Aller au contenu

Les maisons médicales liégeoises sont à l’origine d’Orphéo, une association de professionnels de première ligne intéressés par la pratique des soins palliatifs. Depuis, l’initiative s’est largement développée…

Entre 1988 et 1992, des appels à projets pour mettre en place des aides aux soins palliatifs ont été lancés par Philippe Busquin, ministre des Affaires sociales. À Liège, les maisons médicales entrèrent dans ce cadre d’aide pour les patients et leur famille, ce qui exigea la formation d’une asbl : Orphéo, et permit d’établir une équipe de professionnels uniquement dédiés à cette tâche. La suite logique de ces appels à projets fut la mise en place des plateformes de soins palliatifs sur toute la Belgique. C’est en 1996 que la plateforme de soins palliatifs en province de Liège fut créée, regroupant tous les intervenants s’occupant de ces soins tant à l’hôpital qu’au domicile. L’intergroupe liégeois (IGL) de la Fédération des maisons médicales s’impliqua dans cette construction. Pour obtenir un agrément, les plateformes devaient disposer d’une équipe de soutien pour le domicile (Orphéo fut cette première équipe) et évidemment s’élargir à d’autres composantes (l’équipe se transforma en équipe de soutien Delta en s’associant à deux autres asbl).

Transversalité

Orphéo aborde les questions que soulève la pratique des soins palliatifs en partant des réalités et des besoins des équipes de l’IGL. À l’image de notre fonctionnement pluridisciplinaire, on y trouve des médecins, infirmiers et infirmières, accueillantes et accueillants, assistantes et assistants sociaux issus des maisons médicales liégeoises, ainsi qu’un membre de l’organe d’administration de Delta et de la plateforme des soins palliatifs.

Les objectifs sont les suivants : insuffler une culture des soins palliatifs dans les maisons médicales, apporter une formation continue aux travailleurs, soutenir l’activité de l’équipe Delta.

Les formations proposées par le groupe sont ouvertes à tous les secteurs (médical, kinésithérapeutique, infirmier, accueil, diététique, psychologique, dentaire…) et traitent de la question des soins palliatifs de la manière la plus transversale possible. Les dimensions éthiques, spirituelles, médicales et logistiques liées aux soins sont ainsi abordées par différents canaux qui vont de la présentation de spécialistes au support cinématographique en passant par le partage d’outils aidant à la réflexion et à la prise de décision.

Au fil de nos rencontres et de nos échanges intersectoriels, les soins palliatifs nous donnent une occasion unique de mettre en pratique toute la richesse de notre fonctionnement. Au-delà de l’application de la discipline pour laquelle nous avons été formés, nous utilisons la multi- inter-trans-disciplinarité [1] pour tendre vers une prise en charge qui tient compte de la singularité de chaque patient, de la complexité de chaque situation et qui implique une transformation des intervenants suite aux multiples occasions d’ajustement, d’articulation entre eux. C’est sans doute dans ce partage de savoirs et d’expériences que se jouent la qualité et le confort des soins pour le patient ainsi que pour les soignants.

En pratique, les discussions d’équipe, les réunions de coordination, la formation continue des intervenants, le soutien de l’équipe Delta, le travail avec le réseau sont autant de moyens pour nous aider à la réalisation optimale de ces soins.

Le temps et la communication

Ces notions transversales font partie intégrante de chaque accompagnement. Nous voilà tous embarqués sur ce chemin où la notion de temps est souvent suspendue et éclatée entre le patient, sa famille et les différents intervenants. Les patients que nous accompagnons sont des personnes que nous rencontrons pour la première fois à l’occasion de leur sortie d’hôpital ou que nous suivons depuis toujours.

Les défis de la prise en charge commencent avec le moment charnière où nous décelons que le patient est en soins palliatifs. Le moment de bascule des soins curatifs aux soins palliatifs est parfois subtil, surtout quand la pathologie est chronique. Qui prend la décision ? Par quels critères ou quelles observations ? Ce moment n’est pas toujours le même pour toutes les personnes impliquées dans la situation. C’est une évolution du niveau de soin que les soignants, le patient et sa famille doivent accepter, digérer, pour pouvoir continuer à avancer, à mettre de la vie dans la fin de vie.

