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New Deal pour la médecine générale, New Deal pour les maisons médicales ?

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Santé conjuguée n°103 - juin 2023

Le déséquilibre entre la demande et l’offre impose de revoir le modèle organisationnel de la médecine générale. C’est dans ce contexte que le ministre fédéral de la Santé a lancé en juin 2022 le New Deal pour la médecine générale. Plusieurs chantiers pour répondre à des questions telles que la surcharge administrative, la planification des ressources humaines, l’organisation de la permanence de soins et une réflexion sur un nouveau modèle organisationnel et de financement permettant à la médecine générale d’affronter les défis à venir que sont, entre autres, le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques.

Les travaux de réflexion dédiés aux aspects organisationnels et financiers se sont déroulés de septembre 2022 à février 2023, alternant recours à la littérature et études de cas d’autres systèmes de santé, demande de positionnement des organisations et prise d’avis auprès des acteurs de terrain à travers des focus groups et une enquête en ligne. À dessein, le groupe de travail a abordé le modèle de financement, après avoir abordé successivement les missions attendues d’une pratique de médecine générale (MG), le lien à définir entre cette pratique et le patient/patientèle et le type de collaboration avec certains profils professionnels qui pourraient venir soutenir le médecin généraliste dans ces missions de première ligne. Un rapport reflétant les discussions a été présenté à la commission nationale médico-
mutualiste, organe principal de concertation de notre système de santé1. La suite est confiée à un groupe de travail technique pour déterminer les contours réglementaires et financiers terminaux avant de passer à une phase de monitoring sur un échantillon restreint de pratiques dès 2024.

Retours de terrain

Les focus groups se sont déroulés dans onze groupes locaux d’évaluation médicale (GLEM) répartis sur le territoire et qui réunissaient les différents modes de pratiques et un nombre minimal de jeunes généralistes. Chacun a discuté deux sujets : les modalités de collaboration au sein de pratiques de médecine générale pour répondre aux défis à venir et les modalités de financement actuelles et leur modulation éventuelle à l’avenir. Les participants ont évoqué la collaboration nécessaire avec des profils secrétariat/accueil et le profil infirmier au sein même de pratiques de médecine générale, en avançant les avantages de l’internalisation/intégration : connaissance interpersonnelle entre professionnels et avec les patients permettant la confiance, développement de protocoles internes de collaboration et délégation. Les tâches souhaitées de la part du professionnel infirmier concernaient le suivi de patients avec maladie chronique stable, la réalisation de certains actes techniques simples, le tri de la demande de soins et, au niveau de la patientèle, l’organisation d’actions de prévention et la gestion du matériel médical. Les autres profils professionnels étaient davantage évoqués pour répondre aux besoins selon le contexte, aux exigences et nécessités de choix d’un professionnel pour des raisons relationnelles (psychologue) ou professionnelles (kinésithérapeute spécialisé dans un domaine).
Les participants ont livré un regard critique sur les différents modes de financement actuels. Le système de paiement à l’acte récompense celles et ceux qui travaillent plus et valorise aussi une certaine disponibilité. Il permet une certaine flexibilité par la modulation directe des revenus en lien avec l’activité. Sous sa forme actuelle, il est adapté aux situations simples, pour des contacts de courte durée. Le mode de paiement à la capitation est mieux adapté quant à lui pour les situations complexes. Il permet la proactivité pour les actions de prévention et reconnait les activités de coordination en dehors du contact. Il octroie au prestataire une flexibilité d’allocation des ressources, incluant aussi la délégation de certaines tâches. Aucun mode n’est vertueux en soi : chacun peut aboutir à une certaine sélection de patientèle et modifier l’offre de soins à l’encontre des besoins réels du patient pour augmenter les gains du prestataire.
L’enquête de terrain a été proposée à tous les généralistes du pays. Les 2453 répondants étaient en majorité des pratiques de groupes monodisciplinaires à l’acte de près de trois médecins et partageaient près de 1000 dossiers médicaux globaux (DMG)/pratique ; 12 % des répondants travaillaient au forfait. Les principaux obstacles à l’embauche d’un collaborateur sont l’insuffisance de ressources financières et d’espace. Si la majorité des répondants sont satisfaits de la situation actuelle, 70 % sont prêts à envisager un autre mode de financement sous certaines conditions ; les freins évoqués sont la perte de revenus et le la charge administrative. Soumis à différents scénarios, trois évolutions étaient davantage plébiscitées : une délégation de tâches à un professionnel infirmier permettant une réduction de la charge de travail ou permettant des consultations plus longues ou une augmentation de la patientèle.

