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Une infirmière en première ligne… pour quoi faire ?


Santé conjuguée n° 37 - juillet 2006

En Belgique, les praticiens de l’art infirmer sont formés pour réaliser un large éventail d’objectifs. Dans la pratique, nombre de ces capacités sont négligées ou même entravées par des réglementations incohérentes. Il en résulte non seulement une frustration des praticiens et une désaffection pour la profession, mais aussi une perte d’efficacité de la première ligne de soins.

Les praticiens de l’art infirmier, plus communément appelés « infirmières », sont des personnes qui ont été formées après leurs études secondaires pendant trois ans afin d’être en première ligne dans le système de santé. Non seulement dans ce que nous appelons en Belgique « la première ligne » (les lieux où l’on a besoin de professionnels de la santé, généralement non-spécialisés, avant d’aller dans un hôpital : son domicile, le cabinet du généraliste, une maison médicale, …), mais aussi « en première ligne » – au sens réel du terme – dans les lieux qui sont plutôt identifiés comme étant de la deuxième ou troisième ligne (hôpitaux et autres institutions de santé). En effet, être au chevet du patient 24h/24 et 7j/ 7, pouvoir être attentif à ses demandes, besoins, problèmes, pouvoir faire appel immédiatement à un médecin en cas de problème, pouvoir aller même jusqu’à lui conseiller la bonne conduite à tenir (il est souvent candidat spécialiste et donc peu expérimenté)… donne aux infirmières l’impression d’être « en première ligne »… sauf que l’on est dans une institution et que le patient n’est pas là parce qu’elles l’ont choisi mais bien parce qu’un médecin l’a prescrit. En tous cas, il semble que cette impression d’être au front, d’être la première ligne, d’être le radar à problèmes des patients et d’essayer de répondre à ceux-ci, soit un rôle qui colle particulièrement bien à la peau de l’infirmière. Et pour cause…

Un potentiel gaspillé

Les définitions les plus modernes et complètes de l’art infirmier conviennent que les objectifs des soins infirmiers sont : – La protection, le maintien, la restauration et la promotion de la santé de la personne, de la famille, du groupe ou de la collectivité ; – La réponse aux problèmes de santé mis en évidence par une étape préliminaire de consultation, d’analyse et de formulation de diagnostiques infirmiers ; – La sauvegarde des fonctions vitales, la prévention de la dépendance et la promotion de l’autonomie ; – La contribution aux méthodes de diagnostic médical et au traitement prescrit par le médecin ; – La participation à la surveillance clinique de l’état de santé, l’appréciation de l’évolution de cet état de santé et la participation au sein de l’équipe pluridisciplinaire des professionnels de la santé à l’application des prescriptions thérapeutiques mise en œuvre ; – La coordination des interventions de soins des différents professionnels de la santé ; – La prévention et l’évaluation de la douleur, de la souffrance et de la détresse et la participation à leur soulagement ainsi qu’à celui du deuil ; – L’accompagnement notamment dans les derniers instants de vie. C’est à cette approche, ainsi qu’aux démarches et interventions qui en découlent que sont actuellement formées les infirmières. Le lecteur attentif aura remarqué que ce qui est souvent attendu de l’infirmière par les autres professionnels, à savoir l’aide à la détermination du diagnostic médical et l’application de traitements prescrits, ne représente que deux ou trois aspects du travail que celle-ci s’attend à réaliser à la fin de son parcours scolaire. Ceci rend compte d’une frustration grandissante au cours de la carrière de l’infirmière et de ce sentiment de « rupture avec mon idéal » que nombre d’entre elles mettent en avant lorsqu’elles quittent un emploi. Cette formation très large explique aussi qu’elles pensent pouvoir s’épanouir plus facilement en dehors des institutions de soins, dans ce qui est appelé la première ligne, tels que les soins à domicile ou les maisons médicales, où elles pourraient enfin accomplir les cinq ou six aspects de leur profession qui ne sont pas habituellement pris en compte.

Une réglementation incohérente

Malheureusement, notre système de santé n’est pas ainsi fait… La législation reconnaît via l’arrêté royal n°78 de 1974 l’autonomie et la compétence de l’infirmière dans tous les aspects de l’art infirmier décrits plus haut. Un arrêté royal de 1990 décrit clairement la liste des actes que l’infirmière peut exécuter, dont une bonne moitié (appelés B1) ne nécessite pas de prescription médicale. Mais l’organisation des soins de première ligne et les différentes législations qui la réglemente (principalement INAMI) semblent ignorer ces textes de base. N’est-il pas étonnant, bizarre, incohérent, parfois dangereux, que parfois ce soient des personnes non formées pour cela qui évaluent certains besoins du patient, ou que le patient soit obligé de passer par un autre professionnel (et de le rémunérer) pour obtenir le passage d’une infirmière (et le remboursement des frais qui y sont liés). C’est pourquoi, dans un premier temps, il nous semble que cette incohérence, voire injustice, devrait être corrigée. Les infirmières devraient pouvoir consulter des patients à leur simple demande, évaluer leurs besoins de santé tel qu’elles l’ont appris et tel que prévu dans la législation, et devraient au moins pouvoir prescrire les soins infirmiers qui légalement ne nécessitent pas de prescription médicale selon l’arrêté royal n°78.

Un art au service de la première ligne et des patients

Que pourraient devenir les soins infirmier de première ligne ? Certaines expériences étrangères (anglaises, canadiennes, suédoises, néerlandaises) sont intéressantes et devraient être tentées chez nous. Dans ces pays, les infirmières sont les premières à évaluer l’état du patient et à éventuellement le diriger vers le médecin généraliste (fonction de « tri »/ soins de première ligne), elles sont autorisées à prescrire les actes et interventions qui relèvent de l’art infirmier (réelle autonomie/ respect des compétences), et elles sont autorisées à réaliser et prescrire une liste précise d’actes médicaux et de médicaments en respectant certains protocoles réalisés en collaboration avec les sociétés de médecine générale (économie médicale). Les moyens de télécommunication modernes facilitent d’ailleurs ce type de fonctionnement. Dans ces pays, ces mesures ont évité un impact négatif de la pénurie des professions de santé sur les patients, ont amélioré le temps de détection et de réponse de la première ligne aux problèmes de santé, ont amélioré la satisfaction des patients vis-à-vis des soins de première ligne, amélioré l’image de la profession infirmière au sein de la société, augmenté le taux d’emploi dans la profession infirmière,… et amélioré la perception de santé et de maîtrise de sa santé dans la population. Finalement, n’est-ce pas tout ce que nous voulons pour le patient et pour nous-mêmes ?

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 37 - juillet 2006

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