Que faut-il entendre par soins de santé primaires, comment en apprécier l’impact sur la santé des populations et quelle lecture peut-on faire du manque de ressources qui leurs sont allouées.
Brève définition des soins de santé primaires
Par soins de santé primaires, nous entendons les soins de premier niveau, c’est-à-dire le niveau du système de soins qui est la porte d’entrée dans le système de soins, qui offre des soins généralistes, globaux, continus, intégrés, accessibles à toute la population, et qui coordonne et intègre des services nécessaires à d’autres niveaux de soins (Macinko 2003). Une définition plus complète des missions des soins de santé primaires est proposée plus loin. Il nous parait essentiel à ce stade de s’accorder sur les mots pour disposer d’un langage commun mais aussi pour sortir de jugements de valeur mal à propos. La confusion soins de première ligne / soins de santé primaires fait partie de ces difficultés. Si l’on observe un système de santé à partir de l’offre de services, on doit pouvoir y relever des niveaux d’offre de soins : à sa base, le niveau primaire, non segmenté, ni par âge ni par sexe ni par type de problèmes ni par organe ni par capacité financière des usagers. Ce niveau primaire est censé pourvoir répondre à 90 % des problèmes de santé d’une population non sélectionnée du tout venant. Ensuite le niveau secondaire, niveau de référence, et finalement le niveau tertiaire, celui de la médecine de haute technologie (hôpitaux universitaires). Ces deux derniers niveaux sont par définition spécialisés et donc segmentés. L’autre angle d’observation est celui de la demande, du lieu où le patient prend contact avec le système et dépose son problème. Ce lieu sera la première ligne. Particulièrement dans notre pays où l’accès aux différents niveaux n’est pas échelonné et donc libre, la première ligne pourra se situer à beaucoup d’endroits, y compris dans le niveau secondaire et même tertiaire : les services d’urgence en sont un exemple, mais un Brussels menopause center aussi. Le rôle des soins de santé primaires ne doit pas être défini isolément mais en relation avec les autres constituants du système de santé. Les soins primaires et secondaires, généralistes et spécialisés, ont tous des rôles importants. Ils ne sont pas mutuellement exclusifs mais nécessaires au système. Toutefois, les avancées technologiques, l’amélioration de l’éducation et de la formation, les changements de besoins liés à la transition épidémiologique, les changements sociaux et de mode de vie accroissent les besoins en soins de santé primaires, et appellent à une organisation telle que ces soins primaires soient dans la plus grande majorité des cas la première ligne.Un système de santé basé sur des soins de santé primaires est plus efficace, plus efficient et de meilleure qualité
Le point de vue des organisations internationales Les soins de santé primaires sont devenus en 1978 l’une des politiques clés de l’Organisation mondiale de la santé lors de l’adoption de la déclaration d’Alma-Ata et de la stratégie de la « santé pour tous en l’an 2000 » (OMS 1978). Ainsi, entre autres, l’Organisation mondiale de la santé a émis dans la Lubljana Charter on Reforming Health Care, parmi ses principes fondamentaux, la nécessité pour les systèmes de santé européens d’être orientés vers les soins de santé primaires et de permettre, à travers ces soins primaires, d’assurer la promotion de la santé, l’amélioration de la qualité de vie, la prévention et le traitement des maladies, la réhabilitation, la prise en charge des douleurs et les soins palliatifs, la participation des patients dans la prise de décision concernant leur santé, l’intégration et la continuité des soins, en tenant compte du contexte culturel spécifique (OMS 1996). Dans son Rapport sur la santé dans le monde 2003 – Façonner l’avenir , l’Organisation mondiale de la santé encourage fortement à une importante évolution vers le modèle de systèmes de santé basés sur les soins de santé primaires. Ce rapport fait état du fait que vingt-cinq ans après la déclaration d’Alma-Ata, nombreux sont ceux qui dans le monde de la santé estiment essentiel de privilégier les soins de santé primaires pour une progression équitable de la santé. L’Organisation mondiale de la santé considère que les soins de santé primaires couvrent des principes-clés dont : l’accès universel aux soins, la couverture en fonction des besoins, l’engagement à garantir l’équité en matière de santé dans le cadre d’un développement orienté vers la justice sociale, la participation communautaire à la définition et à l’exécution des programmes de santé, l’adoption d’approches intersectorielles de la santé. Citons : « L’expérience montre que les meilleurs résultats sont obtenus dans des systèmes de santé dotés de services de soins de santé primaires intégrés et efficaces, probablement parce qu’ils permettent d’assurer des services longitudinaux plus complets et coordonnés ». L’ OECD Economic surveys – Belgium 2005 (OECD 2005), après analyse de la situation belge