Un secteur en pleine mutation
Pluridisciplinarité voire inter- ou transdisciplinarité, travail collectif, nécessité de considérer l’intérêt collectif, auto-évaluation, efficience, Evidence-based-medecine-kiné-soins infirmiers, informatisation, transmission d’informations, mission d’observatoire de la santé, responsabilisation et augmentation du contrôle de l’état, médicalisation des problèmes sociaux, détresse croissante et plurifactorielle de la population, vieillissement, va et vient entre prépondérance de la médecine spécialisée et retour de la technologie à domicile, droits reconnus des patients, augmentation et complexification du travail administratif, etc. etc. etc. Autant de facteurs à intégrer par les travailleurs des soins primaires qui, il faut l’admettre, n’y sont absolument pas préparés. Comment gérer une mutation qui ne les attend pas et se poursuit, avec ou sans eux ? Certaines professions ont tenté ces dernières années de redéfinir leur fonction, mais sans articulation transversale ni mise en perspective dans le cadre d’un projet politique global de santé. De plus, ni l’organisation du système, ni le système législatif, ni le découpage des compétences de santé entre différents niveaux de pouvoir, ne s’adaptent pour permettre l’intégration de ces données nouvelles. Une nécessaire interpellation de la formation Le message véhiculé dans les universités se concentre sur un mode de travail individualiste, hiérarchisé, et hospitalocentrique, exclusivement basé sur le colloque singulier et la maladie, particulièrement somatique. Quand on dit hiérarchique, c’est entre médecins spécialistes et généralistes, entre hôpital et ambulatoire, et entre médecins et professions dites « paramédicales ». Il y aurait également long à dire sur la formation continuée, qui se poursuit sur le même mode hiérarchisé et monodisciplinaire. Si les départements et centres académiques de médecine générale tentent d’apporter une autre conception du travail des acteurs de la santé, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour redonner à la première ligne sa vraie valeur dans les (dis)cours universitaires. Une coordination et une concertation de qualité sur le terrain passeront obligatoirement par une formation qui mettra ensemble sur les bancs les différents futurs professionnels, et ce pour parler de santé au moins autant que de maladie. Faut-il ajouter que le financement insuffisant, particulièrement de la formation continuée, laisse une grande place à l’influence inacceptable et sans mesure, de l’industrie pharmaceutique. Un manque de politique globale et une crise d’alternatives Actuellement, parmi nombre de politiques comme parmi les scientifiques la question reste ouverte : s’ils conviennent qu’il faut renforcer les soins de santé primaires, quelles stratégies employer ? Comment les organiser ? Quelle réforme apportera réellement du mieux ? Cela a été dit (et pas par nous), il n’y a jamais eu en Belgique de véritable débat sur la santé publique. Pas non plus sur l’organisation globale d’un système de santé, plus largement que le système de soins, considérant la santé dans tous ses aspects et ses déterminants. Cette absence de politique et de système conduit à des choix par défaut qui n’ont fait que renforcer l’existant hospitalo-centré. Ce manque d’une alternative forte au système actuel touche apparemment de nombreux acteurs progressistes importants de la concertation belge. De craintes d’effets inattendus des réformes, en attentes d’une solution miracle, tous avancent « à petits pas » dans le meilleur des cas, et piétinent malheureusement encore trop souvent. Cette difficulté n’épargne pas les professionnels eux-mêmes. S’ils semblent relativement unis pour dire qu’ils ne sont plus d’accord avec la façon dont le système les traite, les syndicats corporatistes sont divisés soit par des divergences de valeurs fondatrices, soit par des choix stratégiques différents pour atteindre un objectif éventuellement commun. Outre les deux organisations de généralistes qui ont écrit dans nos pages, d’autres lobbies existent dans le paysage, qu’ils soient syndicaux, ou auto-proclamés, qui défendent des positions tout à fait différentes. Cet éclatement de la représentation des généralistes face à une représentation spécialiste forte, est contre-productive : elle offre aux pouvoirs publics et aux interlocuteurs l’opportunité de choix parcellaires (ou d’absences de choix), et permet que rien ne se décide. La place des citoyens/usagers/ patients dans tout ça ? On doit bien constater que le système actuel laisse encore beaucoup trop peu de place au patient. Il s’agit de laisser plus de place à leur parole. De quelles idées sera-t-elle porteuse ? En tant qu’utilisateurs, les citoyens ont beaucoup de choses à dire sur la qualité des services qui leur sont proposés. En tant qu’utilisateurs et citoyens, ils peuvent aussi avoir une responsabilité par la manière dont ils se servent et utilisent le système. Comme les travailleurs, ils ont à apprendre, accepter et intégrer certains changements. Ce qui n’est pas nécessairement plus facile pour eux. En tant que groupes de pression, ils peuvent et vont constituer un lobby incontournable à prendre en compte dans les volontés de réformes. Certains craignent l’instrumentalisation de ces groupes par les firmes privées, avec la facilité de surfer sur la vague de la souffrance et de la culture dominante décrite ci-dessus. Mais peut- être ceci est-il aussi une conséquence du peu de place (et de moyens) qu’on leur laisse pour s’organiser, réfléchir, et s’exprimer. Les maisons médicales ont parfois les