Aller au contenu

Les participations collectives des usagers


Santé conjuguée n°102 - mars 2023

fmm_illu_grouperefemmehautparleur

Troisième volet de la recherche qualitative consacrée aux questions qui contribuent à faire des patients des acteurs à part entière de leur santé. Après l’analyse de leur implication dans les instances de décision des maisons médicales et celle de leur participation dans les soins curatifs, place à l’étude des processus collectifs.

Les processus participatifs dans le milieu de la santé permettent aux individus d’être associés réellement et activement à la définition des problèmes qui les concernent, à la prise de décision au sujet des facteurs qui affectent leur vie, à la formulation et la mise en œuvre de politiques, à la conception des actions pour réaliser le changement et à leur mise en œuvre et évaluation1.

Ces processus contribuent à améliorer la santé des individus et leur émancipation (ou empowerment) à certaines conditions. Il est nécessaire que les conditions visent à la fois les individus (leurs compétences, leur confiance en eux, leur participation), mais aussi les communautés, en particulier celles vivant des situations d’inégalités sociales2 et donc d’impuissances répétées. En effet, ce sont les collectifs qui peuvent « mettre en place des stratégies pour réduire les inégalités sociales et acquérir davantage de contrôle sur les décisions qui les concernent »3 en développant un sentiment d’appartenance, une confiance dans les autres, de la solidarité et de l’entraide, des habilités à faire et choisir ensemble. Enfin, les processus de participation concernent aussi les organisations, qui peuvent ou non mettre en œuvre les conditions favorables et transmettre un certain pouvoir aux usagers. Ces conditions sont-elles possibles en maison médicale ? Les actions mises en place influencent-elles positivement l’émancipation ?
Nous avons entamé il y a deux ans une recherche-action pour tenter d’y répondre et de proposer des actions de soutien à ces processus si nécessaire. La participation a été étudiée dans les soins individuels, les lieux collectifs et les instances de décision des maisons médicales. Trente-quatre maisons médicales ont répondu à un questionnaire, quatorze usagers et vingt professionnels de maison médicale ont été rencontrés. Deux articles ont déjà fait part de ces résultats et analyses4. Nous faisons part ici des différentes constatations et des propositions d’actions concernant la participation dans les lieux collectifs des maisons médicales.

Organisation de la participation collective des usagers de maison médicale

Un tiers des maisons médicales ayant répondu au questionnaire ne mettent pas en œuvre de participation collective, pour se consacrer aux priorités curatives, pour des raisons financières ou en raison d’un manque d’opportunités.
Les maisons médicales mettent en œuvre la participation collective majoritairement sous forme d’actions communautaires5 en santé permettant de faire du lien entre usagers, avec le réseau, le quartier (café papote, réseau d’échanges et de savoirs, actions logement, par exemple), en essayant de toucher au mieux les personnes en situation plus vulnérable. Les autres formes de participations collectives sont en lien avec de l’éducation thérapeutique, pour informer et discuter autour de pathologies chroniques, ou encore des groupes patients-travailleurs qui se réunissent autour d’une thématique ponctuelle (fête de la maison médicale, actions politiques et citoyennes, projet douleurs chroniques, projet alcool, par exemple). Sept associations de patients, dont deux constituées en asbl, ont été recensées.
Selon les échelles de participation6, l’implication des usagers varie. Huit fois sur dix, les usagers sont informés, suivent une activité construite par les professionnels et sont parfois consultés. Sans prise réelle sur les décisions, ils « consomment » l’activité. Deux fois sur dix, la participation est plus active, de type partenariat ; l’expertise de l’usager est recherchée et valorisée pour co-définir les besoins, les thèmes, co-animer et co-évaluer, voire gérer et animer seuls une activité, un groupe.

Effets chez les usagers et les professionnels

Certains patients rencontrés ont pu « s’approprier la maison médicale comme vecteur d’émancipation », prendre confiance en eux (« J’ai appris à parler autrement, je ne savais pas que j’étais capable de faire ça »), développer d’autres centres d’intérêt, enrichir leurs savoirs (« Prendre la santé dans un sens plus global ») et compétences, tisser des liens (« Briser ma solitude »), agir pour changer des conditions sociales dans leur quartier (« Le guichet logement aide vraiment les personnes en difficulté »). Ils ont également entamé un travail identitaire7 redéfinissant une implication comme usagers (« On n’est pas que des malades, on est aussi usagers de soins, on peut s’impliquer autrement »), citoyens (« Nous sommes membres de la maison médicale, ce qui définit une notion de contrat devant la société civile »), et membres d’une communauté8.
Certains professionnels ont transformé leurs postures (« C’est plus horizontal »), ouvert leur vision (« Les patients qui participent dans notre groupe avaient déjà testé des solutions qui ne convenaient pas et ça nous a permis d’avancer ») et s’en disent satisfaits (« Le projet a été construit avec les patients, et cela m’a apporté beaucoup de satisfaction personnelle »).

