Le massage des bébés à l’hôpital: une bienfaisance méconnue
Anne Fromont, France Kittel, Perrine Humblet
Santé conjuguée n° 67 - mars 2014
Quelle que soit la gravité du pronostic, l’hospitalisation expose les nouveau-nés à des risques de troubles du développement au niveau somatique, psychique, affectif et social. Certaines pratiques permettent d’atténuer ces risques ; elles restent pourtant marginales. Les auteurs de cet article ont tenté de comprendre pourquoi, en menant l’enquête dans quatre unités de soins intensifs néonatals à Bruxelles.
Le nourrisson à l’hôpital : douleur et solitude Le nourrisson hospitalisé se retrouve dans un environnement agressif qui lui impose non seulement des gestes invasifs – inhérents à la situation – mais aussi un isolement social et corporel (Golse, 2001). La douleur, l’excès de bruit ou de lumière, les manipulations, les perturbations du sommeil et la séparation de la mère : autant de stimuli nocifs pour un système nerveux très immature qui n’est pas apte à les filtrer. Ce constat a suscité le développement des réflexions quant aux modèles de prises en charge, et aux diverses interventions préventives utiles. Parmi celles-ci, les soins au développement – ensemble des stratégies environnementales et comportementales qui favorisent le développement harmonieux du nouveau-né (Franck & Lawhon, 1998) occupent une grande place ; leur point commun est qu’elles visent à réduire les stimuli nocifs et à favoriser l’individualisation des soins. Le Programme néonatal individualisé d’évaluation et des soins de développement ou NIDCAP1 est à la proue de ce mouvement qui axe les soins autour de la lecture des comportements de l’enfant et préconise l’amélioration de l’environnement du bébé en réanimation. Ce programme novateur est implanté depuis plus de vingt ans en Amérique du Nord, en Scandinavie, en Belgique et en Angleterre2. Il considère le prématuré comme acteur de son propre développement, aidé par des soins individualisés grâce à des observations comportementales très fines et codifiées, en collaboration avec les parents qui deviennent co-acteurs de ces soins. Toucher, emballer, masser… Ces approches soulignent l’importance du toucher – ce que diverses recherches multidisciplinaires montrent depuis près d’un siècle. Pourtant au sein des services pédiatriques, les interventions portant sur le bien-être et le développement du jeune enfant considèrent rarement cette dimension en tant que telle, de façon intégrée et explicite. Le toucher se décline selon plusieurs techniques ; les formes précoces et généralement admises pour tous les nourrissons hospitalisés en néonatalogie incluent notamment le toucher relationnel et de contact, le peau-à-peau3, l’emballement et le cocooning4. Le massage, quant à lui, s’adresse à des bébés plus matures, dans une seconde phase de l’hospitalisation. Il faut noter que la définition de ce geste, en quantité, qualité et critères d’éligibilité est loin d’être unanime ; comme pour tout soin au développement, sa faisabilité dépend avant tout des capacités de l’enfant. Les auteurs s’accordent à situer la maturité nécessaire autour de 30-32 semaines ou 1000-1500g, ce qui correspond à la grande majorité des nourrissons hospitalisés5. De nombreux bénéfices du massage des nourrissons ont été démontrés : baisse du stress, de la douleur et des effets associés, meilleur sommeil, moindre sensibilité aux infections, amélioration du développement psychomoteur, attachement favorisé au parent si c’est lui qui délivre le massage (Field, 1998). Une méta-analyse du groupe Cochrane (Vickers A. et Al., 2009) met par ailleurs en évidence une prise de poids supérieure de 5g/kg/j [IC95% : 3,45 ; 6,67] chez les enfants massés par rapport aux enfants non massés ; ce qui correspond à 20-25% des 20g/kg/j de prise de poids normalement attendus. Ces effets conjugués sont probablement à l’origine de la sortie anticipée d’en moyenne 4,45j [IC95% : -6,48 ; -2,43] relevée dans cette même étude. Certaines techniques impliquant le toucher rencontrent une adhésion beaucoup plus large que le massage : ainsi, une étude menée auprès de 82 unités de néonatalogie aux Etats-Unis (Field, 2006) montrait que, si 98% des services pratiquent le peau-à-peau, seuls 38% d’entre eux pratiquent le massage. De manière générale, le massage des nourrissons hospitalisés reste une activité marginale et souvent précaire, malgré plus de 30 ans de littérature documentant ses bénéfices. Des pratiques marginales Pour comprendre la manière dont les professionnels considèrent la pratique du massage à Bruxelles, nous avons mené en 2011 une enquête qualitative dans trois unités de soins intensifs néonatals à Bruxelles. Quatorze intervenants (responsables et personnels) investis