Les bouleversements environnementaux, enjeux de santé publique
Olivier Vandenberg
Santé conjuguée n°109 - décembre 2024
Quelles sont les conséquences de la dégradation de l’environnement sur la santé humaine au regard des maladies liées à la pollution et au changement climatique ? Quelles sont les stratégies d’atténuation et d’adaptation possibles ?
Chaque année, plus de 12 millions de décès dans le monde sont attribués à des facteurs environnementaux évitables, soulignant l’impact crucial de l’environnement sur notre santé. Parmi les différents défis sanitaires auxquels nous serons de plus en plus confrontés dans les années à venir, les conséquences de la pollution de l’environnement et la résistance aux antimicrobiens (RAM) sont au premier plan1. À ces menaces s’ajoutent les conséquences posées sur la santé par les changements climatiques et les conséquences de l’effondrement de la biodiversité.
L’ensemble de ces facteurs ont conduit au concept de santé planétaire, concept qui reconnait que la santé de notre planète et la santé humaine sont intimement liées et résultent d’un équilibre fragile entre les écosystèmes naturels et l’activité humaine. L’intérêt du concept de santé planétaire est de nous rappeler que les ressources de notre planète ne sont pas infinies et qu’il est essentiel de réduire notre empreinte carbone, de protéger la biodiversité et d’adopter des modes de vie durables afin que la terre reste habitable pour les générations futures. Dans ce cadre, les actions individuelles et collectives, comme la réduction des déchets et la transition énergétique, jouent un rôle crucial.
La pollution : une menace invisible, mais omniprésente
La pollution chimique et physique environnementale constitue un problème majeur de santé publique2. L’industrialisation, la production agricole et l’urbanisation ont conduit à une dégradation et une pollution de l’environnement, affectant les masses d’eau nécessaires à la vie et, au bout du compte, à la santé humaine. À l’échelle mondiale, on estime que 80 % des eaux usées industrielles et municipales sont rejetées dans l’environnement sans traitement préalable, avec des effets néfastes sur la santé humaine et les écosystèmes. Cette proportion est plus élevée dans les pays à faibles et moyens revenus, où les réseaux d’égouts et les installations de traitement des eaux usées font cruellement défaut. Cependant le scandale sanitaire relatif aux composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (PFAS), nous a rappelé que la pollution de l’eau en Belgique reste un enjeu de santé majeur au regard des perturbations du système immunitaire, des cancers, des problèmes thyroïdiens ou des menaces sur le développement du fœtus que ces types de polluants peuvent entrainer.
À côté de la pollution de l’eau et des sols, l’exposition à long terme à la pollution atmosphérique peut provoquer des cancers et des dommages aux systèmes cardiovasculaire, immunitaire, neurologique, reproductif et respiratoire, conduisant dans certains cas à la mort. Les particules fines (mélange complexe de particules solides et de gouttelettes liquides dont la composition chimique varie en fonction des sources émettrices et des conditions météorologiques), le dioxyde d’azote et l’ozone comptent parmi les polluants de l’air les plus fréquemment rencontrés en Belgique.
Même si la qualité de l’air s’améliore dans notre pays, une partie importante de la population belge respire encore un air trop pollué entrainant des maladies pourtant évitables et une mortalité prématurée. Par ailleurs, les relevés de l’Institut scientifique de santé publique Sciensano montrent que la qualité de l’air varie selon les régions avec une différence entre les zones rurales et urbaines. Ces dernières sont généralement exposées à des niveaux plus élevés de pollution résultant principalement d’un trafic plus intense et de l’activité industrielle. Cependant, certaines régions rurales souffrent également de pollution de l’air, principalement liée de l’agriculture. Ces différences régionales s’expliquent notamment par des différences de densité de population, des sources de particules fines (particulate matter, PM en anglais) qui sont toutes deux plus élevées en Région flamande et en Région bruxelloise qu’en Région wallonne ; cette dernière bénéficiant d’une plus grande élimination de la pollution par la végétation 3.
