Depuis une trentaine d’années, le comité d’éthique de la Fédération des maisons médicales traite des multiples questions de société qui traversent le secteur et que les équipes rencontrent dans leur quotidien.
C’est une ligne du temps, un reflet de l’évolution des mœurs, de la société et du droit en Belgique. Relire les publications du comité d’éthique de la Fédération des maisons médicales, c’est retracer les années sida, acter la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse et de l’euthanasie. C’est réentendre les grands débats sur la toxicomanie, la surmédicalisation, les tests génétiques, la marchandisation de la santé et la protection de la vie privée, la loi sur le droit du patient… Plus près de nous, c’est aussi analyser la syndémie de Covid qui a ébranlé la planète entière et soulevé de nombreuses interrogations chez les professionnels du soin.
Un lieu de réflexion
Actuellement, le comité planche sur la question du racisme. Comment se positionner ? Faut-il exclure un patient qui a tenu des propos racistes à l’encontre d’un médecin ? Comment s’emparer de cette question pour développer une vision, des valeurs communes ? « L’équipe qui a demandé à ce patient de quitter la maison médicale était mal à l’aise tant par rapport à ses propos que par rapport à son exclusion, explique Latifa Ayada-Kaisin, présidente du comité d’éthique. Cette histoire très concrète est venue nous questionner. Si l’on devait exclure tous les racistes, tous les partenaires violents, remplirions-nous notre mission ? Qu’est-ce que soigner quelqu’un de façon neutre et objective malgré son histoire, malgré son passé ? Ce qui crée du malaise, de la frustration, de la perte de sens et de motivation, c’est d’être régulièrement confronté à une problématique pour laquelle on manque d’outils conceptuels ou de repères, et qui fait achopper aux mêmes difficultés. Le comité d’éthique est là pour essayer d’élargir le regard, ouvrir le débat et donner non pas une recette, mais des pistes de solution, des pistes de réflexion pour que les équipes aillent plus loin. »
Une réflexion sur l’agressivité est en cours dans une maison médicale : qu’est-ce que le tolérable et qu’est-ce que l’intolérable ? Comment réagir, par exemple, face à des propos homophobes ? « Ce sont des questions très vivantes, poursuit la présidente. Est-ce qu’exclure quelqu’un est éthique ? Est-ce simplement rejeter le problème et l’envoyer à une autre maison médicale ? Est-ce que cela suffit pour régler le problème ? N’y a-t-il pas quelque chose à en faire ? »
Du particulier au général
Le comité n’est pas là pour dire ce qu’il pense, de l’avortement par exemple, mais pour tirer d’histoires singulières un enseignement au bénéfice de toutes les maisons médicales. Le comité ne rend donc pas de décisions, plutôt des avis, des recommandations. Sans contrainte de publication ni de délais à respecter. Une posture qui prend le temps de la discussion éthique, le temps de la réflexion éthique, de nature beaucoup plus long. Ce qui n’exclut toutefois pas de répondre à des crises plus aiguës, d’apporter un éclairage rapide en cas de nécessité. « Nous invitons toujours la personne ou l’équipe qui porte une question à nous rencontrer, explique la présidente. Souvent, le problème qui surgit n’est pas d’emblée de l’éthique, il peut s’agir d’une question de législation, d’une question de protocole… On essaie de démêler cela, ce qui peut déjà dans un premier temps satisfaire à une certaine urgence. » La question posée est parfois saisissante, par exemple : que faire face à un patient armé ? Contacter le comité d’éthique n’apporte évidemment pas de réponse au moment où cela se passe. « Ce que l’on essaie de faire, c’est de décortiquer le problème pour voir si c’est la sociologie, la psychologie ou le droit qui peut répondre. Et quand nous avons passé tous ces tamis, il reste la question éthique, la substantifique moelle. À ce moment-là, nous prenons le temps d’y répondre. »