en matière de santé, émet ces recommandations : « le Gouvernement devrait vigoureusement encourager les patients à prendre pour principe de consulter leur médecin généraliste en premier lieu (sauf en cas d’urgence) ; il devrait pour cela ne pas rembourser les frais médicaux des patients qui n’ont pas été référées par leur généraliste ». Pour l’OCDE, l’absence d’échelonnement en Belgique conduit à une utilisation inadéquate des ressources médicales par les patients. Les tentatives actuelles d’augmenter les incitants à passer par le médecin généraliste ne sont pas suffisamment fortes. L’augmentation de la responsabilité des généralistes par l’ajout du rôle de gate keeper , induit par l’échelonnement, doit être rétribué. La nécessité d’un système intégré de soins de santé est explicitée, avec un rôle pivot pour le généraliste. Outre ce rôle de gate keeper , le rôle de coordination des processus de soins à long terme et le fait d’être la première source de contact pour le patient et sa famille sont aussi reconnus. Par l’exemple de l’octroi de guidelines adéquats, l’OCDE cite la nécessité pour le système de donner aux généralistes les moyens nécessaires pour assurer leur rôle grandissant. Au sujet du financement des soins de santé primaires, nous citerons encore ce rapport de l’OCDE (OECD 2005) qui offre un bon résumé de ce qui se passe en Belgique : « En Belgique, les médecins sont payés à l’acte. Ce mode de rémunération incite les praticiens à gonfler le volume d’actes par la réalisation de services et prescriptions inutiles. (…) Un système à la capitation peut inciter les praticiens à sous-traiter leurs patients, à référer plus rapidement en second ligne ou à sélectionner les personnes avec un faible risque de maladie. En réponse aux impasses des deux modes de paiement, certains pays évoluent vers un système de paiement plus complexe qui combine une partie fixe (capitation ou salaire) avec un paiement à l’acte pour certaines interventions spécifiques ». Lors de la conférence informelle de l’Union européenne Shaping the EU Health community , à Den Haag les 7-9 septembre 2004, pas moins de 440 experts en soins de santé, provenant des vingt-cinq états membres de l’Union européenne, se sont réunis pour émettre ensemble des recommandations qui ont été exprimées aux ministres de la Santé des pays concernés. Parmi ces recommandations, il était question de la haute priorité des soins de santé primaires et de la santé publique dans le développement des systèmes de santé. Il était aussi fait état de la nécessité de postposer le plus possible la dépendance des personnes âgées, par la promotion de la santé et le maintien autant que possible de la santé, ce qui nous semble bien être des missions qui peuvent le mieux, au sein du système de soins, être prises en charge par des soins de santé de premier niveau (Van Bennekom 2004). Les preuves dans la littérature scientifique Si l’on recherche dans la littérature scientifique internationale, on peut aussi trouver des arguments objectifs en faveurs du développement des soins de santé primaires. Starfield et Shi (Starfield 2002) ont classé treize pays industrialisés de plus de cinq millions d’habitants d’après le niveau d’importance accordé aux soins de santé primaires dans leur système de santé, et les ont comparés pour des indicateurs de la santé de la population, ainsi que pour le coût des services de santé. Les auteurs ont observé que plus le système a une forte orientation vers des soins primaires, plus les coûts de l’ensemble des services de soins de santé sont bas. L’impact d’une orientation en faveur des soins primaires est aussi positif sur divers indicateurs de santé de la population, et ce particulièrement dans les premières années de vie de la population. Un impact positif se marque également pour les personnes âgées, mais sera plus sensible à l’importance du financement global du système de santé et de la coordination entre première et deuxième ligne, qui doivent permettre des références efficaces aux services spécialisés et plus techniques en cas de besoin. Parmi les quinze caractéristiques utilisées pour donner un score aux pays étudiés, il ressort que trois caractéristiques liées au système de santé et deux caractéristiques liées aux pratiques de soins primaires distinguent plus particulièrement les pays les moins performants en termes de soins de santé primaires. Les caractéristiques liées au système et insuffisamment remplies dans les pays moins performants sont : la distribution équitable des ressources, une couverture assurantielle universelle, et une participation financière personnelle directe faible ; les caractéristiques liées aux pratiques de soins primaires sont l’offre de services globaux et intégrés ( compréhensive primary care services ), et orientés sur les familles. D’après Starfield et Shi, une réforme du système de santé qui, en plus d’accorder une importance plus grande aux soins de santé primaires, se pencherait en priorité sur ces caractéristiques, devrait contribuer à une meilleure santé globale, et à