Aller au contenu

Proxisanté : l’outil wallon de la réforme de la première ligne


Santé conjuguée n°104 - septembre 2023

À l’heure d’écrire cet article, et sauf blocage de dernière minute par l’une ou l’autre partie prenante pesant dans les décisions du Gouvernement, la Wallonie devrait avoir son décret validé avant la fin de cette législature. Un premier pas, certes, mais un pas décisif.
La Déclaration de politique régionale 2019-2024 du Gouvernement de Wallonie stipule qu’« une organisation territoriale de l’offre d’aide et de soins sera définie avec les acteurs de la santé à partir des zones de soins de première ligne réparties sur l’ensemble du territoire wallon ». Au départ, il était question d’organiser des tables rondes ou des assises de la première ligne, idée qui avait déjà été suggérée sans succès lors de la précédente législature et qui s’était résumée à une concertation des acteurs, secteur par secteur. Rendons donc à ce gouvernement ce qui lui revient : la volonté de faire aboutir de vraies assises était au rendez-vous. Le processus aurait même pu démarrer et aboutir beaucoup plus tôt si le Covid n’était pas venu jouer les trouble-fêtes et perturber les agendas.

Une consultation exploratoire

Il aura donc fallu attendre avril 2022 pour lancer le processus participatif Proxisanté1, avec l’élaboration d’un questionnaire en ligne. Grâce à une plateforme internet, trente mille mails ont été envoyés aux professionnels pour faire connaitre la démarche ; 6 515 personnes se sont inscrites et 1 689 ont rempli le formulaire. Onze ateliers participatifs réunissant 160 participants en présentiel ou en distanciel ont été organisés en juin 2022. Une nouvelle consultation en ligne a été menée en août 2022 et enfin une journée de cocréation en septembre 2022. Le processus suivait six axes majeurs liés à l’organisation des soins de première ligne : la gouvernance, l’e-santé, le rôle des acteurs, le maillage territorial, le financement, l’offre de services, l’articulation entre les secteurs. L’étape exploratoire a permis d’identifier des pistes d’actions, de solutions. Un rapport a rassemblé les conclusions, les points de concordance, les points qui paraissaient importants aux yeux des acteurs présents pour arriver à une concrétisation.
Malgré beaucoup de doutes et de scepticisme perceptibles au démarrage, les différents acteurs invités à participer aux assises ont finalement répondu présents jusqu’à la présentation le 17 décembre 2022 au Parlement wallon d’une note d’orientation par l’équipe scientifique2 et la ministre de la Santé Christie Morreale (PS) au cours de laquelle les représentants des acteurs de terrain ont eu l’occasion de s’exprimer. La phase suivante était la rédaction d’un avant-projet de décret organisant la première ligne, dont la création de réseaux de première ligne, sur la base des orientations politiques retenues par le gouvernement. Un groupe de travail et un comité de pilotage ont été constitués, réunissant toujours des représentants des acteurs de terrain et des scientifiques. La dernière réunion du comité de pilotage s’est tenue le 8 septembre 2023.

Besoins et stratégies de la première ligne

Plusieurs besoins ont émergé des travaux transversaux. Les principaux :

  • « Ne pas ajouter de couche à la lasagne », selon l’expression consacrée. Autrement dit : s’appuyer sur l’existant et le renforcer de manière proportionnelle aux besoins. Moduler l’octroi des moyens financiers et humains en fonction du degré du besoin identifié sur le territoire. L’idée n’est pas de faire des économies, mais d’investir là, où et quand c’est nécessaire.
  • Créer et tenir à jour un cadastre de l’offre, prérequis au développement d’une vision partagée et intégrée de la santé et au déploiement d’une culture interdisciplinaire.
    Échanger de manière efficace des données et des informations entre les différents prestataires, ce qui pourrait contribuer à développer les échanges de pratiques et d’expérience au sein de la première ligne.
  • Garantir la liberté du choix du prestataire et la liberté thérapeutique.
  • Créer un espace de parole avec les autorités.
  • Intégrer les stratégies de la promotion de la santé dans les pratiques de la première ligne.

