Des obstacles sociologiques mais aussi professionnels
Dercq Jean-Paul
Santé conjuguée n° 37 - juillet 2006
Vu de l’administration, les obstacles au développement des soins de santé pri- maires sont à rechercher certes dans un certain contexte sociologique, mais aussi à l’intérieur de la profession médicale.
Premier point de contact des gens avec le système de santé, les soins primaires soutiennent les personnes et les familles et les aident à prendre les meilleures décisions possibles pour leur santé. Ils incluent la promotion de la santé et la prévention de la maladie, les évaluations de la santé, le diagnostic et le traitement de maladies épisodiques et chroniques, ainsi que les soins de soutien et de réadaptation. Les services sont coordonnés, accessibles à tous et offerts par des professionnels de la santé compétents qui facilitent au besoin le recours à d’autres services connexes à la santé. Certains freins et obstacles sociaux et professionnels entravent le développement des soins primaires.Freins sociaux
Un certain nombre de comportements et croyances du public et des usagers fait obstacle au développement des soins de santé primaires tels que décrits ici. Il en va de même de certaines habitudes propres aux professionnels. 1. Séduction et prédominance de la technologie médicale, apanage des secondes lignes de soins, sur les actes intellectuels qui constituent l’essentiel des interventions en soins de santé primaires. 2. Difficulté pour l’individu de privilégier un comportement de prévention-anticipationresponsabilité-organisation par rapport à demande passive-curative. 3. Difficultés d’implémentation du multiprofessionnalisme dans la formation et dans l’exercice des professions de santé. 4. Lenteur de la progression de l’informatisation de la santé. La communication entre professionnels et la consultation de ressources bibliographiques ou scientifiques est essentielle et repose, pour les soins primaires, davantage sur l’équipement individuel. La clé de l’intégration des services de soins de santé réside dans les technologies facilitant l’échange d’informations.Obstacles professionnels
D’autres facteurs liés à la profession elle-même et à ses conditions d’exercice contribuent à freiner le développement des soins de santé primaires. Ils répondent « en miroir » aux obstacles sociologiques. . Le paiement à l’acte Parallèle à l’attirance « séductrice » que le public éprouve pour la technique (donc les secondes lignes), les professionnels y trouvent un intérêt tout aussi puissant. Le paiement à l’acte favorise en effet l’acte technique, multipliable à souhait, au détriment de l’acte intellectuel. Cet obstacle commence à être contourné grâce à l’introduction de mécanismes de rémunération de type forfaitaire (prime informatique, accré-ditation, honoraires de disponibilité, finance-ment des services de gardes, Dossier médical global, passeport diabétique, soutien financier à l’installation et au regroupement de méde-cins). Une volonté plus marquée de renforcer la rémunération des actes intellectuels est également observée. . Insuffisance de développement des processus de mesure et d’amélioration de la qualité Actuellement le processus d’accréditation repose essentiellement sur la formation continue et le peer-review ; il y a peu d’éléments probants démontrant que ces mécanismes ont produit des avancées en matière de mesure et d’amélioration de la qualité des soins. Il y a pourtant une demande croissante des professionnels de la santé pour développer des projets de qualité de soins basés sur des enregistrements spécifiques de données médicales qui, anonymisées pour le prestataire et le patient, devraient être soumis aux professionnels de la santé eux-mêmes. . Difficultés de collaboration entre prestataires Aucun médecin ne peut espérer maîtriser complètement toutes les connaissances sur les diagnostics et les traitements de plus en plus nombreux, sans parler des florissantes publications de recherche sur les déterminants sociaux de la santé. La collaboration, notamment au sein de trajets de soins, entre médecin spécialiste et médecin généraliste ainsi qu’avec d’autres professionnels de la santé est indispensable. Il s’agit plus particulièrement du renforcement de la collaboration entre les médecins généralistes et les médecins spécialistes dans le cadre de l’introduction des trajets de soins en faveur des patients qui ont besoin de soins complexes. L’organisation des soins pour les patients qui ont besoin de soins lourds contribue à l’amélioration de la collaboration des médecins s’occupant d’un même patient et elle a pour avantage d’améliorer la qualité des soins donnés au patient. Il faut éviter le cumul des rôles de chaque acteur dans le domaine de la santé (répondant des coûts, fournisseur de prestations, autorité habilitée à légiférer, planificateur de l’offre sanitaire, instance de recours). Les conflits d’intérêts doivent être atténués par des mesures juridiques appropriées. . Difficultés de développement du multiprofessionnalisme Les médecins sont formés surtout pour établir des diagnostics et fournir des traitements aux personnes, en mettant l’accent sur certaines parties précises du corps. Ils sont orientés vers l’intervention médicale, les soins de prévention médicaux et les moyens médicaux pour préserver la santé. Pourtant, la recherche sur la promotion de la santé et la prévention de la maladie montre clairement que la santé est déterminée par des facteurs multiples qui doivent être abordés de différentes façons. Beaucoup de ces déterminants exigent des compétences multiprofessionnelles organisationnelles, et non-médicales (par exemple : sociologie, communication) qui dépassent de loin les soins médicaux et dont certains exigent une compréhension des collectivités dans lesquelles vivent les gens. L’importance encore accordée actuellement aux pratiques médicales en solo ne permet pas de tirer profit de l’ensemble des compétences des professionnels de la santé, compétences qui sont critiques tant pour la promotion de la santé que pour le traitement de maladies ou d’incapacités. La difficulté à partager les activités et à définir de manière complémentaire les rôles des différents acteurs de la santé est un défi à relever sans délai. . Difficultés d’implémenter des soins intégrés Il ne suffit pas de développer les collaborations entre acteurs de santé continuant par ailleurs à exercer chacun en autarcie, une approche intégrée nécessite un regard intégré sur les diverses facettes des problèmes de santé. Elle requiert une disponibilité, une organisation du travail et une formation qui risquent de dépasser les possibilités de praticiens isolés, et peuvent être mieux rencontrées par la réunion de professionnels issus de formations différentes. D’où l’idée d’offrir des soins globaux, intégrés et continus, à partir d’une équipe pluridisciplinaire. C’est en outre une des solutions essentielles pour améliorer l’accès aux soins et gérer les pénuries de main-d’oeuvre à venir, notamment l’outsourcing, l’importation de main-d’oeuvre étrangère, la transformation des hôpitaux (avec interfaces entre petites institutions et hôpitaux généraux), télémédecine et soins à domicile. La capacité à organiser des soins devient essentielle et ne peut être remplacée par la capacité à délivrer des soins ; le management des soins est une discipline peut répandue et qui imprègne assez peu les facultés de médecine. Les technologies de l’information sont la charpente des soins du futur étant entendu que le manque de « soins intégrés » et le manque de partage des informations sont les problèmes les plus aigus auxquels les systèmes de soins doivent faire face. Le National Health Service britannique projette d’investir douze milliards de dollars dans la construction d’un réseau intégré électronique de données médicales.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 37 - juillet 2006
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Partie 8
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Partie 4
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