Passer du temps avec les autres, faire partie d’un groupe comme un membre d’un corps, et partager des activités contribue au bien-être et à la santé mentale. À Bruxelles, les lieux de liens offrent tout cela et un peu plus.
Bienvenue au Club 55 ! Ce lieu de liens attaché à l’asbl L’Équipe1 à Anderlecht est ouvert aux adultes ayant ou ayant eu des fragilités psychiques ou relationnelles et qui se trouvent en processus de rétablissement. Mais il accueille aussi le voisinage, les amis des membres et leur famille qui souhaitent participer aux activités. « C’est une intersection entre des personnes avec une histoire psychiatrique et des personnes qui n’ont jamais eu besoin d’un professionnel de la santé mentale, mais qui souhaitent fréquenter un lieu soit parce qu’ils sont retraités, qu’ils ne travaillent plus, ou parce qu’il s’est passé quelque chose dans leur vie qui demande de recréer du lien », explique Cibely Ayres Sylva, qui en assure la coordination.
Cogestion
Frédéric a poussé la porte il y a huit ans, orienté par le centre de jour qu’il fréquentait à l’époque. Il a combiné les deux pendant quelques mois, puis il a choisi de rester au Club : « Au centre de jour, dit-il, c’est beaucoup plus médical, on est considéré comme des patients. Ici, on se fait la bise ! » De nature très réservé, il s’est au fil des rencontres ouvert aux gens du quartier où il réside également. Ali est arrivé sur les recommandations d’un ami. « J’ai tout de suite accroché », dit-il. Habitant Schaerbeek, il traverse désormais la ville deux fois par semaine depuis une dizaine d’années et, si sa mémoire lui joue parfois des tours, il sait ce qui le retient ici : un esprit de famille. « L’effet groupe fonctionne, poursuit-il. C’est une respiration dans la semaine, être membre du Club 55, ça fait partie de ma vie. » Ce signifiant « famille », on l’entend de plus en plus, remarque Cibely Ayres Sylva. « Dans un parcours en santé mentale, beaucoup de personnes ont été un peu égarées, un peu séparées, un peu seules au monde. La majorité d’entre elles sont passées par d’autres institutions et trouvent dans un lieu comme celui-ci le temps de construire quelque chose dans la durée. »
Les membres du Club sont soit sympathisants (ils participent aux activités), soit partenaires (ils proposent des activités), soit cogestionnaires. « Cela dit bien ce que ça veut dire : les membres du Club qui le souhaitent peuvent cogérer les lieux, ils participent à des réunions, contribuent aux rapports d’activités, à réfléchir au projet. C’est à la fois pratique et théorique », précise Cibely Ayres Sylva. Tout le monde n’aime pas et cela représente beaucoup de travail. Un noyau dur de cinq ou six personnes prend vraiment les choses en main et assure notamment les permanences d’accueil deux fois par semaine.
Aujourd’hui, Frédéric et Ali sont de faction, accompagnés de Marianne qui envisage elle aussi de devenir cogestionnaire. « Je trouve ici beaucoup de chaleur humaine », dit-elle. Elle apprécie également la charte et le règlement. « Il y a un certain cadre qu’on s’est donné nous-mêmes, qui n’a pas été imposé par l’extérieur et que l’on peut prendre en route par les différentes modifications que l’on peut y faire pour mieux s’exprimer, pour mieux dire ce qu’on a envie de dire sur comment est ce lieu. » Elle insiste sur cette possibilité de s’exprimer et de réfléchir ensemble. « Réfléchir à la société, comment elle fonctionne, comment on peut vivre avec ce qui se passe dans l’actualité. Le monde est très mouvant et le point d’expression est déjà un pas que l’on peut faire pour soi-même et pour le groupe pour essayer en étant encadré de dépasser peut-être certaines peurs », confie-t-elle.