Ces situations de violence illustrent très bien la manière de fonctionner du comité d’éthique. « En nous emparant de ces exemples, comme de celui du racisme ordinaire, non explicite, que nous pratiquons nous-mêmes alors que nous sommes si démocrates, si éduqués, cultivés, ouverts, nous essayons de déconstruire nos propres préjugés. Car c’est cela aussi l’éthique. C’est intéressant de répondre à une question et d’aider les équipes sur le terrain bien entendu, mais ça l’est aussi pour elles de faire cet exercice, d’y réfléchir et de créer leur identité, leur charte, leur vision, leurs valeurs en tant qu’équipes soignantes. D’apprendre à mieux se connaitre et à se définir sur un socle commun. »
Hors sollicitations directes des équipes et des travailleurs de maisons médicales, le comité se concentre sur des thèmes transversaux. Des débats de société très larges dans lesquels nous baignons tous et qui se rejouent aussi dans les maisons médicales. Le Covid aujourd’hui et ses risques pour la démocratie et pour la première ligne de soins, le règlement général sur la protection des données ; le port du voile par des soignantes, il y a quelques années ; et bientôt sans doute l’intelligence artificielle… « Nous débattons de ce qui bouillonne et qui a un impact sur le vivant, sur la santé, sur l’être humain », résume Latifa Ayada-Kaisin. Un comité qui nourrit et éclaire en permanence le secteur. « L’éthique, définit-elle, c’est faire un pas de côté, essayer d’appréhender, de complexifier les problématiques de santé, notamment, et pas de les simplifier. Sortir de son cadre, de ses croyances, de ses jugements, de ce que l’on a appris pour essayer de regarder les choses d’une façon différente. Essayer de comprendre les valeurs de chacun, de tous les acteurs impliqués dans une problématique, dans une question. Pour moi, l’éthique c’est prendre soin de la relation avec soi-même, avec les autres et avec la société. »
Souvent, la question que se pose un soignant ou une équipe est la traduction d’une loi, d’une pensée dans un acte. Derrière un point du règlement de travail peut se cacher une question éthique. Tout est plus compliqué, plus complexe qu’il n’y parait et ce sont dans les questions sans réponse que l’éthique intervient, pour les étoffer davantage, les rendre encore plus riches. « On peut analyser l’inscription de nouveaux patients lourds – qui vont nécessiter beaucoup de temps et d’attention au détriment d’autres – d’un point de vue purement financier, mais, derrière cela, quelle est notre vision de la santé et la solidarité envers quelqu’un qui est en position de vulnérabilité et de fragilité ? C’est là également que le comité d’éthique intervient : si on creuse ces principes d’humanité et d’humanisme, que sommes-nous en train de faire ? » Peut-on inscrire un membre de la famille d’un soignant ? Toute l’équipe a-t-elle accès aux données médicales ? Comment organiser le tracking des patients et la numérisation ? Résolument, l’éthique se niche partout.
Une approche plurielle
« Nous ne nous positionnons pas du tout comme un comité d’experts qui sait et qui va inonder de sa science ceux qui ne savent pas », défend Latifa Ayada-Kaisin. Elle insiste également sur la diversité de ses membres, une quinzaine d’hommes et de femmes, soignants, économistes de la santé, sociologues, psychanalystes… « Nous sommes aussi à la recherche d’autres profils, des juristes ou des psychologues par exemple, pour amener d’autres points de vue, d’autres spécificités, différents faisceaux qui vont nous permettre d’avancer une réponse la plus fournie possible aux questions qui nous sont soumises et qui prend en compte toutes les composantes de notre société. » Les patients n’en sont pas exclus. « Une représentante de la Ligue des usagers des soins de santé a participé pendant plusieurs mois à nos réunions et nous sommes en train de travailler cette question du partenariat, de la participation structurelle de patients au comité d’éthique. La condition pour intégrer ce comité, c’est d’avoir envie de se questionner avec d’autres sur des dilemmes éthiques et sur des valeurs : qu’est-ce que la santé ? Qu’est-ce que soigner ? Via l’éthique, comment donner du sens à notre société et à notre travail dans les maisons médicales ? » N’hésitons pas à l’interpeler !
Cet article est paru dans la revue:
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