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L’entourage, source de l’obésité ?


Santé conjuguée n°102 - mars 2023

Chez les jeunes, le mode d’alimentation subit de nombreuses influences extérieures dont la reproduction, consciente ou inconsciente, de certains comportements issus de l’environnement familial semble être l’une des causes principales.

Comme le soulignaient déjà les résultats d’une enquête menée en 2006, « l’obésité gagne la population belge, et en particulier les enfants et les adolescents. Elle résulterait, en grande partie, de l’évolution des comportements alimentaires de la population et des modifications de son style de vie. Notre alimentation est de plus en plus riche en graisse et en sucre alors que nous bougeons de moins en moins. En découle une obésité de plus en plus précoce avec, à la clé, des risques majeurs pour la santé comme les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’hypertension, les cancers… »1.
Durant la petite enfance, la consommation alimentaire est régie par la sensation de plaisir que procure l’action de manger. Ce sont le goût de l’aliment, sa valeur nutritive ainsi que le contexte dans lequel il est consommé qui définissent cette notion primordiale de plaisir. « Le bien-être ressenti par les nourrissons leur permet de consommer, de façon raisonnable, tout aliment gras et sucré jusqu’à créer une sensation de réplétion physique et émotionnelle. Ce sont les déterminants nutritifs et caloriques qui prévalent et qui permettent à l’enfant d’atteindre un état satisfaisant de satiété, explique Emanuelle Chmielewski, diététicienne de l’unité Kipling de Clairs Vallons. Cette situation tend à se dérégler avec l’âge et, vers deux, trois ans, apparaissent notamment la phase du “non” – symbole d’opposition aux parents – et la phase de la néophobie – refus de manger tout aliment nouveau ou inconnu. » Dès lors, les troubles du comportement, comme ceux liés à la prise de poids, sont susceptibles de faire leur apparition.
L’une des principales sources de cette dérégulation alimentaire et de l’affirmation de la néophobie chez les adolescents souffrants d’obésité se trouve être l’entourage. Famille, amis, école, tous ont à endosser leur part de responsabilité face à l’obésité juvénile. Du côté parental, c’est un ensemble d’attitudes négatives qui favorisent cette prise de poids. Par exemple, une éducation permissive où le parent s’adapte aux envies de l’enfant et achète les aliments qu’il apprécie pour éviter les conflits. Un usage trop intense de la coercition, pour obliger l’enfant à manger, peut également avoir des effets dévastateurs sur sa prise de poids. Sans oublier le mimétisme. Si les parents ont de mauvaises habitudes alimentaires, s’ils ajoutent systématiquement une sauce riche et grasse à leur repas, les chances que l’enfant reproduise ce type de comportement à l’adolescence, c’est-à-dire à une première période de liberté d’action et de choix, sont importantes. L’éducation doit être reliée aux sensations de l’enfant. Il ne décide pas de ce qui va se trouver dans son assiette au moment du repas. Ce choix appartient aux parents qui font les courses et cuisinent. Par contre, en concertation avec eux, il peut décider de la quantité de nourriture qu’il désire absorber.
Dans cette optique, il sera nécessaire d’essayer de respecter un triple équilibre. Énergétique d’abord, car il est nécessaire de faire coïncider l’apport nutritif avec la façon dont on se dépense. La sensation de faim disparaît après l’absorption de la quantité de nourriture nécessaire pour arriver à satiété. On parle ensuite d’équilibre nutritionnel, qui est propre à chacun et grâce auquel on mange ce dont on a envie, dans les quantités adéquates. Finalement, il y a l’équilibre émotionnel, où c’est la notion de plaisir qui incite à manger. L’objectif du repas sera alors de calmer la sensation, désagréable, de faim tout en appréciant le goût, les odeurs, les arômes des aliments consommés.

 

Clairs Vallons accueille environ 130 enfants âgés de 0 à 18 ans. Dans un cadre de vie rassurant, ils sont soignés et se reconstruisent à leur rythme. Parmi les domaines d’expertise du centre se trouve l’obésité. Deux unités y sont dédiées : le Phénix, pour les enfants âgés de 9 à 14 ans, et le Kipling, pour les jeunes de 14 à 18 ans. Les enfants sont quotidiennement accompagnés par une équipe constituée de pédiatres, pédopsychiatres, psychologues, logopèdes, kinésithérapeutes, diététiciennes, éducateurs et assistants sociaux. Ils bénéficient également d’un enseignement de type 5 grâce à une école intégrée. Cette approche pluridisciplinaire va permettre aux jeunes patients souffrant d’obésité morbide de retrouver un rythme de vie structuré et équilibré tout en affinant notre compréhension des facteurs qui ont favorisé l’apparition de cette pathologie. Le but est que, ensemble, nous puissions la traiter le mieux possible.