Les freins exprimés par les professionnels

Il y a d’abord des hypothèses de contexte sociétal non favorable à l’émergence des patients acteurs de leur santé, de la solidarité, d’une citoyenneté active. La Belgique avance timidement avec sa loi sur les droits des patients, mais reste loin derrière des pays comme la France, avec sa loi sur les associations, ou encore le Canada et le développement du « patient partenaire ». La santé communautaire ne dispose pas des moyens financiers nécessaires pour émerger comme véritable acteur de santé. De plus, de nombreux usagers rencontrent de telles barrières pour l’accès à des conditions de vie et sociales décentes que la citoyenneté pourrait paraitre bien loin.
Les travailleurs indiquent également le manque de moyens et la priorisation du curatif face à d’autres missions. Ils font aussi l’hypothèse d’un positionnement institutionnel qui pourrait avoir changé et viser moins une transformation de la société. Un manque de positionnement stratégique clair autour des missions de promotion de la santé est vécu comme un frein important. Des confusions terminologiques et méthodologiques semblent également exister autour des notions de santé communautaire, d’éducation thérapeutique… Des questions de cadre sont difficilement discutées et décidées en équipe : comment éviter les débordements d’une participation plus active d’une part et, de l’autre, assurer une reconnaissance et une légitimité de l’implication des usagers ? Par contre, certaines méthodes sont vues comme des leviers, à l’instar de la démarche canadienne de « patient partenaire »9, même si elle limite l’aspect communautaire pour se centrer sur les individus, leurs savoirs d’expertise et leurs compétences propres (« Le patient partenaire a changé ma vision de la participation, c’est moins subjectif, il y a un cadre, des règles, que le patient peut accepter ou non »).
Chez les professionnels de la santé, un investissement énorme est consacré aux demandes curatives ainsi qu’à la gestion de l’association. Il existe des représentations qui peuvent faire frein : une question d’« utilité » d’abord (« On m’a déjà demandé en équipe si j’étais payée pour faire cette activité en santé communautaire ») puis de manque de résultats « classiques », à savoir quantitatifs, biomédicaux, sur une courte période. Des peurs existent, telles que la peur des collectifs d’usagers comme lieux de revendications, la peur des débordements du cadre (« On a déjà eu des informations confidentielles qui ont fuité ») ou des peurs imaginaires (« Peur de perte de temps, crainte de l’échec, perte de contrôle, débordements par des propositions qu’on ne peut assumer »). Les professionnels doivent également être préparés à être confrontés autrement aux usagers dans des relations plus « égalitaires » et à sortir de leur rôle classique (« On devrait apprendre à exister sans notre stéthoscope »). Les professionnels doivent également avoir pris conscience de leur rôle citoyen et du poids des déterminants non médicaux de la santé.

Les freins exprimés par les usagers

Chez les usagers, rappelons que la participation n’est pas une obligation. Le manque de connaissance des activités, le manque de temps ou la confrontation avec des animations non appropriées (« L’animation peut tout faire foirer, on a déjà eu des animateurs clowns, c’était n’importe quoi »), des sentiments d’échec, de frustration (« Je ne veux pas me sentir infantilisé dans les activités »), débordements dans des groupes (« Avoir des règles claires au départ, savoir pourquoi on vient, pour combien de temps et savoir qu’on va s’arrêter ensemble à un moment pour faire le point ») sont autant de freins à la participation.

Les actions

Suite à ces constats, différentes actions ont vu le jour, poursuivant le travail de la Fédération des maisons médicales au soutien à la santé communautaire et au plaidoyer politique, et dans le souhait d’entamer des liens plus solides avec les usagers. L’intention est de mettre sur pied un groupe santé communautaire interrégional pour appuyer le plaidoyer et collectiviser les expériences de différents chargés de santé communautaire en maison médicale. Des ateliers de santé communautaire seront poursuivis, avec cette volonté d’interroger et partager autour de la participation des usagers.
Une implication plus soutenue des usagers dans la définition des priorités, des actions, peut être soutenue également. En ouvrant des espaces de discussion entre eux et avec eux, de petites expérimentations pourraient faire émerger des solutions novatrices et chercher à transformer les conditions sociales, à accroitre le sentiment d’efficacité tant des usagers que des professionnels, et contribuer à une meilleure santé. Une stratégie visant à expérimenter des rencontres et actions communes autour de thèmes fédérateurs tels que l’urgence écologique va être initiée en 2023 à la Fédération des maisons médicales par les secteurs de la promotion à la santé et de l’éducation permanente. Une formation à destination des usagers pour faciliter la posture d’« acteur » des maisons médicales sera lancée dans les mois qui viennent et un réseau d’usagers en maison médicale « solidaires et partenaires » verra le jour en 2024. Une expérience pilote est en cours à Liège depuis 2021, permettant de réunir des usagers de différentes maisons médicales ; les usagers qui y ont participé ont rédigé un plaidoyer pour renforcer leur participation. Ce plaidoyer sera porté à différents endroits stratégiques tout au long de cette année.