Les moments d’échanges permettent aux différents intervenants, à la famille et bien sûr au patient de s’ajuster en reconnaissant les différentes temporalités dans lesquelles évolue chaque individu, en partageant les éléments que chacun a pu récolter, les désirs, les peurs, les réflexions du patient et de sa famille par rapport à la situation. Le suivi transdisciplinaire est particulièrement utile dans les maladies chroniques puisque l’évolution est insidieuse, parfois imperceptible pour les intervenants qui voient les patients régulièrement. Mr B a 80 ans, il souffre de bronchite chronique, d’une insuffisance cardiaque et d’un cancer de la prostate opérée l’année précédente. Un amour fort unit Mr et Mme B., ils ont une fille et des petits-enfants qui viennent régulièrement. Mr est un érudit, les discussions philosophiques et spirituelles sont fréquentes. Son discours reste très vague par rapport à sa fin de vie, il se rend compte qu’il s’affaiblit, mais espère toujours qu’il pourra remarcher comme avant, conduire à nouveau et emmener Mme pour les courses. Le médecin passe une fois par mois, puis une fois par semaine suite à une hospitalisation pour exacerbation de sa bronchite chronique, en se disant que c’est temporaire et que Mr va peut-être rebondir comme les fois précédentes. Une kiné passe également tous les jours pour lui faire faire des exercices respiratoires et de mobilisation. Lors d’une visite de routine, le médecin trouve Mr au lit avec une plaie à l’avant-bras. Il demande le passage de l’infirmière pour les soins de plaie. L’infirmière, qui n’avait plus vu Mr depuis plusieurs mois fait part au médecin et à la kiné de la dégradation qu’elle a observé et il est décidé de rapprocher les visites pour aborder la fin de vie en respectant la temporalité de Mr et son ambivalence (la même journée, il dit à la kiné qu’il se sent prêt à partir et il demande au médecin quand il pourra remarcher), de parler à Mr et Mme de soins palliatifs afin d’installer un lit d’hôpital, une chaise percée, un soutien logistique pour Mme qui s’épuise (Mr panique dès qu’il la perd de vue, c’est elle qui l’aide pour les repas, la toilette…).

Ce processus de communication et de prise en compte des temporalités de chacun est essentiel pour poser les bases de la prise en charge. Quand l’état du patient le permet, nous y consacrons tout le temps nécessaire, nous faisons le tour des ressources disponibles (famille, voisinage, finances, place disponible en unité de soins palliatifs si besoin…). Lorsque le médecin a pu aborder la notion de soins palliatifs avec le patient, sa famille et ses collègues, vient le moment d’introduire l’équipe de soutien Delta et la demande de forfait palliatif.

Dans la dernière ligne droite, les infirmières sont disponibles 24 h/24, parfois les médecins constituent des tandems (ils passent chez le patient à tour de rôle), souvent ils donnent leur numéro de GSM à la famille pour des avis par téléphone, ils transmettent les informations utiles au médecin de garde s’ils ne sont pas sûrs d’être disponibles les nuits et les week-ends. Les évaluations de l’état du patient sont de plus en plus rapprochées : la fréquence des contacts médicaux et paramédicaux augmente et varie en fonction de l’évolution du patient. Le regard pluridisciplinaire est alors un atout, car, grâce à la multiplicité de nos observations, nous pouvons mieux anticiper et nous ajuster au rythme du patient pour assurer son confort.

La communication est facilitée par la proximité géographique des soignants, qui, travaillant sous le même toit, se croisent dans la journée et peuvent discuter entre deux consultations, les réunions d’équipe sont autant de moments pour échanger, les appels téléphoniques également. Quand c’est nécessaire, nous allons ensemble à domicile (une infirmière et un médecin pour évaluer une plaie ou discuter des mesures à mettre en place). Cette proximité facilite la transmission des informations utiles en temps réel, au plus près de l’évolution des besoins du patient.

L’outil de communication que nous utilisons au domicile du patient est le cahier du GLS (Groupement pluraliste liégeois des services et soins à domicile). Il appartient au patient. À chaque visite, les différents intervenants y notent leurs observations, actions, modifications de traitement, questions aux autres intervenants ou aux aidants proches. Le patient peut également y noter ses questions, réflexions et demandes.