Les stratégies de la première ligne ont été définies comme centrées sur le patient/bénéficiaire avec une plus grande proximité, tenant compte de son projet de vie et de la nécessaire continuité de l’aide et des soins, valorisant les stratégies de promotion de la santé, mettant en place des collaborations entre les secteurs, constituant une porte d’entrée vers les soins et l’aide, dépassant les clivages.
Le processus a été une occasion utile de permettre à l’ensemble des acteurs ayant participé aux travaux de clarifier un certain nombre de concepts utilisés dans la littérature scientifique traitant de la première ligne. C’est ainsi qu’on devrait trouver dans le décret des clarifications concernant les notions de « bassins de vie », de « soins intégrés » ou encore de « transdisciplinarité ». On peut regretter que certaines définitions manquent à l’appel, à commencer par une définition claire et sans ambiguïté de ce qu’est la première ligne et de ce qu’elle n’est pas, mais, pour faire aboutir un processus, il faut parfois faire des concessions… Toujours à l’heure d’écrire ces lignes, le processus entre dans sa dernière ligne droite, à savoir le vote du décret par le Gouvernement de Wallonie. D’où le recours au conditionnel pour la suite de cet article.

Que contiendra ce nouveau décret s’il est voté ?

La grande nouveauté de ce décret est qu’il fixerait, selon le principe d’une organisation territoriale de santé, le cadre d’une première ligne d’accompagnement et de soins organisée en trois niveaux, local, locorégional et régional (parfois nommés micro, méso et macro). Chaque niveau devrait disposer de sa propre gouvernance. Le niveau local ou micro, le plus proche des interactions entre citoyens et prestataires d’accompagnement et de soins, viserait à correspondre aux bassins de vie des Wallons. Le niveau locorégional ou méso, dites aussi « zones (locorégionales) de première ligne » correspondrait peu ou prou aux services intégrés de soins à domicile (SISD) actuels.
Enfin au niveau macro – comme la ministre Morreale l’a elle-même présenté au Parlement wallon en mars dernier3 – et c’est une avancée notoire et historique pour le système de santé wallon, on trouverait l’Institut wallon de première ligne (IWPL) disposant du statut d’asbl subventionnée (dont la composition, le fonctionnement et les moyens restent à définir dans les futurs arrêtés d’exécution) ainsi que le Forum de première ligne qui serait créé au sein de l’AViQ, qui ne serait donc pas une asbl et qui, comme son nom l’indique, serait un lieu de dialogue et de concertation libre et indépendant entre tous les professionnels de la première ligne au sens le plus large du terme (c’est-à-dire pas uniquement les prestataires de l’accompagnement et du soin) et les autorités administratives et politiques. Les missions de l’Institut wallon de première ligne, du Forum et des organisations locorégionales de santé sont identifiées. Certaines discussions ont encore lieu au niveau politique sur la présence des représentants des partenaires sociaux et des organismes assureurs.
La ministre a aussi présenté au Parlement wallon les neuf principes de base de Proxisanté. Les deux premiers visent à offrir un cadre soutenant, mais flexible pour développer un système intégré et définir une vision et des objectifs harmonisés pour la première ligne. Le troisième et le quatrième visent à déployer progressivement un modèle qui prend en compte l’état d’avancement dans le rapprochement ou la fusion des organisations locales ainsi qu’à réfléchir à un langage commun et accessible à tous les acteurs de l’aide et du soin. Le cinquième et le sixième reprennent la mise en œuvre d’un dispositif territorial à trois niveaux et développent une gouvernance territoriale de la première ligne. « L’objectif poursuivi est ici de définir les zones – avec des règles de détermination et composition, des règlements d’ordre intérieur, des règles de reconnaissance, etc. – et l’organisation des structures de coordination, a déclaré la ministre. Le premier niveau sera le bassin de vie. Le deuxième niveau sera constitué des zones de première ligne – soit les communes, soit un groupe de communes pour arriver autour de 300 000 habitants. Cette proposition permet d’assurer une communication entre les services de l’aide, l’accompagnement et du soin. Enfin, le troisième niveau couvrira toute la Wallonie. » Le septième principe est la promotion de la santé dans la première ligne. « La prévention est un élément majeur, poursuit la ministre. On investit beaucoup trop peu dans la prévention et la promotion de la santé. On doit booster, à travers la poursuite du Plan wallon de prévention et de promotion de la santé, et rendre plus systématique la question de la promotion de la santé. On veut permettre aux Wallons de vivre mieux et plus longtemps. » Le huitième et le neuvième optimalisent la coopération entre la première et la deuxième ligne d’accompagnement et de soins, veillent à l’articulation des politiques de première ligne et des autres niveaux de pouvoir.