Un investissement

Dans notre société de consommation et d’hyper responsabilisation individuelle, dans des maisons médicales en manque de temps, de moyens, et ayant essentiellement des missions rémunérées en curatif, les actions collectives mises en œuvre se rapprochent majoritairement d’une information et d’une consommation d’activités. Des usagers sont parfois impliqués de manière plus active, dans des actions concertées avec des travailleurs et le réseau sur les milieux de vie. Ces dernières demandent un investissement à long terme de la part d’une équipe, du soutien, du temps, des finances. Ce sont des processus longs, qui connaissent des hauts et des bas, mais qui permettent, selon notre étude, d’amorcer des démarches d’empowerment collectif chez les patients.
Pour soutenir ces démarches d’empowerment dans les actions collectives menées par les maisons médicales, les conditions politiques doivent être plus favorables et un plaidoyer doit être renforcé. Un soutien des maisons médicales et des acteurs (travailleurs et usagers) sera renforcé pour que la participation en santé ait une vraie portée radicale, sociale, émancipatrice. Pour que les professionnels puissent plus facilement travailler de concert avec les usagers, pour que les usagers de maisons médicales continuent d’acquérir un plus grand contrôle sur leur propre santé et pour que nous poursuivions ensemble la transformation des soins et de la société afin de la rendre plus équitable.

  1. N. Wallerstein, What Is the Evidence on Effectiveness of Empowerment to Improve Health?, WHO regional office for Europe, 2006, www.euro.who.int.
  2. Ch. Ferron, « L’empowerment et la participation, ça marche », Santé publique n° 406, 2010.
  3. J. Woodall, Empowerment & health and well-being: evidence review [Project Report], Centre for Health Promotion Research, Metropolitan University, 2010.
  4. J. Herman, « Soignés et impliqués », Santé conjuguée n° 94, mars 2021 ; J. Herman, « Participation des patients et empowerment », Santé conjuguée n° 97, décembre 2021.
  5. On parle de santé communautaire quand les membres d’une collectivité géographique ou sociale (professionnels, politiques, décideurs, habitants et citoyens) agissent en commun à toutes les étapes sur les questions de santé : identification des besoins, développement, mise en œuvre et évaluation des activités les plus aptes à répondre à leurs priorités.
  6. B. Scheen, Promotion santé et démarches participatives : Décryptage et points d’attention (Synthèses du RESO), UCL, service universitaire de promotion de la santé, 2018,
    www.uclouvain.be/reso.
  7. Un outil pour évaluer et développer l’empowerment individuel et collectif des participants à un projet : www.institut-renaudot.fr.
  8. L. Doucet, L. Favreau, Théorie et pratiques en organisation communautaire, PUQ, 1991, p.238 : « Faire communauté est avoir un dénominateur commun, fait de besoins partagés, d’intérêts communs, et de valeurs communes. »
  9. Approche définie au Canada comme « l’engagement des patients à la fois dans leur processus de soins et dans l’amélioration de la qualité des soins et des services », in MP Pomey et al., « “Le Montréal model” : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé », Santé publique, 2015/HS.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°102 - mars 2023

Introduction n°102

Se nourrir. Bien se nourrir. Quels sont les mécanismes qui déterminent le contenu de nos assiettes ? Le droit à l’alimentation est un droit humain fondamental et international et pourtant… Le prix des denrées de base ne(…)

- Pascale Meunier

Alimentation, individu, société et environnement

Les plats sont souvent typiques de la culture d’origine. La plupart des fêtes et cérémonies s’accompagnent de repas qui leur sont propres : baptêmes, enterrements, mariages, Noël, Chandeleur, Pâques… De nombreuses règles et tabous varient selon les(…)

- Dr André Crismer

Big food et marketing

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la prévalence de l’obésité a presque triplé au niveau mondial entre 1975 et 2016. Cette année-là, environ 13 % de la population adulte (11 % des hommes et 15(…)

- Pauline Gillard

L’aide alimentaire dans la tourmente

Avec ou sans travail, de plus en plus de personnes ont faim, n’osent plus utiliser leur four, se privent en ne mangeant qu’un jour sur deux. Dans ces conditions, l’aide alimentaire semble constituer la principale perspective(…)