Même si les données récentes sur la qualité de l’air en Belgique montrent une amélioration dans certaines régions, l’exposition aux particules fines en Belgique est plus élevée que la moyenne européenne4. L’extension des zones à faibles émissions (où l’accès des véhicules les plus polluants est limité) ainsi que l’élaboration de plans visant à améliorer la qualité de l’air, notamment en contrôlant les sources de pollution et en incitant à utiliser des alternatives plus écologiques (voitures électriques, transports publics, etc.) sont autant d’éléments permettant de réduire la pollution atmosphérique. Ceci parallèlement aux investissements dans les énergies renouvelables et la mise en œuvre de politiques climatiques réduisant la dépendance aux énergies fossiles.
À côté de l’air extérieur, la pollution de l’air intérieur par des micro-organismes, contaminants d’origine chimique ou physique (tels que poussières fines, polluants gazeux, composés organiques volatils) peut également avoir une influence négative sur notre santé en favorisant notamment la survenue d’allergies. Selon le Conseil supérieur de la santé, l’intoxication au monoxyde de carbone (CO) touche environ 3000 personnes par an en Belgique menant à un décès dans une trentaine de cas !
Le changement climatique : un amplificateur des risques sanitaires
Comme dans la majorité des pays, le changement climatique représente une menace croissante pour la santé, notamment par la modification des écosystèmes et l’augmentation des maladies vectorielles qui en résultent. À ces changements s’ajoute l’augmentation de fréquence des évènements météorologiques extrêmes tels que les vagues de chaleur souvent associées à une surmortalité observée principalement chez les personnes âgées et les enfants en bas âge5. À ces évènements sont également associées des périodes de grande pluviométrie et/ou de grand froid ayant un impact sur l’incidence des maladies infectieuses rencontrées dans notre pays.
En effet, une étude récente a montré que les températures très basses étaient associées à une incidence plus élevée d’infections à influenza (le virus de la grippe), parainfluenza, Mycoplasma pneumoniae, rotavirus et d’infections invasives à Streptococcus pneumoniae et Streptococcus pyogenes. Tandis que des températures très élevées étaient associées à une incidence plus élevée d’infections à Escherichia coli, Salmonella spp, Shigella spp, de gastro-entérites parasitaires et de maladie de Lyme. Les très fortes précipitations ont été associées à une incidence plus élevée du virus respiratoire syncytial, tandis que les très faibles précipitations ont été associées à une incidence plus faible de la gastro-entérite à adénovirus6. À côté des évènements climatiques extrêmes, les changements climatiques contribuent également à l’expansion de certains vecteurs en Belgique tels que le moustique tigre asiatique (Aedes albopictus) récemment détecté dans notre pays et capable de transmettre des maladies infectieuses telles que le chikungunya, la dengue ou le zika. Enfin, les inondations survenues en juillet 2021 nous ont rappelé les conséquences des catastrophes auxquelles nous sommes de plus en plus souvent confrontés telles que les ouragans, inondations, sécheresses et incendies de forêt qui augmentent la propagation de maladies hydriques (la leptospirose, par exemple) ou aggravent la pollution de l’air.
La résistance aux antimicrobiens : une menace à la santé mondiale
La résistance aux antimicrobiens est à l’origine de 1,27 million de décès en 2019. On estime que d’ici à 2050, elle sera à l’origine de 10 millions de décès et que le taux de mortalité sera le plus élevé en Afrique subsaharienne. En Belgique, le nombre de cas d’infections dues aux bactéries résistantes aux antibiotiques en 2020 était estimé à 13 991 et le nombre de décès à 6167. Selon les estimations du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), plus de 35 000 personnes meurent chaque année d’infections résistantes aux antimicrobiens dans l’Union européenne et/ou l’espace économique européen. Ce qui amène à penser que si nous n’agissons pas maintenant, nous retomberons bientôt dans les ténèbres de l’ère préantibiotique, avec son lot d’insécurité sanitaire et de troubles sociaux.