La mode de la malbouffe

Ces contraintes sont malheureusement difficiles à respecter, surtout à l’adolescence où l’accès à la malbouffe est d’une facilité déconcertante et les raisons d’aller vers ce type d’alimentation nombreuses et variées. Le jeune « qui marque son autonomie va, de surcroît, s’identifier à cette liberté de choix et se différencier de l’autorité parentale en “snackant” davantage »2. En effet, manger peut également être à un moment donné considéré comme un acte d’émancipation où le jeune « exprime son style ou celui du groupe de pairs qu’il s’est choisi »3. La malbouffe est ici un moyen d’assouvir ses besoins grégaires. « La fréquentation des fastfoods relève donc davantage d’une recherche de convivialité et de mobilité dans les repas »4 plutôt que d’une envie de mal manger pour se démarquer de ses parents et de leur autorité. Cependant, les résultats sur la prise de poids, parfois importante, ne s’en trouvent pas modifiés. Ajoutons à cela le manque de temps et le stress qui font courir les parents, et les enfants, et qui débouchent sur la consommation de nourriture rapide, souvent de qualité médiocre. Le temps accordé à la prise, ensemble, d’un repas tend à disparaître au profit d’un snack vite mangé devant un écran.
Cette façon inadaptée de se nourrir joint à l’absence d’activités physiques, et donc à une dépense énergétique insuffisante, provoque un déséquilibre important pouvant causer des troubles alimentaires majeurs comme obésité et surpoids5. Qui tous deux gagnent du terrain. En Belgique, en 2018, le pourcentage de jeunes âgés de 2 à 17 ans en surpoids atteignait presque les 20 % alors que celui concernant les enfants souffrants d’obésité tournait autour des 6 %6. Les conséquences pour ces jeunes en souffrance vont du décrochage scolaire (l’enfant, victime de moqueries, refuse d’aller à l’école) à l’enfermement (il est moins douloureux de rester chez soi que d’affronter le monde extérieur) en passant par la sédentarité (difficultés de se mouvoir dues à un poids trop important) et des problèmes de santé sévères comme des difficultés respiratoires, de l’hypertension artérielle ou du diabète.

Pluridisciplinarité et individualisation

À Clairs Vallons, nous traitons l’obésité comme une maladie, mais aussi comme le symptôme d’un mal-être profond nécessitant une lecture individuelle et familiale de la situation du jeune. La démarche thérapeutique est centrée sur la pluridisciplinarité, l’individualisation du projet de soins et le travail avec les familles. Cette approche pluridisciplinaire va permettre aux jeunes patients de retrouver un rythme de vie structuré et équilibré indispensable à une perte de poids qui pourra s’inscrire dans le temps. La prise en charge est hyperindividualisée, car il n’existe plus de « profil type » de jeune obèse. Pour le Dr Clémentine Cardon, pédopsychiatre de l’unité Kipling, « chaque patient va présenter des problématiques différentes et là réside toute la complexité. L’un va venir avec des problèmes de harcèlement, un autre avec une dépression ou un comportement suicidaire et d’autres encore avec des traumas familiaux non résolus ». Avec le soutien des familles, nous tentons de reconstruire une certaine normalité.
Nous accueillons des jeunes qui n’ont pas trouvé de solution dans les prises en charge ambulatoires. En séjour résidentiel d’un an (deux ans au maximum avec un suivi pendant trois ans après la sortie), ils bénéficient de soins médicaux, paramédicaux et psychologiques. L’obésité, envisagée comme une problématique multidimensionnelle, nécessite donc l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire. Nos jeunes peuvent dès lors compter sur l’expertise et le soutien de pédiatres, de pédopsychiatres, de diététiciennes, de psychologues, de kinésithérapeutes, de logopèdes… Le tout, en poursuivant leur scolarité. La prise de poids n’est plus seulement appréhendée par la nécessité de perdre des kilos en trop et par le biais de régimes alimentaires drastiques. C’est une réflexion globale qui leur est proposée et dont on essaie qu’ils tirent le meilleur parti.
Cette approche se justifie, car les enfants accueillis à Clairs Vallons sont souvent en décrochage scolaire, délaissés ou victimes de harcèlements, manquent de la plus élémentaire confiance en eux et ont un rythme de vie où les contacts avec l’autre sont pratiquement inexistants. La distinction entre le jour et la nuit est souvent abolie et ils n’ont accès à aucune activité sportive. Ce sont ces nombreux pans de la vie de l’enfant et de l’adolescent que nous tentons de reconstruire dans un environnement accueillant et sécurisant, encadré par une équipe d’éducateurs et d’assistants sociaux. Dans les faits, cela se traduit par un accès quotidien aux soins médicaux pédiatriques et infirmiers. Soins parfois difficiles à prodiguer à la fréquence nécessaire sans le type d’encadrement que nous proposons. Ils profitent également de l’expertise de nos logopèdes et de nos psychologues, et ce, contrairement à l’extérieur, de façon régulière, sans que le temps entre deux rendez-vous soit trop long ou que le trajet à faire entre le domicile et le cabinet soit trop compliqué. Nous tentons de faciliter la vie de nos jeunes, notamment en effaçant ces aspects contraignants qui ne font qu’ajouter des difficultés à leur vie déjà suffisamment ardue.

