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En l’absence de tout contact corporel

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Santé conjuguée n°108 - septembre 2024

Les consultations médicales à distance, aussi appelées téléconsultations, sont une pratique relativement récente qui a connu un sérieux coup d’accélérateur lors de la crise sanitaire. Grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC), elles permettent aux prestataires de soins de consulter des patients sans être dans le même espace physique. Même si la crise sanitaire semble désormais sous contrôle, il est probable qu’elles s’ancrent durablement dans notre système de santé. Dans ce contexte, il importe de s’interroger sur la qualité attendue de ce nouveau mode de consultation, mais aussi sur les risques encourus et sur l’encadrement à mettre en place1.

Les téléconsultations s’inscrivent dans le cadre de l’e-santé, définie comme « l’ensemble des domaines où les TIC sont mises au service de la santé »1 et incluant trois grands champs : les systèmes d’information en santé, la télémédecine, la santé mobile (ou m-santé). La téléconsultation est une branche de la télémédecine, mot-valise désignant « les actes médicaux, réalisés à distance, au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication »2 et regroupant cinq actes médicaux : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale, la régulation médicale. Plus spécifiquement, la téléconsultation est un acte de télémédecine consistant en une consultation à distance entre un professionnel médical et son patient. En Belgique, le groupe de réflexion chargé d’élaborer un document de vision pour un modèle optimal de financement et d’organisation des téléconsultations dans la médecine générale à partir de 2023 définit ces consultations comme « un contact synchrone à distance entre le prestataire de soins et le patient, soit téléphonique, soit via vidéo »3. Cette définition plus spécifique exclut donc les contacts asynchrones (via e-mails ou messages). Par ailleurs, une téléconsultation peut avoir lieu au domicile du patient, mais aussi « dans un lieu équipé pour la télémédecine, comme une structure médicosociale telle […] qu’une pharmacie avec un espace favorable à la confidentialité des échanges »4.

La téléconsultation en Belgique

Le développement de la téléconsultation est lié à celui des nouveaux modes de communication qui font aujourd’hui partie de notre quotidien. L’adoption des consultations à distance était lente avant l’épidémie du Covid-19, en raison de réticences, mais aussi de l’absence de législation et de remboursements spécifiques. Mais, en 2020, la crise sanitaire a profondément bouleversé nos habitudes, notamment en matière de santé. Afin d’endiguer la pandémie, les autorités ont encouragé la limitation des contacts et les pratiques de téléconsultations ont connu un développement important. Le gouvernement a en effet permis d’y recourir sous certaines conditions. Ainsi, entre mars et mai 2020, pas moins de 3,8 millions de consultations à distance auraient été prestées5. Ce chiffre s’élèverait même à quelque 11 millions pour toute l’année 2020, ce qui représente 15,1 % des consultations6.
Une enquête menée par l’ensemble des organismes d’assurance maladie-invalidité en collaboration avec l’Inami a évalué l’expérience des affiliés concernant ces téléconsultations7. Il en ressort que les consultations à distance ont presque toujours eu lieu par téléphone, la vidéo étant préférée par les psychologues et les psychiatres. Leur durée était relativement courte chez les médecins généralistes, alors qu’elles duraient souvent plus de trente minutes chez les psychiatres et psychologues. Les patients venaient principalement pour le suivi d’une maladie chronique ou existante chez les médecins spécialistes, les psychiatres et les psychologues, tandis que les raisons des consultations étaient plus variées chez les généralistes. Les utilisateurs intensifs des téléconsultations durant la crise du Covid-19 étaient « les femmes, les plus de trente ans, les bénéficiaires de l’intervention majorée et du statut affection chronique »8. Géographiquement, cette pratique était plus répandue parmi les habitants des communes proches de la dorsale wallonne et des communes de Campine.
Il n’existait pas de code dans la nomenclature Inami pour ce type de prestations avant 2020, mais un cadre a été instauré durant la crise, remplacé par un nouveau système depuis le 1er août 2022. Ce système ne prévoit pas de nombre maximal de téléconsultations remboursables. Toutefois, certaines conditions doivent être remplies pour obtenir un remboursement : elles doivent avoir lieu « auprès d’un médecin avec lequel le patient a déjà une relation thérapeutique, auprès d’un médecin spécialiste vers lequel un autre médecin a orienté le patient […] ou auprès d’un service de garde de médecine générale »9. La demande de consultation à distance doit émaner du patient et avoir l’accord du médecin. Ce dernier doit également avoir accès au dossier du patient lors de la téléconsultation. Enfin, en cas de vidéo-
consultations, la plateforme utilisée doit satisfaire quelques exigences de sécurité.