Proposition

Une proposition a été formulée au terme de ces travaux. En voici quelques éléments saillants.
La reconnaissance d’une pratique New Deal pour un seul MG ou un groupe de MG pratiquant sous le même toit ou en réseau, avec partage de dossiers et outils d’intégration (logiciel commun, réunions de concertation, nécessairement tous accrédités).

  • Un modèle de financement mixte, alliant une part plus importante de forfait à la capitation (type DMG), et un maintien de la part de financement à la prestation avec la même nomenclature. Les proportions capitation/prestation devraient être globalement équivalentes, avec des variations possibles selon le profil de patientèle et le niveau d’activité de chaque pratique. L’objectif est de viser au minimum un maintien du revenu moyen par prestataire pour les pratiques qui effectueraient la transition d’un mode de financement vers un autre.
  • Un forfait par patient pondéré selon un nombre limité de critères corrélés à la demande en soin (âge, statut BIM), suffisamment simples pour les MG et les organismes assureurs. Le versement pluriannuel devrait faciliter la planification et éventuellement l’embauche de professionnels de soutien.
  • Une relation de soins formalisée entre un patient et son MG, respectant le choix du patient et du prestataire. Des tarifs de consultation dits « passants » permettent aux patients d’avoir des contacts avec des MG en dehors de cette pratique (second avis), et aux MG de la pratique de prendre en charge des situations temporaires hors patientèle régulière (remplacement de collègues dans le quartier, touristes, pensionnat ou enfants en garde alternée).
  • L’option d’intégrer un professionnel infirmier pour des activités spécifiques. Le financement de ce professionnel est découplé des financements à la prestation et à la capitation. Ces activités spécifiques ne seraient pas rémunérées par la nomenclature infirmière actuelle et donc ne rentreraient pas en compétition avec les infirmiers de soins à domicile. Une taille de patientèle minimale est en discussion pour faire valoir cette prime de collaboration facultative.
  • La reconnaissance d’un temps de travail pour la gestion de la pratique, à partir d’un nombre défini de professionnels, qui peut être soit attribué à un MG ou à un professionnel dédié.

Impact sur le financement forfaitaire actuel. L’évolution du rapport prestation/capitation en tant que source de financement des pratiques à environ 50/50 semble témoigner d’une certaine reconnaissance par la profession de l’apport du financement forfaitaire. Le modèle New Deal comporte plus de passerelles avec le système à la prestation et pourrait faciliter la cohabitation des deux modèles en permettant la solidarité entre pratiques de financements différents d’un même territoire. L’aspect hermétique de la pratique forfaitaire actuelle a peut-être joué en défaveur de l’acceptation de ce modèle par les autres prestataires2.
Là où la part du forfait infirmier dans le modèle de capitation actuelle comprend les activités en cabinet et les soins au domicile, la nouvelle proposition considère un financement de la pratique pour les activités en cabinet, indépendant de la nomenclature existante. Cette évolution pourrait inciter à discuter d’une revalorisation du forfait infirmier actuel, afin d’inclure cette composante essentielle, mais sous-valorisée, du rôle infirmier.
Des dérives « rentabilistes » du modèle forfaitaire observées sur le terrain limitent l’accessibilité de la pratique pour les patients et relaient davantage à la deuxième ligne. Le maintien de la part « prestation » dans le financement global d’une pratique valorise financièrement le maintien d’une disponibilité minimale et une charge de travail élevée. On peut toutefois regretter que ce ne soit que par ce biais du financement de la prestation qu’est garantie la disponibilité/accessibilité horaire de la pratique et non par un engagement déontologique plus fort ou un encadrement légal plus contraignant.
Il se peut in fine que ce nouveau modèle représente un attrait pour des praticiens à l’acte et grossisse les rangs des défenseurs d’un mode de financement plus conséquent à la capitation. Il se peut aussi que l’attrait concerne des MG déçus par le forfait « intégral » et vienne « siphonner » le réservoir, déjà dans le rouge, des MG en maisons médicales.