Vers une normalité

Retrouver le plaisir de manger et de bouger est également au programme. Grâce à la présence de diététiciennes et de kinésithérapeutes, petit à petit, ces sensations, triviales pour la plupart d’entre nous, leur redeviennent accessibles. En termes de nourriture, les jeunes peuvent manger de tout. L’accent est mis sur une alimentation équilibrée, sans restrictions, mais avec le souci de respecter de justes quantités et de manger aux moments opportuns. Les enfants obèses ont les mêmes besoins nutritionnels que les enfants non obèses. Il est d’ailleurs important de noter qu’ils mangent la même chose que les patients présents au centre pour d’autres pathologies. Cela permet d’éviter les stigmatisations. L’idée est, encore, de revenir à une certaine normalité dans leur consommation alimentaire. La prise en charge kinésithérapeutique est centrée quant à elle sur la remise en mouvement, la découverte (ou la redécouverte) de la pratique sportive et la correction posturale.
Et enfin, les enfants poursuivent ou reprennent leur parcours scolaire grâce à la présence dans l’enceinte du centre d’écoles proposant un enseignement de type 5 (adapté aux enfants malades ou convalescents). La présence de ces écoles est une des composantes primordiales de la prise en charge des patients. Leur rôle est notamment d’aider les enfants à retrouver cette confiance en eux grâce au milieu scolaire. Marie Lecoq, directrice des écoles de Clairs Vallons : « Pour la plupart des enfants, il s’agit d’une découverte. Étant en décrochage dans leur école d’origine, depuis parfois plusieurs années, le défi est de leur montrer qu’il est possible d’apprendre avec plaisir, en y mettant du sens ». Ce qui n’est pas toujours faisable dans les écoles ordinaires, où le temps manque pour pouvoir assurer une prise en charge adéquate de ces enfants.
Dans un cadre de vie serein, nous offrons à ces enfants la possibilité de se soigner, grâce à la compétence de nos équipes médicales et paramédicales, à apprendre, grâce à nos écoles et au personnel dédié, à s’épanouir, avec un environnement verdoyant et de multiples activités. Et à vivre, simplement.

  1. CREATIC/CPSO (ULB), en partenariat
    avec la Fédération de l’industrie alimentaire (FEVIA), Enquête sur les comportements et
    styles de vie associés à l’alimentation, janvier 2006.
  2. N. Batis, C. Hedges, L. Quarta, « Ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé ! : La malbouffe chez les jeunes, une nouvelle norme ? », Association socialiste de la personne handicapée, 2021
  3. P. Fréour, « Les adolescents pas si accros à la malbouffe », Le Figaro,
    11 octobre 2016.
  4. Ibid.
  5. Il y a surpoids quand
    l’indice de masse corporelle (IMC) est supérieur ou égal à 25 et obésité quand il est supérieur ou égal à 30. L’IMC se calcule en divisant le poids (kg) par la taille au carré (m²).
  6. www.sciensano.be.

Cet article est paru dans la revue:

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