Une pratique prometteuse…

Les téléconsultations semblent offrir de nombreux avantages pour les patients et le corps médical. En supprimant les contraintes de distance, elles devraient par exemple permettre aux personnes isolées d’accéder plus facilement aux soins de santé et de lutter contre les déserts médicaux. Ce dispositif serait aussi utile pour assurer la continuité des soins et ainsi aider la première ligne, déjà sous pression. Elles permettraient des gains de temps et d’argent pour les patients. Les praticiens pourraient également gagner du temps si les téléconsultations permettent de remplacer des visites à domicile et si elles permettent de réduire la durée par rapport à des consultations classiques. La qualité des téléconsultations ne semble pas compromise par la perte de contact en présentiel tant que certaines conditions sont respectées (par exemple, que le patient s’inscrive dans un parcours de soins connu du médecin plutôt que de réaliser la téléconsultation indépendamment de toute relation médecin-patient antérieure).
Patients et praticiens affichent une bonne satisfaction à l’égard des téléconsultations, même si certaines nuances doivent être apportées (certaines réticences sont notamment présentes du côté du corps médical, comme en témoigne un avis de l’Ordre des médecins de 2019 affirmant que les consultations sans contact physique seraient dangereuses10). Selon l’enquête des organismes d’assurance maladie-invalidité, 77 % des répondants étaient (très) satisfaits des téléconsultations lors du premier confinement, même si 70 % des répondants ont indiqué préférer une consultation physique à l’avenir11.

…mais pas sans risques

Si les téléconsultations présentent de multiples avantages, la généralisation de cette pratique soulève toutefois de nombreuses questions, notamment en matière de sécurité, de protection de la vie privée, de responsabilité et de perte de contact personnel. Concernant ce dernier point, on sait que le langage non verbal joue un rôle important lors d’une consultation, que la technologie ne peut qu’imparfaitement restituer. Aussi, les consultations à distance requièrent-elles un certain niveau de connaissances techniques et numériques ainsi que du matériel informatique que tous ne possèdent pas. En Belgique, on estime que 40 % de la population dispose de faibles compétences numériques (75 % pour les personnes à faibles revenus et niveau d’instruction faible)12. Et si les téléconsultations sont souvent présentées comme une solution pour atteindre les personnes isolées, en zones reculées ou ayant des difficultés de déplacement, elles peuvent également représenter un risque d’exclusion des plus faibles. La sécurité et la protection des données sont un enjeu majeur en matière de téléconsultation (respect du secret médical et échanges de données personnelles de santé) et dépendent fortement de la plateforme numérique utilisée. Actuellement, de nombreuses applications peuvent être utilisées pour la téléconsultation, mais toutes ne présentent pas le même niveau de qualité et certains estiment qu’il serait utile qu’une évaluation transparente soit faite par un organisme officiel indépendant afin d’identifier celles qui sont conformes au règlement général sur la protection des données, compatibles avec le système eHealth et qui s’insèrent dans le portail de santé personnel des patients. Rappelons qu’une des conditions de remboursement des téléconsultations est que la plateforme utilisée satisfasse à quelques exigences de sécurité.
Les téléconsultations soulèvent également des questions éthiques concernant l’avenir de la pratique médicale. Certains redoutent qu’elles participent à une ubérisation ou à une marchandisation de la médecine. Ce risque est toutefois limité, car la santé est un secteur particulièrement encadré et réglementé en Belgique. D’aucuns craignent aussi une dévalorisation de la profession de médecin, en particulier de médecin généraliste qui, si la téléconsultation poursuit son développement, pourrait devenir une spécialité call center.
Dans l’ensemble, le développement des téléconsultations semble à encourager, mais les conditions dans lesquelles celles-ci sont réalisées jouent un rôle important dans l’acceptation et les avantages que l’on peut en retirer. En effet, des facteurs externes et internes peuvent positivement ou négativement influencer l’expérience de la consultation à distance, en la facilitant ou en lui faisant obstacle. Citons entre autres la qualité de la technologie utilisée, les aptitudes informatiques, la qualité du langage corporel et de la communication, l’implication de la famille ou encore la résistance face à ce type de consultations.