Les principaux moteurs connus de l’émergence et de la propagation de la résistance aux antimicrobiens sont multiples et comprennent notamment l’utilisation irrationnelle d’antimicrobiens, les lacunes dans les données de surveillance (liées au manque d’installations de laboratoires microbiologiques dans les pays à faible et moyen revenu) conduisant à l’élaboration de programmes inappropriés de prévention et de contrôle de la résistance aux antimicrobiens. Malheureusement, la santé humaine n’est qu’un aspect du problème multiforme de la résistance aux antimicrobiens. Celle-ci est également apparue dans la production animale et dans l’agriculture en raison de l’utilisation excessive d’antimicrobiens. La résistance aux antimicrobiens est également diffusée par les réservoirs environnementaux, notamment l’eau, le sol et les déchets.
Faire face aux conséquences
L’ensemble des éléments décrits ci-dessus illustre l’impact des perturbations environnementales sur la santé humaine et la nécessité impérieuse de prendre en compte les facteurs environnementaux dans l’élaboration des programmes et structures de soins.
Les conséquences du dépassement des limites planétaires impactent d’ores et déjà la santé des individus, notamment les plus vulnérables. À défaut de changements de comportement immédiats, seule la construction de systèmes de santé résilients capables d’affronter les perturbations induites par les changements environnementaux nous permettra de faire face aux conséquences sanitaires qu’ont générées des décennies d’exploitation inconsidérée des ressources de notre planète et de notre environnement. Ceci est le seul moyen de prodiguer aux générations futures des services de santé efficaces, équitables et accessibles à toutes et tous.
Six des neuf limites planétaires sont déjà dépassées
Le dérèglement climatique n’est pas la seule menace qui pèse sur nos milieux de vie. Les scientifiques ont identifié neuf domaines indispensables à la stabilité du système Terre, pour lesquels un seuil limite de perturbation a été défini, au-delà duquel la pérennité des écosystèmes et de l’humanité est menacée. Six limites ont déjà été dépassées en raison de l’activité de nos sociétés surconsommant les ressources et l’énergie : le changement climatique, l’intégrité de la biosphère (biodiversité), la perturbation des cycles biogéochimiques du phosphore et de l’azote (entrainant une dégradation des milieux aquatiques), l’accumulation de nouvelles entités (molécules chimiques, polluants, etc.) dans l’environnement, la transformation des milieux terrestres (causée principalement par la déforestation), l’eau verte (précipitations, humidité des sols, etc.).
La consommation d’eau douce, l’acidification des océans et la destruction de l’ozone stratosphérique sont considérées comme étant encore sous la limite.A. Tanner et al., « Les limites planétaires et la santé », Santé et environnement. Vers une nouvelle approche globale, RMS Éditions, 2022, www.revmed.ch.
- M. Romanello et al., “The 2024 report of the Lancet Countdown on health and climate change: facing record-breaking threats from delayed action”, Lancet, 2024 Oct 28.
- O. Hänninen et al., EBoDE Working Group, “Environmental burden of disease in Europe: assessing nine risk factors in six countries”, Environ Health Perspect, 2014 May;122(5).
- Sciensano, Déterminants de Santé : Qualité de l’air, Health Status Report, 25 mars 2024, www.belgiqueenbonnesante.be.
- European Environment Agency, Air Quality Health Risk Assessments (NUTS3), www.eea.europa.eu.
- K. De Troeyer et al., “Heat related mortality in the two largest Belgian urban areas: A time series analysis”, Environ Res,
2020 Sep;188. - N. Yin et al., “Impact of extreme weather events on the occurrence of infectious diseases in Belgium from 2011 to 2021”, J Med Microbiol, 2024 Jul;73(7).
- Plan d’action national belge « One Health » de lutte contre la résistance aux antimicrobiens 2020-2024, www.health.belgium.be.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°109 - décembre 2024
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