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Et si on prescrivait des soins verts ?


Santé conjuguée n°108 - septembre 2024

Au travers du programme Soins verts – Groene Zorg, un large panel de professionnels de santé, d’intervenants de terrain, d’institutions publiques et d’académiques a été réuni par la fondation Terre de Vie pour se pencher sur la question. Une étude centrée sur le soin du burn-out de longue durée par des activités en milieu agricole a vu le jour. Ce projet a été présenté en mai 2024 au Parlement de Wallonie. Les mandataires politiques et les candidats aux élections de juin étaient les principaux conviés. Les propositions ont été discutées en présence des porteurs de projet d’agriculture sociale, de médecins, thérapeutes et travailleurs sociaux, agriculteurs et agricultrices, ainsi que de représentants des administrations ou encore d’organisations intermédiaires1.

Qu’est-ce que l’agriculture sociale ?

Les pratiques d’agriculture sociale se sont développées progressivement depuis les années 2000. Elles rassemblent en Wallonie 370 fermes partenaires de quinze projets pilotes subventionnés par des fonds principalement régionaux et européens, parfois provinciaux, parfois complétés par du mécénat. En Flandre, l’association Steunpunt Groene Zorg regroupe plus de mille zorgboerderijen (fermes de soin). Quelques fermes urbaines bruxelloises sont également actives.

L’agriculture sociale fait référence à une approche intersectorielle qui vise à nourrir des dynamiques d’entraide avec et grâce au monde agricole. Elle met en relation : une « ferme accueillante », c’est-à-dire un agriculteur ou une agricultrice qui souhaite ouvrir ponctuellement ou régulièrement son cadre de vie et de travail à des personnes extérieures dans le but de soutenir une dynamique de mieux-être ; une ou plusieurs personnes accueillies qui ont formulé le souhait d’être en contact avec le quotidien de la ferme, avec la nature, les animaux ; enfin, l’expérience est toujours accompagnée par une personne référente au sein d’une institution sociale ou de santé. Cette dernière garantit la mise en œuvre d’un cadre adapté et d’un objectif de mieux-être ou de rétablissement.
Selon les projets, l’agriculture sociale peut s’appuyer sur des partenariats avec le secteur des soins de santé mentale, avec ceux de l’insertion sociale, de l’accompagnement de personnes en situation de handicap, de l’aide à la jeunesse, entre autres. Des initiatives telles que l’asbl Nos Oignons ou le projet Vaches et bourrache du CPAS de Tubize s’adressent à un public large, dans une démarche de promotion de la santé. Dans certains cas, c’est une relation au long cours qui se noue avec l’agriculteur ; dans d’autres, une expérience de quelques semaines, voire plus ponctuelle. L’expérience peut être individuelle ou collective. L’esprit de la proposition est d’ouvrir des espaces de découverte, de partage, d’apprentissage, de solidarité et de rétablissement où chacun a la possibilité d’évoluer à son rythme en se sentant utile et impliqué.
Les activités sont variées, mais relèvent toujours d’une participation libre et directe aux travaux du lieu : il ne s’agit donc pas simplement de visites pédagogiques ou didactiques.
Des recherches menées dans d’autres pays européens 2 et des évaluations portées par les acteurs de terrain wallons ont mis en lumière les multiples bienfaits de ces pratiques pour les parties prenantes 3.

Pour les personnes accueillies :

  • sortir de la solitude, de l’isolement, créer de nouveaux liens hors des services sociaux et institutions ;
  • retrouver un rythme – son rythme – et une autonomie d’action ;
  • retrouver du sens par la participation à une activité « réelle » de production de nourriture et par la rencontre avec le monde du vivant (animaux, nature, saisons…) ;
  • se réapproprier son alimentation et développer de nouveaux savoir-faire.

Pour l’agriculteur ou l’agricultrice qui accueille :

  • valoriser le cadre de travail, partager des savoir-faire, transmettre des valeurs,
  • éveiller au vivant et aux saveurs ;
  • développer des compétences parfois moins sollicitées (relationnelles et autres) ;
  • collaborer avec les acteurs du monde social et témoigner d’un monde agricole ouvert et soucieux de ses contemporains ;
  • redonner du sens au quotidien dans un contexte agricole global parfois morose.