Implications en matière de politique publique

Maintenant que les téléconsultations ont pu être expérimentées par une partie de la population et que l’expérience s’est révélée globalement positive, il y a de fortes chances qu’elles s’installent dans les mœurs et deviennent une pratique commune de notre système de santé. Faut-il se réjouir de cette avancée numérique, porteuse de promesses d’égalité d’accès et de modernisation des soins de santé ? Ou au contraire, devons-nous nous inquiéter et craindre une détérioration de la qualité des soins provoquée par la perte de contact en présentiel, voire une déshumanisation de la médecine ?
Il ressort de la littérature scientifique que les consultations médicales à distance sont généralement aussi efficaces que les consultations en présentiel ou, en tout cas, qu’il n’existe pas de preuve de leurs effets négatifs. Les patients et les praticiens en sont plutôt satisfaits, bénéficiant de gains de temps et/ou d’argent. Tout semble donc indiquer que cette pratique est à encourager13. Mais cela ne peut se faire qu’en prenant en considération les risques associés à ces téléconsultations : sécurité, ubérisation, inégalités…
Certains prérequis sont ainsi nécessaires pour une bonne utilisation de la téléconsultation, tels que disposer du matériel et d’une connexion internet, et de garanties en matière de sécurité et de protection de la vie privée. L’accord et le consentement éclairé du patient sont également essentiels au bon usage des téléconsultations. Pour éviter que cette pratique à distance soit un facteur d’exclusion des plus précarisés, il est primordial que des investissements en formation et en matériel numérique soient réalisés, dans une perspective plus large de lutte contre la fracture numérique.
Il importe aussi de garder à l’esprit que les téléconsultations ne sont pas une fin en soi et qu’elles ne peuvent se substituer aux consultations en présentiel. Une rencontre physique reste très souvent nécessaire pour poser un diagnostic et pour construire une relation de confiance entre le patient et le soignant. Ainsi, la téléconsultation doit plutôt se concevoir comme un complément utile aux autres consultations, en particulier pour les questions administratives et pour le suivi régulier de maladies chroniques existantes. L’enjeu consiste à trouver une répartition adéquate entre ces deux types de consultations, adaptée aux besoins et préférences de chacun, en veillant à la fonctionnalité, à la qualité et à l’égalité d’accès des téléconsultations.

 

 

  1. L. Bourdel, L. Cambon, Les domaines de l’e-santé (108), Haut Conseil de la santé publique, 2019.
  2. Code de santé publique, art. L. 6316‑1, 2021.
  3. A. Van den Bruel et al., Groupe de réflexion sur les téléconsultations – Rapport final, 2022.
  4. L. Bourdel, L. Cambon, op. cit.
  5. Institut national d’assurance maladie-invalidité, Monitoring rapport Covid-19, 2020.
  6. J. Vrancken et al., Les téléconsultations durant la pandémie de Covid-19. Par qui ? Pour qui ? Agence Intermutualiste, 2022, https://aim-ima.be.
  7. H. Avalosse et al., Enquête intermutualiste téléconsultations, CIN-NIC, 2020. https://gcm.rmnet.be.
  8. J. Vrancken et al., op. cit.
  9. Institut national d’assurance maladie-invalidité, Remboursement des consultations médicales à distance, 20 avril 2023, www.inami.fgov.be.
  10. P. Mistiaen et al., Vidéos-consultations dans le suivi des patients atteints de maladies chroniques somatiques (328B), Health Services Research (HSR), Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), 2020.
  11. H. Avalosse et al., op. cit.
  12. Fondation Roi Baudouin, « Quatre Belges sur dix à risque d’exclusion numérique », 6 juillet 2021, https://kbs-frb.be.
  13. P. Mistiaen et al., op. cit.

Cet article est paru dans la revue:

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