Que deviendra la Plateforme pour la première ligne wallonne ?

Depuis le démarrage de la concertation, son avenir dans un nouveau paysage fait l’objet de réflexions et de débats. Cela n’a pas toujours été facile de rêver d’un nouveau modèle avec de si nombreux acteurs venant d’horizons et secteurs très différents, mais c’est aussi la richesse d’un tel processus. Ses représentants ont jusqu’au bout défendu qu’elle devait rester cette plateforme d’échanges à partir de l’exercice des métiers de l’accompagnement et du soin de la première ligne. Elle sera un pôle essentiel au sein du potentiel futur Institut wallon de première ligne qui devrait comprendre un pôle recherche et développement, un pôle formation (par exemple en e-santé) en plus du pôle de concertation telle qu’il fonctionne actuellement au sein de la PPLW.

La Plateforme de première ligne wallonne (PPLW) a été initiée en 2016. Elle fait suite aux nouveaux enjeux résultant du transfert de compétences dans le cadre de la sixième réforme de l’État. Elle se réunit régulièrement pour réfléchir à l’avenir du système de santé en Wallonie. Elle est constituée actuellement de deux types d’acteurs : les représentants des différents métiers de première ligne à travers leurs organisations professionnelles ou scientifiques (médecins généralistes, infirmières, dentistes, pharmaciens, kinésithérapeutes, diététiciens, sages-femmes, ergothérapeutes, psychologues, podologues) ainsi que les représentants de fédérations de structures multidisciplinaires dans lesquelles les médecins généralistes sont impliqués (l’inter-SISD, l’inter-RML, la Fédération des maisons médicales, la Fédération ACCOORD).

Conclusion

Des critiques émanant du terrain ont été formulées depuis le démarrage du processus et c’est normal. Cette concertation qui a quitté la logique des silos, secteur par secteur, est une première en Wallonie. Elle devrait contribuer à mieux structurer et renforcer la première ligne en articulation avec les autres lignes de soins. Le défi est à présent de traduire tout ce qui figurera dans le décret en réalisations concrètes et notamment permettre aux organisations locales de santé (bassin de vie) d’être bien définies et soutenues. Car les véritables zones de première ligne commencent à ce niveau-là. Si cela n’est pas le cas dans un avenir qu’on espère proche, tout ce qui aura été réfléchi, débattu et proposé, n’aura pas servi à grand-chose et Proxisanté aura raté son objectif. L’autre défi sera d’organiser la gouvernance des nouvelles instances (IWPL et Forum) et de les doter de moyens suffisants en rapport avec leurs missions.

  1. www.aviq.be/fr/proxisante.
  2. Consortium scientifique composé de l’UCLouvain et de l’ULiège ainsi que de la Plateforme accréditation qualité des soins (PAQS). Le travail s’est aussi fondé sur les travaux de la Chaire interuniversitaire Be.Hive soutenue par la Fondation Roi Baudouin.
  3. Parlement wallon, séance publique de la commission de l’emploi, de l’action sociale et de la santé, 21 mars 2023.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°104 - septembre 2023

Une organisation territoriale, pourquoi ?

Anne-Sophie Lambert,Institut de Recherche Santé et Société (IRSS), UCL, Plateforme pour l’amélioration continue de la qualité des soins et la sécurité des patients, Béatrice Scholtes, Plateforme pour l’amélioration continue de la qualité des soins et la(…)

- Anne-Sophie Lambert, Béatrice Scholtes, Denis Herbaux, Jean Macq

Bruxelles se dote d’un plan social santé intégré

Trop de Bruxellois et de Bruxelloises éprouvent des difficultés à accéder à l’aide sociale et aux soins de santé (que cela s’exprime dans des phénomènes de non-recours ou des problèmes structurels de mise à disposition de(…)

- Jacques Moriau

Proxisanté : l’outil wallon de la réforme de la première ligne

À l’heure d’écrire cet article, et sauf blocage de dernière minute par l’une ou l’autre partie prenante pesant dans les décisions du Gouvernement, la Wallonie devrait avoir son décret validé avant la fin de cette législature.(…)

- De Munck Paul

Les soins intégrés en Flandre

À l’initiative du ministre flamand du Bien-Être, de la Santé et de la Famille de l’époque, Jo Vandeurzen (CD&V), une première conférence des soins de première ligne a été organisée en 2010 pour définir, en concertation(…)