Pour les travailleurs sociaux ou de santé :

  • redonner du sens au travail en s’appuyant sur de nouveaux supports pour l’accompagnement à l’autonomie, à la confiance en soi, à l’expression, la participation, au bien-être ;
  • nourrir un regard différent sur le bénéficiaire (ses compétences, ses ressources),
  • partager une expérience dans la réciprocité, hors des références institutionnelles.

Pour la société dans son ensemble :

  • éveiller la conscience environnementale, la sensibilisation à la consommation locale et de saison ;
  • nourrir l’inclusion, la déstigmatisation, la cohésion sociale, l’entraide ;
  • rendre possible la participation libre et active à un projet de société porteur de sens ;
  • disposer d’un outil simple et efficace à portée systémique (agissant sur des facteurs sociaux, de santé, environnementaux et économiques).

Le soin vert, une intervention en santé ?

La notion de soin vert est poussée par des professionnels de la santé qui souhaitent faire évoluer leurs pratiques, et aussi par la demande de patients désireux de se reconnecter à la nature. Une diversité d’initiatives ouvre aujourd’hui un champ nouveau. Le monde académique s’en empare également et des cursus universitaires sont désormais accessibles aux États-Unis, en Suède, en Autriche, au Japon, en France. Des exemples de pratiques de soins verts financées par les dispositifs de santé sont relevés au Japon, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Corée du Sud, en Angleterre notamment
4.
Les soins verts ont été caractérisés dans la littérature scientifique à partir des années 2010. D’après Annerstedt et Währborg, la natural assisted therapy désigne « une intervention ayant pour but de traiter, de guérir et/ou de rééduquer des patients présentant une maladie ou un état de santé délétère, avec le principe thérapeutique fondamental que la thérapie fait appel aux plantes, aux matériaux naturels, et/ou à l’environnement extérieur
5 ». Sempik, Hine et Wilcox, qui posent le premier cadre conceptuel scientifiquement élaboré du green care, désignent alors différentes modalités thérapeutiques : hortithérapie, thérapies assistées par les animaux, soins à la ferme, thérapies par l’exercice en milieu vert, écothérapie, thérapie par l’immersion dans les espaces sauvages, la forêt et par l’aventure
6. Il y a dès lors une diversité de contextes, de propositions, d’impacts pour la santé pour différentes populations de malades ou de personnes en situation de handicap. Les mêmes auteurs énoncent six critères pour qu’une activité relève des soins verts :

  • penser des soins en vue de l’amélioration des résultats de santé ; promotion de la réadaptation sociale ;
  • intra/extra-muros : des interventions soins verts peuvent être dispensées à l’intérieur des hôpitaux, des maisons de retraite, des fermes, des prisons, des lieux de travail, etc. ;
  • des professionnels formés doivent évaluer les interventions sociosanitaires ;
  • le participant ou la participante doit être intéressé (participation, motivation, plaisir) ;
  • les différences culturelles entre traditions sociosanitaires sont reconnues.

Selon Melissa Lem, médecin généraliste à Vancouver et directrice du programme national canadien de prescription de nature, « prescrire » plutôt que simplement recommander est essentiel : l’enjeu se situe dans le fait que la formalisation écrite par des professionnels de la santé – qui restent les acteurs sociétaux envers lesquels le niveau de confiance est le plus élevé – augmente significativement la motivation à agir dans ce sens. Elle en fait le quatrième pilier de la santé, aux côtés de l’alimentation de qualité, du sommeil et de l’exercice physique
7.

