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La diététique, un métier rare en maison médicale

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Santé conjuguée n°102 - mars 2023

La fonction de diététicien ou de diététicienne a fait son apparition en maison médicale il y a une quinzaine d’années. Pour la faire mieux connaitre et reconnaitre, un groupe intersectoriel vient de se constituer au sein de la Fédération.

Le soin diététique, c’est écouter le patient de façon à pouvoir poser un diagnostic diététique en réalisant une anamnèse alimentaire complète, symptomatologique, et en sollicitant les motivations de la prise de rendez-vous. Puis vient le travail de suivi, en utilisant la technique des petits pas.
De plus en plus de diététiciens sont formés à l’éducation thérapeutique. Nous disposons d’outils comme des imagiers qui nous permettent d’informer sur les pathologies et l’impact des aliments sur la maladie. Nous utilisons des jeux thérapeutiques au départ de l’épi alimentaire1 et de la pyramide alimentaire2. Nous pouvons proposer de tenir un carnet alimentaire en nous consacrant à la fois au contenu de l’assiette, mais aussi aux sensations corporelles (faim, soif, rassasiement, satiété). Nous pouvons également aider à réaliser des menus, à choisir des recettes ou à adapter les recettes préférées de nos patients. Nous nous formons aussi à des approches psychocorporelles (pleine conscience, hypnose, sophrologie, gestalt…) ou de thérapie cognitivocomportementale (thérapie de l’acceptation et de l’engagement, dite ACT). Cependant, l’éducation alimentaire prend du temps et nécessite de la pratique.

Des ateliers de mise en pratique

L’atelier cuisine est pour nous un outil de la prise en soin diététique des patients atteints de maladies chroniques. Ces rencontres autour des fourneaux donnent l’occasion aux patients de mettre en pratique de grandes règles diététiques. Ces règles, nous les mettons en avant en consultation individuelle, mais elles prennent plus de sens quand nous touchons, manipulons, sentons et dégustons ensemble. Dans diverses maisons médicales, un à deux ateliers cuisine rassemblent chaque mois une dizaine de patients. Dans une ambiance conviviale, nous réalisons différentes préparations : entrée ou potage (et/ou dessert) et plat. Il est essentiel de maitriser le budget. Le choix des recettes s’opère en fonction des besoins et des demandes des patients, mais aussi en fonction des règles mises en évidence dans l’épi alimentaire. Le travail avec des groupes aux compétences culinaires différentes permet un enrichissement mutuel d’autant plus intéressant s’il se réalise dans un milieu multiculturel. La régularité des ateliers crée un lien social et nous a permis d’observer une évolution très favorable dans l’investissement des patients, qui prennent de plus en plus d’initiatives dans les préparations. Il y a également la mise en place d’ateliers collectifs spécifiques (pour diabétiques ou pour les enfants, organisés en collaboration avec d’autres secteurs). Les kinés, infirmiers, dentistes, psychologues… y sont les bienvenus !

Un environnement favorable

Nous avons rédigé une prescription médicale qui reprend tous les domaines de compétences et qui est adaptée par la diététicienne à ses spécificités propres. L’accès au dossier santé informatisé (DSI) est important. Il est complété systématiquement : cela nous oblige à mieux cerner ce que nous avons fait pendant la consultation et à en informer les autres soignants. Lire les rapports établis par les autres permet une approche plus globale du patient. Nous apprécions aussi les échanges informels concernant l’un ou l’autre patient, qui sont plus fréquents en maison médicale que dans un cabinet classique. Les réunions d’équipe régulières sont indispensables, tout comme il est bénéfique de pouvoir participer aux concertations organisées par des services de soins et d’aide à domicile pour les personnes en perte d’autonomie. L’adaptation des honoraires des consultations à la situation financière du patient permet un suivi plus long et plus efficient, elle permet aussi de battre en brèche le cliché d’une approche nutritive saine réservée à une minorité cultivée et aisée.
Il n’y a cependant pas encore assez de place accordée à la diététique. Au sens propre : il n’y a pas toujours d’espace spécifique en salle d’attente, et au sens figuré : la collaboration concrète avec certains secteurs est nettement insuffisante. Pour une prise en soin diététique optimale, la transdisciplinarité a toute sa raison d’être, mais la fonction de diététicien est encore méconnue ou négligée par certains soignants qui ne nous référencent que la moitié de nos patients. C’est parfois frustrant et nous avons le sentiment de travailler en solitaire, de manquer de soutien. Un sentiment renforcé par l’impression que la diététique est banalisée ou insuffisamment prise au sérieux alors qu’il devrait s’agir d’une priorité de soins pour les problèmes de santé majeurs liés à l’alimentation : affections cardiovasculaires, cancers, diabète de type 2, affections bronchiques, troubles musculosquelettiques, stéato-hépatite non alcoolique, cirrhose, troubles neurocognitifs, dépression et troubles anxieux, carences en fer, en iode et en protéines…

