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Mouscron, ville santé


Santé conjuguée n°104 - septembre 2023

La santé au cœur de toutes les politiques ? Certaines communes en ont fait une priorité et ont rejoint le réseau des Villes-Santé. On en compte une centaine en Europe et une dizaine en Belgique. Mouscron en fait partie depuis 2007.

Le Programme Villes-Santé a été lancé par le Bureau européen de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) suite à l’adoption en novembre 1986 de la Charte d’Ottawa1, qui « inscrit la santé à l’ordre du jour des responsables politiques de tous les secteurs et à tous les niveaux, en les incitant à prendre conscience des conséquences de leurs décisions sur la santé et en les amenant à admettre leur responsabilité́ à cet égard ». Ce programme doit permettre « d’offrir des biens et des services plus sûrs et plus sains, des services publics qui favorisent davantage la santé et des environnements plus propres et plus agréables » et qui tiennent compte de la diversité nationale et locale des systèmes sociaux, culturels et économiques. Les villes qui se sont engagées à généraliser la prise en considération de l’amélioration de la santé dans toutes les politiques sectorielles qui relèvent de leurs compétences se sont peu à peu organisées en réseaux2. « Une ville-santé, ce n’est pas une ville qui a atteint un niveau particulier en matière de santé, mais plutôt une ville qui donne une priorité à la santé de ses habitants, qui crée et renouvelle les conditions de bonne santé pour sa population. Il n’y a pas de modèle unique : chaque ville s’appuie sur ses potentialités, ses ressources à tous les niveaux pour déployer sa conception de la santé. Mais pour être reconnue comme ville-santé, il faut concrétiser cet engagement politique explicite dans la durée : mettre en place un processus et une structure adéquate, réorganiser certains services et méthodes de travail, réaliser des actions novatrices. »3

La bourgmestre de Mouscron, Brigitte Aubert (Les Engagés), infirmière de formation et ancienne professeure en haute école paramédicale, est entrée en politique comme échevine des Affaires sociales et de la Santé en 2006. Elle brosse un portrait lucide de son territoire : « Nos indicateurs ne sont pas bons. Mouscron est une commune socialement défavorisée. Sur les 262 communes wallonnes, nous sommes dans le trio de queue. Le diagnostic de l’Observatoire du Hainaut relève de nombreux points d’amélioration possible : assuétudes, obésité, cancer du sein, diabète… On peut travailler dans tous les domaines, tant il y a à faire et tant la santé est transversale. »

Une maison de la santé

Premier acte posé : la création de la maison communale de promotion de la santé, appelée aussi maison de la santé. C’est un bâtiment bien visible aux abords du siège de l’administration communale. Il héberge le service Phare, spécialisé dans le traitement des assuétudes, l’alcool notamment, ainsi qu’un local sanitaire pour les personnes sans abri : douches et laverie sont accessibles à toute heure. Un rôle important de la maison de la santé est d’orienter la personne en demande vers les ressources associatives les plus pertinentes. Mais la maison de la santé, c’est surtout une équipe interdisciplinaire d’une dizaine de travailleurs – assistants sociaux, éducateurs, psychologues, animateurs, etc. – rattachés aux affaires sociales, un échevinat qui couvre aussi les seniors, les personnes handicapées, la prévention, l’abri de nuit, etc. « C’est la santé avec un grand S », résume l’édile, qui est aussi la présidente francophone du réseau belge Villes-Santé.
L’équipe traduit les choix politiques en actions, en partenariat avec le secteur médical et le secteur associatif de la ville : centre de planning familial, hôpital, maison de repos, maison médicale, médecins généralistes, services et soins à domicile… Et l’essentiel se passe sur le terrain, comme l’explique Marie Dewaele, coordinatrice de la maison de la santé. « Au quotidien, c’est beaucoup d’animations dans les écoles, des ateliers de cuisine équilibrée, des animations dans les quartiers : comme les bols bavards, des lieux de convivialité où prendre un café, assister à un atelier, où partager ses idées, ou comme les bars d’eau, des lieux d’accueil pour des personnes en difficultés de vie, en manque de lien social, ayant des problèmes de dépendance liés à la consommation d’alcool. » Il y a aussi la recherche de subsides évidemment et du travail administratif, aussi essentiels, car sans cela pas de moyens ni de suivi. Parmi les ressources, le plan de cohésion sociale, l’AViQ, et la ville de Mouscron qui salarie une partie du personnel. « Une volonté politique », souligne la bourgmestre.