Les discussions d’équipe

Elles permettent de bénéficier du regard de ceux qui ne sont pas dans la situation et qui peuvent proposer des solutions nouvelles, de se sentir soutenu, de porter la parole du patient. Différents outils [2] sont à notre disposition pour éclairer nos réflexions et nous aider à déplier les dimensions des problèmes soulevés : l’outil d’aide au raisonnement éthique, le projet de soins personnalisé anticipé (PSPA), l’outil différenciant les niveaux de soins, l’outil d’identification précoce des patients (PICT)… Quelques exemples amenés en équipe : que faire quand les demandes d’euthanasie sont adressées à un intervenant qui n’est pas médecin ? Comment gérer le sentiment d’impuissance, d’inefficacité des intervenants quand les croyances des patients ou de leur famille limitent le champ d’action ? Ou encore l’inconfort des intervenants ou les conflits entre intervenants quand ils répètent une dynamique familiale sans s’en rendre compte.

Les réunions de coordination et le travail avec le réseau

La réunion de coordination permet de potentialiser les ressources individuelles et de construire un projet commun au patient, à sa famille et à l’équipe soignante. Nous trouvons intéressant d’associer les aides familiales à la construction de ce projet commun. Le plus souvent lors d’appels téléphoniques, nous nous ajustons avec les pharmaciens, les aides familiales, les garde-malades pour avancer au même rythme ou simplement parce que ce sont de nouveaux partenaires qui doivent prendre connaissance de la situation. Ce travail nécessite également des réunions de coordination et l’utilisation du carnet du GLS.

La formation continue des intervenants

Quatre fois par an, des rencontres permettent de découvrir d’autres manières de faire, de se remettre en question, de ramener dans les équipes de nouveaux savoir-faire et savoir-être. Quelques sujets abordés : documents administratifs à remplir, le corps après ma mort, impact des différentes cultures sur la fin de vie, loi sur l’euthanasie, échelle de la douleur…

Le soutien de l’équipe Delta

Pour les équipes expérimentées, ouvrir un dossier pour un patient à Delta, c’est comme mettre un petit signal sur la ligne du temps, un petit drapeau qui rappelle que nous abordons avec lui une nouvelle étape de sa vie. Une fois ce dossier ouvert, nous les appelons quand certaines situations nous dépassent, mais aussi quand, sur la toute fin, nous devons utiliser du matériel spécifique (pompe, pousse-seringue…) et ajuster des traitements rapidement. Pour les équipes dont la patientèle est plus jeune, les situations de fin de vie sont beaucoup plus rares. L’équipe Delta permet de nourrir les discussions et d’optimaliser la prise en charge en aidant à poser le cadre de soins spécifique aux soins palliatifs et en faisant émerger les ressources de l’équipe et de la famille. Ces ressources peuvent ne pas être suffisantes pour le maintien à domicile, Delta peut alors réfléchir avec les intervenants à trouver des aides supplémentaires ou envisager une unité de soins palliatifs.

Une discipline jeune

Les soins palliatifs sont appelés à se développer et à évoluer. Comme en témoigne cet article, nos regards pluridisciplinaires se complètent, le travail transdisciplinaire soutient le patient dans sa globalité en transformant et soulageant les soignants. Afin de conserver cette dynamique, il nous appartient à tous d’être garants de la qualité des soins de fin de vie. Continuons à nous former et à nous organiser afin que cette dernière étape puisse être pleinement vécue par le patient et sa famille.

[1B. Fauquert, P. Drielsma, M. Prévost, « Pluri-, multi-, inter-, trans- ou in-disciplinarité ? », Santé conjuguée n° 74, mars 2016.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°100 - septembre 2022

intro n°100

Parler de la mort, nous ne le faisons jamais de façon neutre. Disons même que sa simple évocation inquiète et peut aller jusqu’à figer notre esprit, un peu comme si la notion de fin de vie(…)

- Sandra Aubry

Soins de santé primaires et approche palliative

Les soins palliatifs sont généralement considérés comme globaux par essence. La législation belge [2] aussi situe l’accompagnement sur les « plans physique, psychique, social et moral », et depuis 2016 dans les dimensions existentielle et spirituelle, usuellement assimilées à la(…)

- Marie Friedel, Simon Elst

Soins palliatifs et première ligne

Entre 1988 et 1992, des appels à projets pour mettre en place des aides aux soins palliatifs ont été lancés par Philippe Busquin, ministre des Affaires sociales. À Liège, les maisons médicales entrèrent dans ce cadre(…)

- Annelore Gangarossa, Jean Grenade, Julie Streel et Kevin Boulanger, Kevin Boulanger, Muriel Roelandt

Soigner par le récit

Thérèse a tenu « un carnet de bord » pendant la maladie qui a touché son mari Hubert au début de la première vague de Covid. Pendant cet accompagnement long et douloureux (avec séjour de plus de six(…)