dans les soins au développement impliquant le toucher ont été interviewés ; les entretiens ont été enregistrés, retranscrits puis analysés par découpage thématique. Les trois unités sont comparables en termes de volume et de type d’activités ainsi que de personnel, mais elles présentent des situations différentes. La première pratique le massage – mais le groupe affecté à cette activité rencontre des difficultés. La seconde a vu le massage disparaître avec le départ des personnes impliquées ; elle s’investit actuellement dans le processus, non dénué d’embuches, de mise en place du programme NIDCAP. La dernière n’a jamais pratiqué le massage de façon routinière mais est un service de référence pour le NIDCAP en Belgique. Dans l’ensemble, le massage reste marginal par rapport aux autres soins impliquant le toucher, même dans la première unité où un groupe de travail est affecté à cette activité. On observe aussi que le peau-à-peau et le toucher relationnel sont surtout pratiqués en début d’hospitalisation et ont tendance à disparaître en faveur d’actes techniques (bain, alimentation) lorsque se prépare la sortie. Selon les personnes qui le pratiquent, le massage permet de diminuer le stress pour l’enfant, d’améliorer la relation triangulaire parent-enfant-soignant, et de soutenir l’attachement parent-enfant ; comparé à un soin plus technique, il est porteur de sens social, normalise la relation à l’enfant, améliore le sentiment d’auto-efficacité parentale et l’estime de soi. Mais tous les soins impliquant le toucher rencontrent des freins similaires et ils sont légèrement plus marqués pour le massage : caractère lacunaire et équivoque de l’information des professionnels ; initiatives souvent isolées, fragiles car dépendantes d’un petit nombre de personnes ; faibles échanges intra et inter services ; culture biomédicale prépondérante avec un investissement et des perceptions souvent asymétriques des corps professionnels ; opportunités limitées vu la difficulté de réunir ensemble enfants, parents et soignants. Par ailleurs, les réflexions globales sur le toucher de l’enfant sont rares et les projets de service ne mettent pas toujours en lien des pratiques comparables. Classiquement, les soins au développement en unité de soins intensifs néonatals sont porteurs de conflits du fait de la confrontation de priorités et de la redistribution des rôles. Le massage présente en outre la particularité d’être souvent associé à une crainte de sur-stimulation. Il est perçu comme un soin complexe et potentiellement dangereux ; cette représentation est plutôt homogène chez les personnes non formées au massage. Une partie de ces réticences peut être attribuée au manque d’information. En effet, elles s’appuient sur les caractéristiques des enfants les plus fragiles alors que l’activité quotidienne en néonatalogie est soumise, par nature, à la grande hétérogénéité de maturité des enfants et à la nécessité d’individualiser les soins. Construire une vision globale Ces craintes et controverses éclairent le fait que les initiatives, souvent isolées, s’essoufflent, disparaissent puis réapparaissent de manière cyclique. En outre, la possibilité de créer des liens entre l’hôpital et les ressources extérieures (groupes de massages en ville par exemple) est rarement explorée. Les études réalisées autour du massage n’apportent pas ou peu de solution opérationnelle ; en fait, ce qui manque aux acteurs c’est avant tout un programme univoque, intégré, accessible qui donne du sens à leur pratique et qui réponde à leurs réalités quotidiennes. Construire une vision globale relative au toucher de l’enfant : c’est une question transversale qui concerne les soignants comme les leaders, les décideurs et les chercheurs. Si elle veut produire des données accessibles, utiles et utilisables pour l’intervention, la recherche doit maintenant élargir la question du « pourquoi » à celle du « comment ». Pour cela, une collaboration plus étroite entre acteurs est essentielle.Documents joints
- Neonatal Individualized Developmental Care and Assessement Program.
- Il existe aussi une association internationale
- Le peau-à-peau, ou kangourou consiste à porter l’enfant nu sur le thorax, nu lui aussi ; peau contre peau.
- L’emballement et le « cocon » (sorte de nid en tissu) contiennent et rassurent le nourrisson en lui offrant les mêmes stimulations tactiles que dans la matrice maternelle.
- 80% des prématurés ont 33 semaines ou plus selon les chiffres de la période 1998-2004 de l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale (Haelterman E., De Spiegelare M., Masuy-Stroobant G., 2007).
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 67 - mars 2014
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