Des projets au fil de l’an

Cette semaine de fin de vacances, des animations se tiennent dans les maisons de repos, avec des élèves du secondaire qui suivent l’option sociale. Et avec la rentrée, les animations dans les écoles reprennent. Le brevet cycliste, par exemple : un partenariat police/ville/Pro vélo. Les enfants de cinquième primaire apprennent à rouler en ville. Pendant qu’une partie pédale, des animations sur la santé et l’alimentation sont organisées en classe avec les autres. Les écoles sont particulièrement investies par l’équipe de la maison de la santé. Des diététiciennes analysent et valident les menus des cantines communales. À la demande, elles assistent aussi à la distribution des repas dans l’enseignement libre. « Les choses évoluent positivement, remarque Marie Dewaele. Les règlements sur les collations par exemple. On demande désormais un fruit par semaine, pas de chips… Les plus jeunes deviennent des ambassadeurs auprès de leurs parents et de leurs enseignants. »
Depuis 2007, Mouscron est également membre de Viasano4. Ce programme mobilise tous les acteurs qui gravitent autour de la famille pour bouger et manger mieux. « Aujourd’hui, poursuit-elle, dès qu’une activité sportive ou culturelle est organisée dans la commune, l’équipe Viasano est là. Elle dispose d’un foodtruck, on y distribue des fruits, de l’eau. Le camion sert de support à des animations, à la diffusion de conseils en santé. On y organise aussi des ateliers culinaires. »
Tout au long de l’année, des actions visent plus globalement la population. Entre autres, Octobre rose : le mois est consacré à la campagne de sensibilisation au cancer du sein. En général, les journées mondiales sont propices à la prévention, comme le 1er décembre pour la lutte contre le sida. « Nous distribuons des kits
aux jeunes à la gare et au Centre hospitalier de Mouscron (CHM), qui voit passer près de 3000 personnes par jour », note la coordinatrice.
Un cycle de conférences tout public aborde différents thèmes : le sommeil, l’hyper parentalité, les émotions chez les enfants, les stéréotypes, les sextos chez les jeunes… « Nous sommes à l’écoute et sensibles aux sujets dans l’air du temps et un sondage fait remonter les thématiques qui intéressent les spectateurs. » Le CHM y collabore en y envoyant des orateurs, tout comme le Centre hospitalier Gustave Dron, à Tourcoing. La frontière est très proche en effet et cela se traduit historiquement par une certaine fragilité de la population. Mouscron est un ancien fleuron de l’industrie textile qui a drainé pendant près de deux siècles une main-d’œuvre très importante, souvent reléguée dans les quartiers situés à l’ouest de la ville. « Un alignement de toutes petites maisons, avec juste une fenêtre et une porte », décrit la bourgmestre. Alors que la densité moyenne de la ville est déjà très forte – 147 habitants par kilomètre carré contre 207 en Région wallonne –, elle peut grimper à 200 dans certaines zones.

Des effets attendus à long terme

Il n’est pas simple de mesurer les effets des actions de promotion de la santé et d’établir un lien direct avec les animations, car si certains indicateurs s’améliorent (moins d’enfants obèses, plus de mammotests), d’autres n’évoluent pas favorablement, comme les conditions socioéconomiques des habitants. La consommation d’alcool et de tabac reste aussi problématique. « Nous faisons déjà beaucoup de choses, mais nous pourrions encore aller plus loin, aller encore au plus près des habitants », reconnait la bourgmestre. Et c’est là que le réseau des Villes-Santé a un rôle à jouer. Toutes ne développent pas les mêmes projets, mais chacune dispose d’un savoir, d’une expérience, d’outils à partager, ce qui permettrait d’agir ensemble à un niveau plus large et d’en inciter d’autres à rejoindre le mouvement. Pour Brigitte Aubert, un préalable reste cependant à régler : toutes les communes du pays n’ont pas encore fait le choix d’un échevinat dédié à la santé. Incroyable, non ?

  1. 1. https://apps.who.int.
  2. E. Le Goff, R. Séchet, « Les villes-santé et le développement durable : convergence, concurrence
    ou écran ? », L’Information géographique 2011/2.
  3. M. Prévost, « Promotion de la santé et développement durable : le cas des villes-santé »,
    Santé conjuguée n° 50, octobre 2009.
  4. www.viasano.be.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°104 - septembre 2023

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