Soutenir le secteur

Comment donner plus de visibilité à la diététique ? Quelle différence y a-t-il entre prescrire une séance de kiné et prescrire une séance de diététique ? L’un des défis de la profession est de susciter l’intérêt et de le maintenir auprès de l’équipe et auprès des patients. Il est souvent difficile de parler de diététique aux patients, surtout si, pour eux, la santé n’est pas une priorité en cas de situation précaire ou si, à l’inverse, ils veulent des résultats immédiats et sans effort. Faut-il attendre que la personne soit prête ou faut-il stimuler sa motivation ? Quand la personne se décourage et veut arrêter le suivi en cours, la recentrer par un entretien motivationnel lui permet souvent de se restimuler. Il est essentiel de mettre en valeur les changements adoptés dans ses comportements et de l’inciter à rester actrice de sa santé. Enfin, nous devons faire face à une pratique sauvage de la prescription alimentaire (médicale et extramédicale par des coachs thérapeutes). Les patients peuvent se retrouver face à des conseils nutritionnels qui vont les placer en restriction ou en surcontrôle, ce qui, loin d’être une aide à la santé, agit comme un déclencheur de troubles du comportement alimentaire ou d’obésité.
Actuellement, vingt-cinq diététiciens et diététiciennes travaillent en maison médicale, souvent avec des horaires réduits ou en cumulant plusieurs casquettes : santé communautaire, prévention, travail administratif ou accueil, ou encore en collaborant avec d’autres maisons médicales et en animant des activités collectives (animation-prévention, groupe « diabétique ») ou des ateliers cuisine. Depuis avril 2021, nous formons un groupe sectoriel au sein de la Fédération des maisons médicales. Nous nous réunissons toutes les six semaines pour partager nos méthodes de prise en soin, échanger sur les activités que nous organisons, définir le profil de fonction spécifique au diététicien en maison médicale, et réfléchir à son mode de financement, car c’est là l’une de nos difficultés. Les diététiciens sont soit indépendants, soit salariés dans plusieurs maisons médicales. Actuellement, c’est un financement par petites touches : un peu de fonds propres, un peu de souches INAMI, parfois des subsides de santé communautaire ou administratifs… Nous nous battons également pour une reconnaissance du métier et davantage d’attributions de code INAMI.
La diététique en maison médicale peut avoir de beaux jours devant elle, mais il nous reste aussi à convaincre l’ensemble des équipes de l’importance et de la complémentarité de notre métier dans une vision transdisciplinaire. Nous les invitons à faire appel et à tirer bénéfice des compétences propres à la diététique tant au niveau préventif que curatif, à lire les rapports diététiques dans le DSI, et à assister à une consultation ou à un entretien diététique et à découvrir comment se déroule une anamnèse nutritionnelle et une prise en soin lui faisant suite, à nous interpeler pour tout événement où l’alimentation est impliquée. Il nous semble en effet urgent d’agir ensemble sur les problèmes des maladies liées à l’alimentation.

  1. Outil pédagogique développé par Food in Action et la Haute École Vinci sur la base
    des recommandations alimentaires du Conseil supérieur de la Santé. Il présente cinq principales priorités associées au plus grand bénéfice sur le plan de la santé : consommer des produits céréaliers complets, des légumes et des fruits, des légumineuses, des fruits
    à coque et des graines, et limiter le sel (www.foodinaction.com).
  2. Outil pédagogique visuel qui permet d’avoir une vue d’ensemble sur l’équilibre alimentaire d’une journée.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°102 - mars 2023

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