plus ardents défenseurs de leur mode de travail, parmi leurs utilisateurs. Les syndicats interprofessionnels rassemblent surtout des travailleurs, de secteurs concernés ou non. Ils représentent à la fois l’intérêt des travailleurs, et l’intérêt de la population en tant que bénéficiaire de la sécurité sociale. On n’oubliera pas qu’ils sont aussi co-gestionnaires de la sécurité sociale et l’assurance maladie- invalidité. Ils ont parfois des difficultés à marier les deux intérêts, lorsqu’ils divergent, mais ils ont déjà montré leur capacité à avancer dans ce sens. Et puis il y a les mutuelles, qui partagent ce copilotage de l’assurance maladie et qui ont été et restent les « inspirateurs » de nombreux cabinets de la santé et des affaires sociales. Leur forte liaison avec le mouvement social ne les met à l’abri de dérives assurantielles commerciales ou bureaucratiques. Elles ont le rôle d’informer leurs affiliés et de représenter leurs intérêts, de rechercher un système qui tienne compte d’eux. Elles tentent aussi de continuer à jouer leur rôle d’éducation permanente. Peut- être devraient-elles être plus investies par les usagers en renforçant leur mécanisme de démocratie participative et en valorisant les principes d’une société solidaire. Aujourd’hui, elles ont tendance, et le contexte l’explique, à rassembler leurs forces sur le maintien d’un équilibre budgétaire de plus en plus précaire. L’importance du dialogue entre tous les acteurs Une vraie réforme du système ne se fera pas sans une véritable volonté des politiques. Même si pour sa réussite, il faut tenir compte de tous les acteurs concernés, que ce soient les professionnels (et leurs leaders), les partenaires de la concertation, les citoyens. Les politiques peuvent être positivement poussés et soutenus par les mutuelles et les syndicats interprofessionnels, dont les plus importants semblent à priori favorables. Mais pour que tout cela s’articule, le dialogue vrai et constructif entre acteurs n’est pas encore suffisant. Trop souvent, nous nous rendons compte à quel point chacun des groupes (généralistes spécialistes, autres professions, mutualistes, syndicalistes, politiques du législatif ou de l’exécutif, citoyens de groupes divers, etc.) ne connaît pas les réalités et les préoccupations des autres, et se cantonne dans une position de méfiance a priori qui n’aide pas avancer. Beaucoup se trouveraient probablement plus de points communs s’ils pouvaient mieux partager. Et puis il y a ceux qui sont tout à fait contre Ceux qui n’accordent aucun crédit aux soins de santé primaires. Ceux qui refusent toute réforme et prônent le maintien d’un non- système qui renforce les modalités actuelles et le « tout à l’hôpital ». Ceux qui pensent qu’une réforme n’est pas nécessaire, que le système actuel fonctionne bien. Cela fait partie de démocratie, il faut entendre leurs raisons, en tenir compte, espérer qu’ils puissent changer d’avis, avancer avec ou malgré eux. C’est une raison de plus pour resserrer les rangs entre ceux qui veulent progresser.Une alternative ?
Les maisons médicales proposent un mode d’organisation des soins santé primaires très proche de ce qui est considéré comme une alternative intéressante dans de nombreuses sources de littérature (citons par exemple un groupe de recherche canadien qui se base sur l’observation de modèles d’organisation existants dans différents pays (voir JM Jalhay), ou le rapport « European Primary Care »1 réalisé par le Conseil de la santé néerlandais, sur base d’une importante revue de littérature. En témoigne probablement aussi l’emballement de la création spontanée de pratiques de ce type, particulièrement depuis une quinzaine d’années. Cette alternative est probablement à affiner, selon les expériences connues et évaluées dans d’autres pays, selon les expériences vécues sur le terrain, selon certaines contraintes géographiques (par exemple milieu rural versus milieu urbain) ou selon les évolutions de la société (notamment le vieillissement des populations, mais aussi l’évolution des exigences des décideurs et autres acteurs). Mais elle reste une base de travail intéressante pour répondre à de nombreux défis. Les maisons médicales devront accepter de continuer à être des laboratoires, pour tester et surtout évaluer des modes de travail, dans un objectif d’amélioration de la qualité du service de santé à la population. A vrai dire, la Belgique est sans doute un des rares pays d’Europe occidentale avec la France à avoir maintenu un système aussi flottant, non régulé, non échelonné. Avec des nuances, la plupart des pays ont opté pour la mise en place de modes d’organisations du secteur primaire, voire d’une politique structurée de soins de santé primaires : Italie, Hollande, UK, Espagne, Portugal, etc. En Belgique, même si les maisons médicales continuent à réfléchir et à s’adapter, à revendiquer qu’une autre façon de rendre service à la population est possible, leur expérience doit pouvoir s’inscrire dans une volonté politique de construction d’un système global, qui donne toute sa place aux soins de santé primaires, et surtout, qui se préoccupe de la santé de la population et de tous ses déterminants. .Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 37 - juillet 2006
Les pages 'actualités' du n° 37
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Partie 1
Partie 2
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Partie 7
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Partie 8
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Partie 4
Glissement de soins
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