Impact sur le modèle pluridisciplinaire des maisons médicales. Le modèle New Deal ouvre davantage la porte à la collaboration, notamment avec le professionnel infirmier, pour la médecine générale. C’est tout un champ de compétence infirmière sous-valorisé par la nomenclature actuelle qui est remis à l’avant-plan et qui permet l’upgrade de la pratique de première ligne vers des objectifs plus ambitieux3. Ce n’est peut-être qu’un petit pas à l’échelle de la profession infirmière, mais il s’agit d’une évolution considérable pour la profession de médecin généraliste. Le modèle New Deal reconnait finalement une spécificité du professionnel infirmier au sein d’une pratique de MG et distingue ce profil de celui d’infirmiers en soins généraux. Pour répondre à cette nouvelle demande, il reste le choix d’adapter l’existant ou de créer une nouvelle filière de formation. Ce processus peut participer à la reconnaissance et la valorisation de l’infirmier en maison médicale au sein des équipes.
La question de la composition de l’équipe de base pour la pratique New Deal (accueil-médecin-infirmier) rejoint celle proposée par d’autres systèmes de santé4 et contraste avec les compositions extensives des maisons médicales5. Le fait que le modèle New Deal ne concerne pas la triade complète médecin-kiné-infirmier (soins à domicile inclus) pourrait participer encore à une perception moins contraignante de ce nouveau mode d’organisation.
L’évolution vers une spécialisation de certaines professions de première ligne (kiné, psy) met en tension le modèle actuel. Faut-il s’adapter à cette tendance, comme semble le faire le modèle New Deal ou défendre un retour à un généralisme positif, assumé et intégré pour ces professions au sein des équipes de maisons médicales ?
La question de l’accessibilité de la MG touche tous les types de pratiques des territoires qui y sont confrontés et ce n’est pas qu’au niveau des pratiques New Deal que la question de l’accessibilité sera traitée et résolue. Les maisons médicales peuvent-elles prendre en charge davantage de patients ? La question de la taille idéale, voire optimale, de la patientèle est à traiter en incluant la taille et la composition idéale d’une équipe, en fonction de ce qui est attendu d’elle dans le territoire dans lequel elle s’implante. La réorganisation des pratiques ne pourra pas à elle seule répondre à la question de l’accessibilité. Toutefois, via la collaboration avec d’autres professionnels et une attribution des tâches selon le meilleur niveau de compétence nécessaire, il est possible d’envisager un accroissement de la capacité de prise en charge des futures pratiques de première ligne6.
Si ce New Deal propose une troisième voie qui semble être une évolution nécessaire du paysage belge, elle ne représente pas réellement une révolution des soins de première ligne. Elle remet en débat, au niveau des professionnels de terrain et des décideurs, les fondements de son financement et de son organisation.

  1. Vers un New Deal pour le financement et l’organisation de votre cabinet de médecin généraliste,
    www.inami.fgov.be.
  2. Le taux de consultation hors pratique devra faire l’objet d’un monitoring comme possible indicateur de shopping médical (côté patient) ou de disponibilité réelle des MG (côté pratique).
  3. Cela rejoint presque en tout point les conclusions de la recherche-action CoMInG : collaboration entre médecins et infirmiers de la première ligne de soins en Wallonie, J.-L. Belche, M. Karam, A. Crismer, https://orbi.uliege.be, 2019.
  4. J.-L. Belche, A. Sousa, « Regards croisés entre le Portugal et la Wallonie », Santé conjuguée n° 73, décembre 2015.
  5. 7,55 fonctions différentes en moyenne dans les maisons médicales de la FMM-CSF (Tableau de bord 2019).
  6. Le modèle français des infirmiers et infirmières ASALEE estime à 10 % cet accroissement issu de cette collaboration avec les MG. Ch. Loussouarn et al., « Impact de l’expérimentation de coopération entre médecin généraliste et infirmière ASALEE sur l’activité des médecins », Revue d’économie politique, 2019/4.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°103 - juin 2023

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