un moindre coût. Une étude similaire réalisée sur dix pays en 1991 (Starfield 1991) concluait également à un impact positif de soins primaires développés. Il y était en outre indiqué que les résultats des services de soins de santé sont aussi influencés par la présence et la performance d’autres services sociaux, et d’un système d’éducation publique adéquat. D’après ces deux études, la Belgique se situe parmi les pays les moins bien cotés pour la place laissée aux soins de santé primaires. Toujours d’après Starfield (Starfield 2005), le nombre de médecins généralistes en activité influence positivement les indicateurs de santé, alors qu’une fois dépassé un certain seuil, le nombre croissant de spécialistes a un effet négatif. Les soins de santé primaires améliorent aussi l’équité des services de santé. Un système de santé fondé sur des soins de santé primaires soutenus serait donc plus équitable, plus efficace et plus efficient. D’après B. Starfield, les acteurs de soins de santé primaires permettent une prise en charge adéquate des demandes de première ligne, avec une référence après évaluation de la nécessité, par opposition aux spécialistes dont le métier est de rechercher « les zèbres parmi les chevaux ». Les acteurs de soins primaires permettent donc de limiter les examens techniques inutiles. Les soins de santé primaires permettent aussi une approche globale des différentes co-morbidités présentées par les patients en prenant en compte les particularités sociales, familiales, psychologiques, culturelles de la personne. Les spécialistes ont pour fonction de se focaliser sur des pathologies liées à des sphères précises de la médecine et de bien les maîtriser. Si les deux métiers sont complémentaires, les patients ont énormément besoin de la fonction de synthèse et de suivi des généralistes. Enfin, les soins de santé primaires sont les mieux placés pour être des observatoires de la santé globale de la population, et pour déterminer les besoins les plus fréquents et les plus importants. Macinko et al. (Macinko 2003) ont également étudié les données de l’OCDE de 1980 à 1998 pour étudier la contribution des soins de santé primaires sur des indicateurs de santé. Leur étude leur permet d’observer que l’importance accordée aux soins de santé primaires est inversement associée à la mortalité toutes causes confondues, à la mortalité prématurée pour asthme, bronchite, emphysème, pneumonie, pathologie cardio-vasculaire et maladie cardiaque. L’auteur conclut qu’un système de soins primaires solide et des caractéristiques de pratique telles que la régulation géographique de l’offre, la continuité, la coordination, l’orientation vers la communauté sont associés avec une meilleure santé de la population. Les auteurs observent également qu’au fil de toutes ces années, peu de pays ont amélioré les bases essentielles de leur système de soins primaires, et cela s’avère vrai pour la Belgique, qui garde depuis 1980 le même score, parmi les plus bas. La liste est longue de références bibliographiques arrivant elles aussi à une corrélation entre développement des soins de santé primaires, meilleurs résultats pour les indicateurs de santé (morbidité et mortalité), meilleure satisfaction des usagers et moindre coût pour les systèmes de sécurité sociale. Citons, au niveau européen, le rapport de synthèse du Health Evidence Network (HEN), un service de l’Organisation mondiale de la santé Europe, publié sur base d’une recherche bibliographique étendue (plus de cent références) ou encore le rapport European Primary care , édité par le Gezondheidsraad néerlandais en 2004 (Gezondheidsraad 2004) qui fait aussi état d’une longue recherche bibliographique montrant les plus grandes efficacité et efficience des systèmes de santé basés sur des soins primaires soutenus. ï¾ La satisfaction des patients La même étude du Health Evidence Network (HEN 2004) rapporte que, excepté au Royaume-Uni (probablement pour des raisons de trop faible budget global alloué au système de santé), le niveau de satisfaction est plus élevé dans les pays qui présentent des soins de santé primaires importants. Ainsi, le Danemark présente le meilleur taux de satisfaction de la population au sujet des soins de santé, satisfaction attribuée à la grande accessibilité des soins de santé primaires délivrés dans ce pays. Mais la satisfaction des patients dépend aussi du type de services offerts par les soins de santé primaires : mode de délivrance des soins, accessibilité en dehors des heures de bureau, médecin traitant identifié, continuité, prévention. Une enquête réalisée par Test santé ( Test santé 2000) auprès d’un échantillon représentatif de la population belge, apporte comme informations, que : – 95 % des personnes ont déjà un médecin traitant, et 75 % le même depuis plus de cinq ans. Parmi les 5 % sans généraliste attitré, plus de la moitié seraient prêts à se limiter à un seul généraliste, soit spontanément, soit s’il y a un incitant financier. – 90 % des personnes interrogées sont favorables à un dossier médical centralisé, et parmi eux, 92 % trouvent que c’est le généraliste qui doit être le détenteur de cette tâche. 