- Marie-Jeanne Jacob

Lieux de passages…

Depuis ses origines – occidentales ou chinoises, par exemple – « la » philosophie entretient une conviction profonde et dérangeante : nous, les humains, savons mal et savons peu, mais cela, nous pouvons le savoir, et adapter notre existence(…)

- Michel Dupuis

Vieillir chez soi : ouvrir les possibles

Finir ses jours chez soi est le souhait de la très grande majorité des aînés. Depuis une quinzaine d’années, le « maintien à domicile » est aussi devenu une priorité politique. Pourtant, pour l’économiste Philippe Defeyt, « aujourd’hui, cela(…)

- Marinette Mormont

Nos patients âgés

Louise [2] vit seule. Elle a 84 ans, de l’hypertension, de légers troubles de la mémoire, une thrombopénie. Mais aussi, et surtout, Louise aime la musique classique, elle passe des heures dans son potager, elle est hyper impliquée(…)

- Julie Robinson

Un ultime acte de soin

Après un travail parlementaire exemplaire au Sénat (dont on ne peut que regretter pour la réflexion et le travail en matière éthique, la progressive disparition), malgré de multiples pressions diverses et variées, notre pays a joué(…)

- Van der Meerschen Benoît

20 années de pratique de l’euthanasie

Ces premières demandes ont été très interpellantes pour moi, je dirais même violentes. J’ai eu la chance de rencontrer des patients, qui dans l’expression de leurs souffrances et de leur difficulté à vivre, m’ont parlé d’euthanasie.(…)

- Luc Sauveur

Aux frontières de la vie et de la mort

Quelles sont les causes des états de conscience altérée ? S. L. : Les causes les plus fréquentes sont traumatiques, ischémiques, infectieuses, métaboliques et toxiques. D’abord le trauma, cause de mortalité, de morbidité très importante chez nos jeunes.(…)

- Pascale Meunier, Steven Laureys

L’imprévisibilité du suicide

Ce léger souffle de mort, si on ne lui prête pas l’oreille, peut parfois très rapidement et sans crier gare, se déchainer en un vent cataclysmique. Pour être contenue, la violence doit avant tout autre chose(…)

- Sylvia Pinna Puissant, Xavier Malisoux

Rites et deuils en temps de Covid

En 2020, de nombreux experts et expertes du domaine du mourir et du deuil prédisaient une augmentation très significative des complications de deuil après le décès d’un proche dans le contexte de la pandémie de Covid-19 [1].(…)

- Camille Boever, Emmanuelle Zech

La fin de vie au début de la vie

Partout dans le monde, c’est durant son premier mois de vie qu’un enfant risque le plus de décéder [2]. Si ce décès survient dans un service de néonatalogie intensive, il est fort probable qu’il soit anticipé, c’est-à-dire(…)

- Hugues Dusausoit

De la mort, nous ne savons rien

Si les larmes ne nous rendent pas celles et ceux que nous pleurons, comment continuer les morts ? Une voie possible, inaugurée depuis Homère, consiste à situer ce continuum à travers un récit, dans le travail de(…)

- Pascale Seys

Actualités n°100

Edito n°100

La cloche a sonné. En cours de géographie, nous apprenons que nous venons de vivre l’été le plus chaud enregistré par les météorologues depuis cinq cents ans et que ces vagues de sécheresse seront bien plus(…)

- Fanny Dubois

Jean-Marc Nollet : « Soigner notre environnement, c’est préserver notre santé »

Vous démarrez votre livre par cette question : Pourquoi s’engager ? J.-M. N. : D’abord parce que le monde tel qu’il fonctionne actuellement ne peut pas nous satisfaire : il y a trop d’inégalités, trop d’injustices. Et parce que le modèle(…)

- Pascale Meunier

Quelle politique salariale en maison médicale ?

Ouvrir la boîte des salaires n’est pas une entreprise évidente, mais peut être salutaire. Elle advient souvent quand un enjeu matériel se pose comme la recherche d’un équilibre budgétaire ou l’introduction d’une nouvelle grille barémique. L’implémentation(…)

- Dorothée Bouillon, Pauline Gillard

Précarité et accès aux soins

Le premier salon de la santé et du social ne s’est pas contenté d’attirer près de nonante structures et services de première ligne actifs dans le domaine de la santé. Il visait plus largement à alimenter(…)

- Agence Alter