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Prendre soin de notre santé commune


Santé conjuguée n°109 - décembre 2024

À la suite d’interpellations de soignantes et de soignants, l’équipe d’éducation permanente de la Fédération des maisons médicales s’est emparée de la thématique de l’écologie en explorant les relations d’interdépendance entre la santé et l’environnement. Ce dossier constitue l’aboutissement de nombreuses réflexions collectives. Qu’en retenir pour les années décisives à venir ?

Initiée dès 2023, la thématique « Écologie et santé » a vécu plusieurs moments forts : balade ponctuée d’un quizz sur la santé durable dans les rues de Verviers, particulièrement touchée par les inondations de l’été 2021 ; mise en ligne de ressources documentaires et création d’un groupe de travail rassemblant des soignants et ouvert aux patients qui vise à mutualiser les savoirs, identification des leviers d’action et expérimentation de nouvelles pratiques1 ; mobilisation collective lors de la marche climat ; arpentage de l’étude de la docteure Anne Berquin Transition et soins de santé : quels défis pour le futur ? 2 ; soutien au développement d’un programme de formation et d’accompagnement pour des pratiques de santé écoresponsables proposé par la cellule environnement de la Société scientifique de médecine générale (SSMG)3 ; organisation d’un cycle de conférences sur les polluants chimiques en partenariat avec Etopia et Canopeae[n_note]Fédération des maisons médicales, Cycle sur les polluants chimiques « Sortir de l’impuissance ! », www.maisonmedicale.org.[/efn_note]. Ces activités ont constitué autant d’occasions d’appréhender les liens complexes entre les urgences écologiques, sociales et sanitaires explorés dans ce dossier.

Nous sommes au pied du mur

Nous n’avons plus le temps d’une transition qui s’étalerait sur des décennies. Face aux ravages sociaux et écologiques d’un capitalisme débridé, fondé sur l’extractivisme, le productivisme et le consumérisme, le bon sens devrait nous pousser à abandonner ce système mortifère et à réorienter nos structures économiques et politiques. Tant que nous ne modifierons pas radicalement cette trajectoire écocidaire, les inégalités sociales et environnementales continueront de se creuser et de nuire dangereusement à la santé et à la vie des plus pauvres et des plus vulnérables, au Nord comme au Sud.
Faire société avec la nature, telle est la condition de notre survie sur Terre, estiment les auteurs du Manifeste pour une santé commune qui nous invitent à envisager la santé des milieux naturels, des sociétés et des personnes comme imbriquées et indivisibles4. Fondé sur l’ajustement des besoins des populations aux ressources accessibles et sur la prise en compte de ses coûts sociaux et écologiques, ce nouveau paradigme peut se concevoir comme un guide pour expérimenter d’autres façons d’habiter la planète et d’établir nos rapports au vivant.
Cette approche pourrait également ouvrir de nouvelles perspectives dans nos manières de soigner, de concevoir nos services de santé et de penser la formation des futurs soignants et soignantes.

Miser sur une approche socioécologique de la santé

Les pistes d’action ne manquent pas pour augmenter la durabilité des soins de santé : réduire le recours aux soins inappropriés et le gaspillage, améliorer la gestion des déchets et la performance énergétique des bâtiments, adapter la mobilité des professionnels… Toutes ces actions vont dans la bonne direction et limitent l’impact environnemental des activités de santé. Plus fondamentalement, il s’agit aussi de repenser l’organisation de notre système de soins. Il s’est construit sur une vision biomédicale très dépendante des médicaments, d’examens complémentaires et d’interventions techniques coûteuses pour la société et l’environnement, alors que les soins de santé primaires devraient constituer le socle d’une approche socioécologique de la santé. Déclinés dans des structures de première ligne à renforcer, ils combinent des actions à l’échelle individuelle, communautaire et environnementale.
Prévention, participation des communautés, action territorialisée tenant compte des déterminants non médicaux de la santé, approche moins technique et plus soucieuse des effets à long terme sur la santé… sont autant d’axes qui participent au bien-être et à l’émancipation des populations. Cette approche nous offre aussi l’opportunité d’apporter des réponses structurelles aux enjeux qui sous-tendent la pénurie de soignants et de sortir d’une logique marchande qui épuise les professionnels et les empêche de prendre soin. Ce mode de pensée implique de transformer la formation des professionnels de santé. Les initiatives commencent à se développer et à susciter l’engagement des (futurs) soignants dans les universités, les hautes écoles et la formation continue.

