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Frank Vandenbroucke : « Même dans des moments budgétaires difficiles, il faut préserver le système basé sur la solidarité »


Santé conjuguée n°111 - juin 2025

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Le ministre fédéral de la Santé et des Affaires sociales (Vooruit) rempile dans un gouvernement d’alliance de quelques socialistes et d’une majorité conservatrice. Quelle place, quels moyens pour la santé dans un contexte d’austérité ?

La déclaration gouvernementale mentionne la notion de « Health in All Policies ». La santé est-elle vraiment prise en compte dans toutes les politiques ?
Mon objectif est qu’aucune mesure ne soit prise sans qu’on ait réfléchi à l’impact qu’elle peut avoir sur la santé publique. Car la santé est partout. Ne dit-on pas que « le travail, c’est la santé » ? Travailler, c’est se sentir intégré, utile. C’est construire son tissu social. C’est un levier puissant pour la santé. C’est pourquoi nous nous attelons à la réintégration des malades de longue durée qui peuvent et souhaitent reprendre une activité, même partielle. En parallèle, nous responsabilisons les employeurs pour une meilleure prévention au travail. Même chose pour l’environnement : on sait bien que la qualité de l’air que l’on respire ou des aliments que l’on ingère influence directement notre santé. Nous ne pouvons pas penser l’un sans l’autre. Le secteur des soins de santé subit les effets directs et indirects du changement climatique. Dans le cadre du Plan national d’action Environnement Santé (NEHAP), nous essayons de prendre des actions qui visent une politique publique favorisant la santé publique et l’environnement. Ce plan se focalise sur deux thématiques prioritaires : la lutte contre le changement climatique (le secteur des soins est encore trop polluant) et la réduction des effets néfastes des substances chimiques sur la santé et l’environnement (par exemple, les perturbateurs endocriniens). Le gouvernement s’est engagé à faire attention à cette question. Et je suis là pour le lui rappeler.

Vous prévoyez la remise à l’emploi de milliers de personnes en maladie de longue durée. Par quels moyens ?
Je crois que le travail peut être une partie importante du rétablissement des malades de longue durée. Un travail adapté, souhaité, confortable. C’est pourquoi je souhaite renforcer l’implication des médecins traitants dans notre politique de remise à l’emploi. Car l’objectif reste clair : guider les personnes qui peuvent travailler le plus rapidement possible vers un emploi qui leur convient. À cette fin, nous continuons à nous concentrer sur la plateforme TRIO, qui permet aux médecins d’échanger plus facilement des informations et de mieux travailler ensemble. Les mutuelles, les médecins-conseils et les coordinateurs retour au travail doivent assurer un suivi suffisant pour que chaque malade de longue durée soit soutenu, suivi, et puisse être accompagné dans son retour vers une vie active quand cela est possible. D’un autre côté, les employeurs doivent eux aussi prendre leurs responsabilités.

Faut-il revoir les prérogatives des mutualités, voire les supprimer ? Ces questions ont fait l’objet de discussions lors des négociations pour la formation du gouvernement fédéral.
Les mutualités sont à mes yeux un acteur essentiel dans les soins de santé. Malgré tout le débat que l’on a eu sur cette question, ce rôle reste intégralement intact. Nous allons même renforcer la responsabilité des mutualités dans la gestion des soins de santé ainsi qu’en matière de retour au travail. La société civile garde son importance et continuera à jouer un rôle essentiel en Belgique, en dépit de ce que d’aucuns veulent.

Dans la déclaration gouvernementale, la régulation des centres de santé interdisciplinaires est prévue…
Aujourd’hui, les soins ne peuvent plus être l’affaire d’un seul professionnel de santé. Face aux maladies chroniques, à la polypathologie ou à la dépendance à un accompagnement plus permanent, la prise en charge des patients doit être de plus en plus interdisciplinaire et coordonnée. Or, notre assurance maladie reste pensée pour des interventions individuelles. Pourtant, sur le terrain, des équipes multidisciplinaires se forment, en première ligne, pour répondre ensemble aux besoins des patients, mais l’assurance maladie ne valorise actuellement pas ce travail d’équipe. Or, ces collaborations offrent non seulement des perspectives de meilleure prise en charge, car tous les aspects des questions de soins peuvent être abordés en une seule approche, mais les prestataires de soins trouvent également une valeur ajoutée dans la coopération : elle est agréable, permet d’apprendre des autres, et est bénéfique pour éviter le surmenage, par exemple grâce à la possibilité de distribuer les tâches. Je veux donc valoriser cette collaboration multidisciplinaire de la première ligne. C’est d’ailleurs ce que j’ai souhaité défendre en créant le New Deal1 ou encore l’offre de soutien aux médecins généralistes par des psychologues de première ligne. Mais la première ligne est une compétence partagée avec les Communautés. Avant d’aller plus loin, je veux donc travailler avec mes collègues pour que nos actions soient cohérentes et coordonnées. Je veux faire avancer la coopération sans me perdre dans les blocages institutionnels.

Des coupes budgétaires concernent les secteurs en « dépassement » et… les maisons médicales. Pour nous, il s’agit d’un déplacement des patients soignés à l’acte vers le forfait. Nous rejoignez-vous dans cette analyse ?
En soins de santé, nous devons corriger l’évolution spontanée des dépenses qui est trop importante, sinon l’argent que l’on injecte (via la norme de croissance) ne sert qu’à financer les dépassements de certains secteurs. Il faut donc prendre des mesures difficiles en santé afin de créer une marge conséquente pour investir dans les soins. Mais même dans des moments budgétaires difficiles, il faut préserver le système basé sur la solidarité. Ce qui veut dire que l’accessibilité et la sécurité tarifaire sont essentielles, mais aussi une offre adéquate et bien organisée. Pour ce qui est des maisons médicales, les dépenses du secteur sont simplement le reflet des patients s’inscrivant dans la médecine au forfait par rapport à celle à l’acte, ce sont donc des vases communicants. Simplement économiser dans le secteur parce qu’il est en dépassement n’a donc pas de sens, car cela augmentera les dépenses de première ligne dans les secteurs travaillant à l’acte. Toutefois, cela ne veut pas dire que la situation actuelle est parfaite. C’est pourquoi, en concertation avec le secteur, il est nécessaire d’inscrire des mesures d’efficience qui permettront de garantir la pérennité du système.