- Alicia Grana, Catherine Rousseau, Deborah Myaux, Flavie Leclair

La diététique, un métier rare en maison médicale

Le soin diététique, c’est écouter le patient de façon à pouvoir poser un diagnostic diététique en réalisant une anamnèse alimentaire complète, symptomatologique, et en sollicitant les motivations de la prise de rendez-vous. Puis vient le travail(…)

- Marie Rijs, Marie-Aude Delmotte

La coupe est pleine…

Carte blanche parue dans Tchak !, n° 5, 2021, sous le titre : « Des ateliers cuisine pour éduquer les pauvres ? Stop, la coupe est pleine ».   Dans ce type d’approche, la gestion de(…)

- Christine Mahy

L’entourage, source de l’obésité ?

Comme le soulignaient déjà les résultats d’une enquête menée en 2006, « l’obésité gagne la population belge, et en particulier les enfants et les adolescents. Elle résulterait, en grande partie, de l’évolution des comportements alimentaires de la(…)

- Alexandre Dressen

Une sécurité sociale de l’alimentation

Auteurs de Petersell, K. Certenais, Régime Général. Pour une sécurité sociale de l’alimentation, Riot Editions, 2021. En accès gratuit sur www.reseau-salariat.info et https://riot-editions.fr. L’alimentation est aussi une question de santé publique : les pesticides, herbicides et(…)

- Kévin Certenais, Laura Petersell

Nourrir la ville

Une question relativement rhétorique et arbitraire posée aux quelque 170 personnes qui, le 6 novembre 2013, ont participé au forum ouvert de lancement de la Ceinture aliment-terre liégeoise (CATL). L’initiative, portée à l’époque par quelques associations et coopératives(…)

- Christian Jonet

Manger, un acte social

Nourriture équilibrée et végétarienne, produits biologiques de qualité, circuit court, zéro déchet : tels sont les ingrédients de ce projet qui vise aussi le sens social du repas. Les convives mangent ensemble ce qu’ils ont préparé ensemble(…)

- Pascale Meunier

Des activistes aux fourneaux

Tout au long du XXe siècle, l’activité agricole a subi des transformations sans précédent. Avec la mécanisation, l’utilisation de produits chimiques et l’intensification des cultures s’est opérée une distanciation croissante entre les mangeurs et les systèmes alimentaires(…)

- Marinette Mormont

Relocalisation alimentaire : quel avenir politique ?

Les sociétés industrialisées occidentales sont traversées par une tendance singulière : le développement des circuits courts alimentaires de proximité. Si c’est l’idée d’un retour à une alimentation locale, d’une relocalisation alimentaire qui prévaut aujourd’hui, il faut(…)

- Clémence Nasr

Bien manger : un droit, pas un choix

L’aide alimentaire est un filet de sécurité pour les situations d’extrême pauvreté, les plus urgentes, les plus inattendues. Elle est une aide sociale destinée à des publics ciblés et en difficulté, basée largement sur le volontariat(…)

- Jonathan Peuch

Actualités n° 102

L’éthique en maisons médicales

C’est une ligne du temps, un reflet de l’évolution des mœurs, de la société et du droit en Belgique. Relire les publications du comité d’éthique de la Fédération des maisons médicales, c’est retracer les années sida,(…)

- Pascale Meunier

Le long du canal

Ils ont été plus d’une centaine à dormir sur le sol froid et humide le long du canal, en face du Petit-Château, le centre d’arrivée de Fedasil à Bruxelles. Chaque fois qu’une tente se libère, un(…)

- Fanny Dubois

Catherine Moureaux : « Molenbeek est la commune de la solidarité »

Quels liens établissez-vous entre votre engagement politique et l’exercice de la médecine ? À l’âge de huit ans, j’ai dit à ma mère que je voulais être médecin. Je me souviens très bien de ce moment : je suis(…)

- Catherine Moureaux

Les participations collectives des usagers

Les processus participatifs dans le milieu de la santé permettent aux individus d’être associés réellement et activement à la définition des problèmes qui les concernent, à la prise de décision au sujet des facteurs qui affectent(…)

- Joanne Herman

L’abus d’alcool, une problématique de santé

L’usage de l’alcool entraine 3 millions de décès chaque année dans le monde –soit 5,3 % de l’ensemble des décès recensés – et est un facteur étiologique dans plus de 200 maladies et traumatismes. En Belgique,(…)

- Jean-François Donfut

De si violentes fatigues

Les transformations sociales inédites produites par la modernité ont contribué à l’émancipation de l’individu qui se gouverne par lui-même, mais elle a mis à mal le lien social, menaçant de nombreux individus d’isolement, d’apathie et d’absence(…)

- Dr André Crismer