Conjuguer justice sociale et environnementale

Face aux inégalités sociales et environnementales criantes, il nous faut aussi concevoir la question écologique comme une question sociale, plutôt que de les aborder séparément, dans des champs disciplinaires différents et dans des politiques publiques encore trop cloisonnées. Au même titre que la santé, l’écologie doit donc devenir la boussole de toute politique, sans faire porter le poids des efforts par des groupes sociaux qui ne sont pas responsables des dégâts environnementaux liés aux modes de vie des classes dominantes et aux industries polluantes.

Quelle écologie voulons-nous ?

Comme l’énoncent les sociologues Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier, le projet écologique majoritaire repose sur une moralisation des conduites individuelles qui participe à la dépolitisation d’un problème public. Or l’adoption d’écogestes et le recours à d’hypothétiques innovations technologiques vendues par le capitalisme vert ne suffiront pas à régler la question écologique et ses enjeux multiples (sociaux, sanitaires, économiques, énergétiques, alimentaires, migratoires, etc.), les solutions technologiques conduisant « davantage à un déplacement ou à une mutation des problèmes initiaux qu’à leur disparition », comme l’indique l’ingénieur et économiste François Briens5.
Se pose dès lors la question du projet politique que nous souhaitons déployer pour relever les défis sociaux et écologiques en y associant toutes les parties, y compris les laissés-pour-compte de l’écologie dominante. C’est en cela que s’impose une écologie populaire, écologie qui s’ancre dans les préoccupations, les vécus et les savoirs des milieux populaires et qui vise à se réapproprier et à agir collectivement sur son milieu de vie.

Les maisons médicales, des acteurs clés

L’argument de la santé et du bien-être, parce qu’il concerne tout le monde, est plus mobilisateur pour initier des changements écologiques, selon les intervenants en santé communautaire interrogés dans le cadre de cette étude, et permet de faire le lien entre les problématiques écologiques et sanitaires. Quant à la question de savoir s’il y a une place, actuelle ou potentielle, pour l’écologie populaire dans les maisons médicales, le déploiement de celle-ci dépendra notamment de l’existence d’espaces de rencontres et d’expression permettant aux citoyens de se réapproprier les questions dont ils ont été dépossédés et d’agir sur leur milieu de vie.
Plutôt que d’opérer des ajustements à la marge de nos systèmes politiques, économiques et de soins, il importe de repenser radicalement la philosophie et les logiques qui les gouvernent. Seule cette bifurcation vers un monde plus sobre et plus joyeux permettra à toutes les franges de la population d’atteindre un bien-être à l’intérieur des limites planétaires, en alliance avec le vivant humain et non humain. Ce dossier présente des pistes d’actions individuelles et collectives à la portée des soignants, soignantes et des citoyens, citoyennes. Gageons qu’elles inspireront celles et ceux qui souhaitent faire de l’écologie un levier de transformation sociale et politique, garantissant la préservation de notre santé commune.

 

  1. Fédération des maisons médicales, Urgences écologiques et santé, mars 2024, www.maisonmedicale.org. Un groupe de travail « Écologie en maison médicale » a également vu le jour dans l’intergroupe liégeois des maisons médicales.
  2. A. Berquin, Transition et soins de santé. Quels défis pour le futur ?, Etopia, 2021.
  3. SSMG, Environnement et santé, www.ssmg.be.
  4. F. Collart Dutilleul et al., Manifeste pour une santé commune, Utopia, 2023.
  5. F. Briens, « En finir avec le mythe de la croissance verte. Le mirage du découplage », Socialter, Hors-série, automne 2024.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°109 - décembre 2024

Étude : écologie et santé

Introduction n°109 Vagues de chaleur, pluies diluviennes, pollutions, feux de forêt, zoonoses, cancers, maladies cardiovasculaires, écoanxiété… La liste des effets de l’activité humaine sur les écosystèmes et, par répercussion sur leurs habitants, n’en finit pas de(…)

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Dans ses publications, le politologue Paul Ariès s’insurge contre les préjugés qui circulent à propos du rapport des milieux populaires à l’écologie. « C’est à qui dénoncera le plus vertement leur rêve de grand écran de télévision,(…)

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