87 % trouvent que les spécialistes devraient être obligés d’envoyer les résultats et rapports d’examen au généraliste détenteur du dossier. – L’échelonnement obtient moins d’adhésion. Toutefois, un certain nombre de patients retourneraient chez le généraliste pour le premier contact s’il y avait un avantage financier à le faire. On doit remarquer dans les commentaires de cette enquête, le manque de connaissances de la population quant aux activités tant curatives que préventives qui peuvent être avantageusement réalisées en médecine générale. Ces informations montrent bien que pour la population aussi, le généraliste, acteur central des soins de santé primaires est très important. Ce n’est donc pas de là que doivent s’expliquer des résistances au développement de soins de santé primaires comme base et fondement du service à la population en matière de soins de santé. D’après le même article faisant état d’une enquête auprès de généralistes, ceux-ci considèrent l’inscription de tous les patients chez un médecin de leur choix comme une priorité pour la réorganisation des soins de première ligne. Ce qui signifierait que l’opinion de beaucoup de généralistes ne correspond pas à ce que certaines voix dans la profession veulent laisser entendre.Mais alors, pourquoi ne développe-t-on pas plus les soins de santé primaires ?
C’est la question que se pose le Health Evidence Network (HEN 2004) : malgré l’amoncellement de preuves en faveur des soins de santé primaires, l’allocation des ressources, dans la majorité des pays, favorise toujours les hôpitaux et les soins spécialisés. Cela s’expliquerait en partie, d’après ce rapport (HEN 2004), par la perception de ce que sont les soins de santé primaires, de ce qu’ils ont à offrir : les décideurs politiques, tout comme beaucoup de professionnels de la santé, les voient comme une activité de bas niveau, avec un effet faible sur la mortalité et la morbidité, et comme ayant surtout un rôle de triage pour l’accès aux hôpitaux, plutôt que de considérer leur contribution effective et positive au gain de santé. Cette inefficience dans l’allocation des ressources a pourtant des implications pour l’équité et l’efficience des services. Cela pourrait expliquer pourquoi la dépense publique croissante pour le système de soins n’améliore ni l’équité d’accès ni les résultats de façon proportionnelle, et a moins d’impact sur le statut moyen de santé que ce qui pourrait être attendu. Il semble donc que les politiques, les professionnels de la santé, et la population, doivent encore être mieux informés sur le concept de soins primaires et sur les bénéfices qu’ils peuvent apporter. En Belgique, les soins de première ligne et la médecine générale qui en est le pivot sont en crise depuis plusieurs dizaines d’années. Ces métiers du social et de la santé, pourtant fondamentaux, font l’objet d’un désamour tant des professionnels que des pouvoirs publics : conditionnement de la formation, absorption de l’ensemble des soins par les deuxième et troisième niveaux (hôpitaux et services universitaires), faible intérêt politique souligné dans plusieurs études internationales, attributions financières dérisoires pour les missions imparties théoriquement aux soins primaires. Nous faisons le constat de l’existence en Belgique de modèles multiples de dispensation des soins primaires. Sans orientations clairement définies par la politique, les dispensateurs individuels ou collectifs poursuivront chacun, c’est logique et compréhensible, leurs propres objectifs. Ces modèles peuvent soit converger si on les organise dans ce sens, soit camper sur des positions inconciliables. Faute de ces choix, nous craignons que le secteur « ambulatoire » général ne se trouve confiné à remplir par défaut les tâches abandonnées par le secteur hospitalier ; les services de proximité se tariront et les soins à domicile se structureront uniquement par rapport à la gestion des flux à l’hôpital. En terme quantitatif, sur le plan financier, on assisterait à l’accroissement de la tendance inflatoire actuelle, et en terme qualitatif, sur le plan humain, on hypothéquerait la prise en compte des individus dans leur globalité et l’humanisation des structures de soins. L’Organisation mondiale de la santé, dans son Rapport sur la santé dans le monde 2003 , déclare que si la qualité des soins dépend dans une certaine mesure des caractéristiques individuelles du personnel soignant, les niveaux de performance sont bien davantage fonction de l’organisation du système de soins de santé où s’effectue le travail. Pour l’Organisation mondiale de la santé, reconnaître que la qualité des soins de santé est essentiellement liée au système est le premier pas vers l’amélioration tant du déroulement que des issues des soins de santé.Références
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Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 37 - juillet 2006
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