Veiller aux droits de l’enfant : 100 fois sur le métier…
Bernard De Vos, Marinette Mormont
Santé conjuguée n° 67 - mars 2014
Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant depuis 2008, s’attache à contrôler la bonne application de la Convention internationale des droits de l’enfant en Belgique francophone. Que ce soit en matière de santé prise au sens strict ou dans son acceptation la plus large, il nous trace un tableau des dysfonctionnement relevés en matière de droits de l’enfant.
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) a déjà de longues années derrière elle : l’ensemble des pays signataires fêtaient son vingtième anniversaire en 2009. Ce texte affirme la volonté des États d’assurer la protection de l’enfant et de le reconnaître comme un sujet de droits. En Fédération Wallonie- Bruxelles, le délégué général aux droits de l’enfant (DGDE) joue depuis vingt ans le rôle de gardien de ces droits. Il s’assure de l’application de la convention : recueil des plaintes, contrôle des services et recommandations en lien avec la convention. La CIDE reconnaît dans son article 24 « le droit (pour les enfants) de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier des services médicaux et de rééducation ». Les États doivent également s’efforcer « de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services ». « Ce texte est le plus signé et le plus ratifié au monde, même s’il ne s’applique pas partout de la même façon explique Bernard De Vos.Mais force est de constater qu’en Belgique, pays prospère, quand on est en situation de pauvreté, certains droits touchant à la santé ne sont pas garantis. » Et de citer, à titre d’exemple, l’accès aux soins dentaires : si les soins dentaires des moins de 18 ans sont censés être gratuits, non seulement un certain nombre de familles ignorent cette mesure, mais le délégué général aux droits de l’enfant dénonce aussi le fait que certains praticiens exigent des avances de fonds. « Beaucoup d’enfants n’ont pas d’appareil dentaire, de lunettes ni de soins orthopédiques alors qu’ils en ont besoin. Certains sont privés de soins dans les structures hospitalières en raison des dettes de leurs parents. ». Comme pour l’ensemble des droits, la santé est compromise par la pauvreté.Quelques chiffres pour l’année 2012 Parmi les 671 plaintes reçues par le délégué général aux droits de l’enfant en 2011-2012, on retrouve les motifs suivants : • Enseignement : 139 plaintes (20,7 %) et 68 demandes d’information ; • Enfants étrangers : 97 plaintes (14,5 %) et 22 demandes d’information ; • Maltraitance : 78 plaintes (11,6 %) et 47 demandes d’information ; • Divorce et séparation : 73 plaintes (10,9 %) et 104 demandes d’information ; • Placement : 73 plaintes (10,9 %) et 36 demandes d’information ; • Santé : 19 plaintes (2,8 %) et 11 demandes d’information ; • Handicap : 14 plaintes (2,1 %) et 3 demandes d’information ; • Logement : 12 plaintes (1,8 %) et 7 demandes d’information. Source : Délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant, Rapport annuel 2011-2012.En termes de handicap, « tout est à revoir », affirme-t-il encore. Tant pour l’inclusion des enfants porteurs de handicaps dans des dispositifs où ils pourront développer une meilleure estime d’eux-mêmes que pour le transport de ces enfants vers les écoles spécialisées : « Certains font des trajets très très longs, alors qu’ils ont un handicap important. Cela peut s’expliquer par des raisons budgétaires, mais… ». Sur des questions plus spécifiques, comme celle des mutilations sexuelles, le délégué général aux droits de l’enfant travaille en partenariat avec des associations spécialisées. En l’occurrence le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS). « Nous ne sommes pas débordés de plaintes par rapport à cette problématique, mais nous avons parfois des doutes sur le fait que les petites filles reviennent intactes d’un voyage au pays natal. ». La santé des enfants doit aussi être considérée de manière globale, elle repose sur leur bienêtre dans toutes les sphères de leur vie : école, logement, situation familiale… « Nous avons un souci majeur en termes de bien-être des enfants à l’école », s’inquiète le délégué général aux droits de l’enfant. Enfants qui décrochent, sentiments dépressifs, lâchers-prises totaux… Les plaintes en la matière s’amoncellent sur son bureau. « Le système est malade. Or l’école, avec la famille, est une des deux institutions phares pour l’enfant. Là, on est quand même mal… L’école ne réussit pas à réduire les inégalités sociales. Il s’y pose aussi la question de l’estime que les enfants peuvent avoir d’euxmêmes. C’est important en termes de santé mentale et de santé ». Autre préoccupation d’actualité, l’hypersexualisation et l’érotisation de la société. Les enfants n’auraient plus le temps de grandir à leur rythme, le passage vers l’adolescence serait plus précoce. Sans parler de la marchandisation, incroyable, qui ciblela période de la préadolescence. « Encore une fois, du point de vue de la santé mentale, ce n’est pas bon ! Les filles en sont les premières victimes, mais les garçons sont également touchés avec, parallèlement, une intensification très importante des stéréotypes liés au genre. ». A cet égard, « on parle aujourd’hui de démission parentale. Mais être parent aujourd’hui, c’est très complexe ». La famille a en effet évolué de façon colossale, essaimant en une diversité de modèles. « C’est une évolution qui doit être soutenue, accompagnée… Et il y a ce contexte méta qui fait que l’éducation est compliquée : la pression commerciale, l’érotisation de la société. Cela fait des dégâts ». Parmi les enfants, certains sont plus vulnérables que d’autres, on ne vous apprend rien. Les enfants de familles migrantes et les mineurs étrangers non accompagnés (MENA) préoccupent particulièrement Bernard De Vos : « Quand il y a un refus d’accueil, tout est compromis, de la santé à la scolarité. La situation d’un enfant qui vit dehors pendant plusieurs mois est détestable, que ce soit en termes d’hygiène, de santé, de santé mentale ». Or ce sont des situations rencontrées très régulièrement au bureau du délégué. Le domaine d’action de la Convention internationale des droits de l’enfant dépasse largement les questions de santé. Son article 3 en est la charnière. Dans toutes les décisions, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être pris en considération. En ce sens, comment peut-on laisser un enfant migrant dehors pendant trois mois ? La Convention internationale est théoriquement supérieure à tous les textes relatifs aux questions de migration. Le rappeler aux instances concernées, c’est ce à quoi Bernard De Vos s’attelle sans relâche…
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 67 - mars 2014
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