- Annick Dermine

La responsabilisation populationnelle

La FHF regroupe l’ensemble des 1000 hôpitaux et des 3000 établissements médicosociaux publics. Sa plateforme politique appelait en 2017 à « refonder notre système de santé sur la base du principe de responsabilité populationnelle de l’ensemble des(…)

- Antoine Malone

Les maisons médicales, au cœur d’un territoire

Les réformes de la première ligne d’aide et de soin – le Plan social santé intégré (PSSI) en Région bruxelloise et Proxisanté en Wallonie – misent sur la territorialisation pour réorganiser l’offre social-santé de façon transversale(…)

- Pauline Gillard

Prévention et promo santé à l’épreuve des territoires

Parce qu’elles ont depuis toujours pris en considération le contexte local où vivent les populations et où interviennent les acteurs de proximité, les maisons médicales font figure de pionnières dans le champ de la santé. En(…)

- Marinette Mormont

Lutter pour une ville hospitalière

Le droit à la ville passe par le droit à un environnement sain et à un confort urbain. Or tous les habitants n’ont pas le choix de leur trajectoire de vie et de leur environnement et(…)

- Marion Alecian

Mouscron, ville santé

Le Programme Villes-Santé a été lancé par le Bureau européen de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) suite à l’adoption en novembre 1986 de la Charte d’Ottawa, qui « inscrit la santé à l’ordre du jour des(…)

- Pascale Meunier

Une seule santé, mais beaucoup de questions

La santé des humains ne peut se concevoir séparément de celle des plantes, des animaux et des écosystèmes qu’ils constituent et partagent, avec l’appui d’une myriade de micro-organismes. Entremêlées, enchevêtrées, ces santés le sont tant qu’il(…)

- Nicolas Antoine-Moussiaux

La participation en santé, derrière la polysémie

L’expansion du cadre participatif dans le domaine de la santé suit la logique évolutive des modes d’action publique. D’un État-providence, redistributeur et organisateur de services, nous passons à un État-réseau, émetteur de « droits autonomes » orientés vers(…)

- Simon Lemaire

Quand le médecin traitant vient à manquer…

Le monde idéal en termes d’accessibilité aux soins médicaux impliquerait des soignants en nombre suffisant et un système d’assurance qui offre un accès maximal et uniforme. Quand l’accès aux soins devient dépendant des ressources financières, émerge(…)

- Roger van Cutsem

Introduction n°104

Pascaline d’Otreppe, médecin généraliste à la maison médicale ASASO (Saint-Gilles), Gaël Duprat, kinésithérapeute à Repère Santé, maison de santé de Jemelle, tous deux membres du bureau stratégique de la Fédération des maisons médicales.   Bruxelles et(…)

- Duprat Gaël, Pascaline d’Otreppe

Actualités n° 104

Face à la complexité

Le système de soins de santé est encore largement dominé par des logiques marchandes. Comme alternative sociale, le modèle des maisons médicales tel que la Fédération le défend reste minoritaire… alors que les victimes de ces(…)

-

Zakia Khattabi : « Justice sociale et justice environnementale sont indissociables »

L’environnement, c’est le défi du siècle ? Zakia Khattabi : La crise environnementale, la crise climatique, la perte de biodiversité, mais aussi les pollutions sont les questions sociales du XXIe siècle dans la mesure où ce sont des réalités(…)

- Pascale Meunier

#vivre mieux, avec la Coalition Santé !

Depuis 2007, en vue de la célébration des trente ans de la déclaration d’Alma-Ata des acteurs d’horizons différents, tous préoccupés par le droit à la santé, ont décidé d’unir leurs forces et de coordonner leurs efforts(…)

- Brieuc Dubois, Nicolas Pirotte

Former aux défis de la première ligne

Notre équipe de recherche de la Chaire Be.Hive a dressé un premier répertoire de ces innovations pédagogiques. Au départ d’une analyse de celles-ci et de leur propre expérience, un groupe de patients et un groupe composé(…)

- Benoit Pétré, Céline Mahieu, Dan Lecocq, Delphine Kirkove, Jennifer Foucart, Pierre D’Ans

Accélération

Ce mal touche de nombreux soignants et tant de nos patients. Nous courons, nous courons et nous avons de moins en moins de temps. Hartmut Rosa, philosophe et sociologue allemand, a consacré un essai à cette(…)

- Dr André Crismer