Effet rebond
Les lieux de liens n’ont pas d’objectif thérapeutique, mais ils ont un effet thérapeutique. Le Plan de relance et de redéploiement de la Région de Bruxelles-Capitale face à la crise du Covid-19 les définit comme « des lieux où l’on peut s’entretenir et se confier avec des thérapeutes, des assistants sociaux, des éducateurs et des pairs-aidants. On peut aussi être informé, accompagné vers l’offre d’aide et de soins plus spécifique au niveau local. Des activités – culturelles, sociales, sportives et d’actions en santé communautaire – peuvent y être initiées par les usagers et soutenues par les intervenants. Il s’agit de créer du lien sur une échelle territoriale de proximité en réseau et d’offrir la possibilité aux usagers de renforcer leur tissu social. Ce type d’initiative entend […] renforcer la continuité des soins. L’idée est de renforcer l’approche communautaire en santé mentale, ne pas se limiter à des réponses individuelles et stigmatisantes, offrir des espaces d’échange, vecteur de lien d’attache et d’inclusion sociale (particulièrement mise à mal chez les plus précaires), particulièrement mis à mal en temps de crise et de postcrise sanitaire : la souffrance liée à l’isolement explose en temps de confinement et la thérapie individuelle n’est pas la réponse idéale, il faut une réponse communautaire et plus accessible »2. La Ligue bruxelloise pour la santé mentale a publié un cadastre de ces lieux de liens3, relevant une vingtaine d’initiatives locales. Ils ont été créés à l’initiative d’une institution d’habitat protégé, comme c’est le cas du Club 55, d’un réseau de soin, d’un hôpital psychiatrique, d’un service de santé mentale, d’usagers, etc. Ils sont dits à « bas seuil », car les modalités d’accès y sont plus souples et adaptées aux besoins et aux possibilités de la personne. La durée indéterminée de la participation et son caractère non obligatoire : « On vient quand on veut, l’engagement c’est de respecter les autres et la charte », précise Cibely Ayres Sylva. Une cotisation annuelle symbolique « qui est surtout l’occasion de faire un petit bilan ». L’absence d’anamnèse à l’inscription : « Nous privilégions la rencontre et l’immersion. Pour devenir cogestionnaire par exemple, le candidat ou la candidate suivra pendant un mois toutes les activités liées à cette fonction avant de signer, ou pas, une convention. »
La qualité de l’accueil est une condition essentielle au bien-être du (futur) membre, qui doit se sentir entendu et soutenu dans sa démarche. Le membre n’est pas pris en charge, mais accueilli pour ce qu’il est, dans sa particularité, comme le relèvent dans leur analyse Sophie Lasserre et Anaïs Misson4. « J’aime bien utiliser le terme pair-aidance, certains ont d’ailleurs suivi la formation organisée par l’UMons, ajoute la coordinatrice du Club 55. Ces personnes qui ont été accueillies, qui ont trouvé un espace, qui ont créé quelque chose, ont envie d’accueillir les nouveaux venus de la même manière et même mieux. »
Développement communautaire
Accueil, respect, tolérance et bienveillance, autonomie, reconnaissance, valorisation, ouverture, développement du lien social, liberté, souplesse… La particularité de ces lieux se niche dans la qualité des liens qui s’y nouent entre les personnes à la faveur des activités de loisir, d’entraide, de soutien, de création et de développement communautaire. Au Club 55, il se passe chaque jour quelque chose avec l’appui d’intervenants bénévoles, de partenaires du réseau socioculturel ou des membres eux-mêmes : yoga, mosaïque, braingym, écriture, récup, théâtre, vidéoclub, modelage… L’endroit est aussi le point de distribution d’un GASAP (groupe d’achats solidaires de l’agriculture paysanne) pour les riverains.
Ali et Frédéric qui s’y connaissent plutôt bien en informatique dépannent les problèmes de GSM de leurs comparses. S’il faut fixer une chose ou l’autre au mur, Ali sort la perceuse. « Ailleurs, pour changer une ampoule, il faut prévoir une réunion, sourit la coordinatrice. Ici ça se fait tout de suite, il y a quelque chose de l’ordre de la confiance. On se débrouille avec les moyens de bord et les compétences que chacun amène. Il faut tondre la pelouse ? Qui sait le faire ? C’est aussi nous qui cuisinons. Parfois on n’a rien prévu, ou on n’a rien fait parce qu’il y avait une autre activité le matin, ou parce que les membres ont préféré savourer longuement un café… Ce n’est pas grave, on se rabat sur des sandwiches… »
« Il y en a qui disent que 2 et 2 font 4, fait remarquer Marianne. Mais dans le groupe, 2 et 2 ça fait plus… Chacun apporte quelque chose de constructif, le groupe vit ensemble, on interagit les uns avec les autres. C’est beau. » Elle prendra bientôt sa décision de rejoindre le petit groupe des cogestionnaires. « J’ai postulé aussi dans un centre de jour, mais je crois que je vais leur dire que ce n’est pas absolument nécessaire dans l’immédiat, car j’ai trouvé ici quelque chose de fort, de liens, de liberté. Pour le moment, j’ai moins besoin de soins que de cette liberté et de cette initiative. »
- L’équipe est une asbl qui a pour vocation la réadaptation psychologique et la réinsertion sociale de personnes souffrant de troubles mentaux, https://equipe.be.
- Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, Plan de relance et de redéploiement de la Région de Bruxelles-Capitale face à la crise du Covid-19, juillet 2020.
- E. Englebert, A. Misson, Guide des Lieux de Liens, LBSM, février 2024.
- S. Lasserre, A. Misson, Lieux de liens : Maillons essentiels dans les parcours de soins, recensement, analyse et recommandations, L’Orée, WOPS, Iriscare, 2021.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°108 - septembre 2024
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