Une étude « burn-out » en Belgique

Soutenant des projets d’agriculture sociale depuis plusieurs années, Terre de Vie a pu constater que ces projets constituaient souvent une étape importante dans les parcours de rétablissement des personnes accompagnées. Elle a aussi été alertée par les chiffres alarmants de l’Inami sur l’augmentation du nombre de personnes se trouvant en incapacité de travail ou en invalidité (plus d’un an d’incapacité de travail) en raison de dépressions et de situations de surmenage au travail. Depuis 2023, elle a initié un programme de recherche afin de mesurer en quoi des patients en burn-out ou en dépression peuvent être soutenus dans leur rétablissement grâce à une « prescription de soins verts agricoles ».
L’étude « burn-out » s’inscrit dans une approche evidence-based medicine. Elle prend comme référence des soins verts considérés comme une « intervention en santé » : un problème de santé est identifié, un objectif commensurable et commun (à tous : le patient et les professionnels de santé) est défini, et un résultat attendu mesuré scientifiquement avec des indicateurs de réussite. Une mission de mesure d’impact a été confiée à l’Institut d’études du travail (HIVA, un institut de recherche multidisciplinaire) de la KULeuven. Elle pourra être complétée par des approches complémentaires en fonction des résultats intermédiaires et des recommandations qui en seront issues. Dix structures accompagnantes en agriculture sociale de Wallonie, de Flandre et à Bruxelles se sont portées volontaires pour prêter leurs infrastructures et leurs personnels à la bonne réalisation du programme, en collaborant de façon systématique avec le monde médical et académique dans le cadre de l’accueil des personnes en burn-out. Elles sont aussi le lien indispensable avec les représentants du monde agricole qui acceptent de s’impliquer dans cette étape exploratoire de la mise en place d’un dispositif de prescription de soins verts.
L’étude bénéficie de l’assistance d’un comité d’experts composé de représentants du monde médical, du monde agricole et sylvicole, du monde académique et du secteur des soins de santé. Médecins, psychologues ou professionnels de la santé peuvent proposer à leurs patients en situation de burn-out ou de dépression liée au travail de participer à des activités dans une ferme, si cela semble s’inscrire en cohérence avec l’offre thérapeutique dont ils disposent déjà.
Dans le cadre de cette étude, le programme Soins verts s’adresse particulièrement à des personnes en arrêt de travail depuis trois mois au moins, et il est important que l’indication de soin soit validée par le ou la généraliste ou psychologue8. La définition du burn-out de Desart, Schaufeli et De Witte est prise en référence principale : « un état d’épuisement lié au travail […] qui se caractérise par une fatigue extrême, une capacité réduite à réguler les processus cognitifs et émotionnels, et une distanciation mentale. Ces quatre dimensions centrales du burn-out s’accompagnent secondairement d’une humeur dépressive ainsi que de troubles psychologiques et psychosomatiques non spécifiques. Il est causé par un déséquilibre entre des exigences professionnelles élevées et des ressources professionnelles insuffisantes. De plus, des problèmes extérieurs au domaine professionnel et/ou une vulnérabilité personnelle peuvent faciliter le développement du burn-out
9. »
Le programme Soins verts comprend un volet de sensibilisation du public et de dialogue avec les autorités sur ces pratiques et sur l’expérience en cours. Des propositions ont été partagées avec les différents partis démocratiques du pays. Sur base du rapport attendu fin 2025, il a l’ambition de contribuer à l’élaboration de politiques nouvelles en matière de soins.

 

  1. Entre autres la Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs (FUGEA, syndicat agricole), la Société scientifique de médecine générale (SSMG), la Société royale forestière de Belgique.
  2. Aux Pays-Bas, plus de 1250 fermes accueillent par an plus de 30 000 personnes qui ont besoin de soins, notamment dans le cadre de troubles
    de santé mentale. Cette offre est intégrée dans les dispositifs de Sécurité sociale. www.zorgboeren.nl.
  3. Pratiques d’agriculture sociale en Wallonie, 2023, www.nosoignons.org ; M. Elings, « Effects of care farms, scientific research on the benefits of care farms for clients », Plant Research International, Wageningen UR, 2011 ; Réseau européen de la politique agricole commune, Focus Group – Social farming and innovations, rapport final, 2023, https://eu-cap-network.ec.europa.eu.
  4. P. Dessard, « Et si les médecins vous prescrivaient… de la nature ?! », 16 janvier 2024, www.canopea.be.
  5. M. Annerstedt, P. Wärhrborg, « Nature-assisted therapy: Systematic review of controlled and observational studies », Scand J of Public Health, 39(4), 2011.
  6. J. Sempik, R. Hine, D. Wilcox, « Green care : a conceptual framework », a report of the Working Group on the Health Benefits of Green Care, COST 866, Green Care in Agriculture. Loughborough University, 2010.
  7. « A prescription for Nature », Fondation pour la Santé résiliente, podcast ép. 2, https://resilient-health.ca.
  8. Informations et témoignages de patients sur www.soinsverts-groenezorg.be.
  9. W. Schaufeli et al., User Manual Burn-out Assessment, July 2019, https://burnoutassessmenttool.be.

Cet article est paru dans la revue:

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