Quelle place pour le modèle des maisons médicales ?
Le paysage médical se décline sous différentes formes. Et dans ce paysage varié, les maisons médicales ont fait leurs preuves. Elles garantissent un accès réel aux soins pour les citoyens et, grâce à leur approche multidisciplinaire, s’inscrivent dans une dynamique tournée vers l’avenir. Avec cette expertise, les maisons médicales peuvent d’ailleurs inspirer d’autres formes de pratiques médicales à plus de multidisciplinarité. D’un autre côté, au vu de l’évolution rapide du paysage des soins, il est important que chaque forme de pratique médicale continue de se remettre en question, afin de toujours offrir les meilleurs soins possibles. En ce sens, les maisons médicales peuvent également apprendre d’autres systèmes. En augmentant les échanges et le partage de connaissances entre les différents modèles de soins, on pourrait améliorer la compréhension mutuelle et la coopération entre les différents modèles.

Qu’est-il prévu pour renforcer la première ligne de soins ?
Nous continuerons à renforcer les soins de première ligne en mettant l’accent sur la collaboration multidisciplinaire. Il faut d’ailleurs un nouveau cadre réglementaire pour ces pratiques multidisciplinaires en soins de première ligne. Le médecin généraliste reste un acteur central à cet égard. C’est pourquoi je veux aussi soutenir davantage la médecine générale. Je poursuis donc la politique déjà menée dans la législature précédente avec, entre autres, un soutien supplémentaire au New Deal et à la prise en charge psychologique dans les cabinets de médecine générale. Je veux aussi régler la question des postes de garde de médecine générale. Pour cela, je crois qu’il faut un nouveau cadre clair, avec des critères précis en ce qui concerne la qualité des soins et la disponibilité nécessaire. Le but est de trouver le juste équilibre entre l’accessibilité des soins urgents et nécessaires pour le patient, et la charge de travail et la qualité de vie pour les médecins généralistes. Le triage professionnel via le numéro de téléphone 1733 sera amélioré et déployé.

Comment envisagez-vous de contrôler le secteur pharmaceutique ?
Le gouvernement travaille actuellement à l’élaboration d’un cadre pluriannuel qui vise à limiter la croissance des dépenses dans les années à venir, ainsi qu’à prévoir les mesures qui devraient rétablir le budget de la santé. Il s’agit donc d’engagements avec l’industrie, mais les prescripteurs et les compagnies d’assurance auront aussi un rôle à jouer.

Près de quatre Belges francophones sur dix déclarent avoir renoncé à une prestation de santé pour des raisons financières en 20242. Quelles solutions préconisez-vous ?
Nous devons améliorer l’accessibilité des soins et leur accessibilité financière pour les groupes vulnérables. Une extension du système du tiers payant sera étudiée, avec des conditions techniques préalables et des mesures visant à accélérer les processus administratifs et à garantir la transparence vis-à-vis des patients et des organismes assureurs. Dans le cadre du maximum à facturer, on étudie comment son application peut être étendue, et comment le processus peut être accéléré.

Quelles mesures pour stimuler le conventionnement des médecins, des dentistes et des kinésithérapeutes ?
Le conventionnement est essentiel pour garantir la sécurité tarifaire aux patients. Il y a pour l’instant une tendance lourde au déconventionnement dans certains secteurs, pas dans tous. Le modèle de convention sera renforcé. Il est nécessaire, d’une part, d’encourager davantage le conventionnement en introduisant de nouvelles formes de flexibilité (par exemple, en instaurant des tarifs maximaux facultatifs pour certaines prestations spécifiques, comme c’est déjà le cas pour les dentistes). D’autre part, on doit décourager le déconventionnement. Les organisations professionnelles ont également un rôle à jouer dans le taux de conventionnement de leurs membres : il faut donc les inciter à faire de cette question une priorité. On n’a pas encore décidé comment, mais une chose est sûre : l’avantage relatif dont bénéficient les prestataires de soins qui font le choix de la convention sera renforcé.

Comment améliorer les conditions de travail des personnels soignants ?
Il faut améliorer les conditions de vie des soignants, et cela passe par plus de multidisciplinarité. Au sein d’une équipe de soins, une collaboration plus fluide permet une meilleure division du travail. Il faut que les soignants aient des échanges entre collègues, qu’ils apprennent les uns des autres et créent un réel esprit d’équipe autour des patients. En plus, cela améliorera la qualité des soins. Une meilleure répartition des tâches est une solution directe au problème de surmenage de certains soignants. En effet, elle permet que chacun fasse ce pour quoi il a été formé. À mes yeux, c’est la clé. Enfin, il faut continuer d’attirer les jeunes vers le secteur des soins, et pour cela, il faut revaloriser les métiers de soins et y créer des perspectives d’avenir et de carrières possibles.

 

 

 

  1. H. Jamart, J.-L. Belche, « New Deal pour la médecine générale, New Deal pour les maisons médicales ? », Santé conjuguée n° 103, juin 2023.
  2. Solidaris, Le report des soins de santé, 2024. www.institut-solidaris.be.

Cet article est paru dans la revue:

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