul, d’où l’importance d’une équipe qui pense ensemble la santé et ses déterminants sociaux en vue d’établir le projet thérapeutique.

Travailler le social en maison médicale

Le travail social en maison médicale consiste à ramener la question sociale au cœur du soin curatif ou préventif, en intégrant une compréhension approfondie des déterminants sociaux de la santé. Le travail vise non seulement à soulager les symptômes des problèmes de santé, mais aussi à s’attaquer à leurs causes profondes. Les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales contribuent ainsi à la réduction des inégalités en matière de santé. Il s’agit de travailler sur les déterminants sociaux, non pas de manière isolée, mais en concertation avec les autres disciplines. En effet, les problématiques sociales ne peuvent se solutionner sans qu’il y ait un dialogue ouvert et une collaboration soutenue avec les autres disciplines curatives. De la même manière, certains soins ne peuvent aboutir si les conditions de vie sont délétères, si les revenus sont insuffisants, si le frigo reste vide, si l’accès aux droits est entravé. C’est dans ces allées et venues entre la sphère médicale et la sphère sociale qu’un parcours de réhabilitation pourra se déployer. Chacune et chacun à partir de sa discipline, les intervenants du social-santé sont amenés à collaborer et s’ouvrir à l’autre en complémentarité.

Des maisons de santé aux bassins de soin

La prise en compte de l’importance de cette interdépendance, des déterminants, de l’environnement et du milieu a donné vie à de nouvelles initiatives locales et régionales. Ces projets assez ambitieux visent à créer des ponts, des collaborations et une plus grande fluidité entre les différents services et disciplines au niveau local, de quartier, communal et régional. En filigrane, il s’agit de sortir des logiques de silo et de cloisonnement dans lesquelles les différents services se sont construits au fil des années. Une nouvelle cartographie des soins basée sur des bassins est en train de se dessiner, dans laquelle les dimensions médicales, sociales et psychologiques s’imbriquent pour travailler de concert.
À Bruxelles, où les inégalités sociales et de santé sont importantes et les défis à relever tout autant, ces initiatives portent le nom de plan social santé intégré (PSSI)4. Elles visent à améliorer le bien-être et la santé des habitants, à améliorer la qualité de vie et réduire les inégalités sociales de santé. Certaines zones sont plus défavorisées que d’autres et ces inégalités ont tendance à se renforcer mutuellement. L’accès aux soins est rendu complexe à de nombreux habitants qui se débattent chaque jour pour subvenir à leurs besoins. Ce phénomène touche une part importante des personnes en situation de précarité, creusant les inégalités sociales et de santé, mais il affecte progressivement aussi les classes moyennes. Le report de soins à Bruxelles est un phénomène préoccupant. Selon des études récurrentes5, un nombre significatif de patients retardent ou annulent leurs soins médicaux en raison de contraintes financières ou du manque d’accessibilité à des services de santé. Un phénomène particulièrement exacerbé pendant et depuis la pandémie du Covid-19. C’est tout l’intérêt de travailler ensemble, en synergie et en complémentarité, afin de favoriser l’accès d’une structure à l’autre, afin d’aider les personnes aux prises avec des situations complexes dans leur entièreté. Les bassins d’aide et de soins, tels qu’ils ont été pensés dans le cadre du PSSI, couvrent chacun un territoire regroupant 200 000 à 300 000 habitants. L’objectif est de développer une organisation cohérente et coordonnée de soins et d’accompagnement social-santé en collaboration avec les quartiers et la Région.

Jamais l’un sans l’autre

Le travail social et la santé sont deux domaines interreliés qui peuvent simultanément ouvrir des perspectives de solutions aux défis complexes auxquels sont confrontées les personnes et les communautés. La reconnaissance de l’importance des déterminants sociaux de la santé dans le suivi individuel et la promotion d’une approche collaborative au niveau local et régional continueront de renforcer ce lien crucial pour le bien-être global.

  1. Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, 17-21 novembre 1996.
  2. Tous les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat des situations.
  3. « Bien se loger, mettre sa santé à l’abri », Santé conjuguée n° 87, juin 2019, www.maisonsmedicales.be.
  4. « Territoires et santé », Santé conjuguée n° 104, septembre 2023.
  5. Solidaris, Le report des soins de santé 2023, www.institut-solidaris.be.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°107 - juin 2024

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