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Pratique diversifiée en médecine générale : menace ou opportunité ?


Santé conjuguée n°103 - juin 2023

En 2013, en Belgique, des médecins ont risqué de perdre leur agrément sous prétexte qu’ils n’exerçaient plus la médecine générale omnipraticienne à titre principal et qu’ils ne participaient pas à la garde1. Il s’agissait de généralistes engagés à temps plein dans les centres de planning familial, dans les centres pour usagers de drogues et à l’ONE, entre autres. Le GBO/Cartel a pris leur défense, convaincu qu’avec ces pratiques parfois appelées « de niches », ils avaient un rôle très important à jouer au sein de la première ligne de soins ensemble avec les « omnipraticiens » à temps plein.

La liste est longue des activités exercées par des médecins généralistes en Belgique, partiellement ou en lieu et place de la pratique « omnipraticienne ». On peut citer l’ONE, la médecine du travail, la médecine du sport, la médecine d’urgence à l’hôpital, l’activité de médecin coordinateur en MRS, l’homéopathie et autres pratiques non conventionnelles, la médecine en milieu carcéral, la médecine en institution psychiatrique ou de revalidation, en gériatrie hospitalière, en médecine scolaire, en planning familial, la médecine d’assurance, la médecine d’expertise, les médecins-conseils des mutuelles, les médecins au sein des administrations sanitaires, le syndicalisme médical, l’ostéopathie, la médecine au sein d’organes de recherche, en santé publique, les soins en centres pour usagers de drogues, les soins au sein d’ONG humanitaires en Belgique ou ailleurs, la médecine militaire, la médecine esthétique, la médecine nutritionniste et probablement d’autres encore.

Un manque de données

Le cadastre établi au niveau fédéral, certes de plus en plus précis sur le nombre d’équivalents temps plein (ETP), ne dit rien sur les activités professionnelles exercées en dehors des activités de médecine générale. Ni le très récent rapport sur l’analyse de l’emploi du temps des médecins généralistes1 ni le suivi de la force de travail des médecins2 du SPF Santé publique publié en avril 2023 ne décrivent ces activités « autres ». Le travail de suivi du cadastre des généralistes wallons réalisé par l’AViQ chaque année depuis 2016 avec la collaboration des cercles de médecine générale wallons ne peut fournir de données à ce sujet. L’AViQ reconnait d’ailleurs cette lacune : les médecins qui ont une pratique mixte sont inclus au prorata des demi-journées de pratique de médecine générale classique. Ne sont pas repris dans ce cadastre les médecins généralistes en formation, pensionnés ou radiés, ceux qui à temps plein exercent une autre activité médicale que la médecine générale classique, ceux qui exercent en hôpital, ceux qui étaient en arrêt de travail pendant l’année concernée…
Dans un article prophétique paru dans Santé conjuguée en 20093, Philippe Vandermeeren, alors président du GBO, questionnait déjà la valeur à attribuer aux chiffres de médecins généralistes dits « actifs ». Le problème n’est donc pas nouveau. Pourtant, des données concernant les activités professionnelles autres que la médecine générale exercées par les généralistes sont absolument nécessaires si on veut disposer dans les prochaines années de la force effective en médecine générale omnipraticienne. Une donnée indispensable en matière de planification de l’offre.
Qu’on le veuille ou non, tout indique que les pratiques en médecine générale continuent de se diversifier. Dans quelle mesure ? Aujourd’hui plus qu’hier ? Impossible de répondre sans une analyse plus poussée. Ces données sont indispensables à des fins de planification de l’offre (calcul des besoins en ETP), mais aussi pour mieux appréhender l’attractivité en médecine générale. Car diversifier sa pratique dit sans doute quelque chose sur l’attrait du métier à temps plein pour les générations actuelles et futures. Le paradoxe, c’est que pendant que la médecine générale peine à grossir ses troupes, d’autres structures de soins ou institutions cherchent désespérément des généralistes (centres de planning, mutuelles, administrations publiques ou l’institution pénitentiaire, pour ne citer qu’eux). Ce dernier constat est également préoccupant et mériterait qu’on s’y intéresse de plus près. Enfin une définition plus explicite de ce qui constitue un ETP en médecine générale en termes d’heures prestées et d’activités (cliniques et autres) s’impose. On pourrait parler du paquet minimum d’activités. Le risque est réel que faute de cette définition du métier, celui-ci pourrait à terme trop se diversifier et perdre sa fonction première.

 

La position du GBO/Cartel4

La mise à jour du 31 octobre 2017 de l’arrêté ministériel fixant les critères d’agrément des MG du 1er mars 2010 stipule que « le médecin généraliste agréé est tenu de maintenir et de développer ses compétences pendant toute sa carrière par une formation pratique et scientifique », condition unique pour garder son agrément. Le GBO/Cartel a œuvré pour cette nouvelle version de 2017, moins restrictive que la précédente. Il s’agissait de permettre aux généralistes de maintenir leurs choix de développer des activités spécifiques, utiles à la première ligne, sans perdre leur agrément.
Parmi ces médecins, deux catégories à distinguer :
– Ceux qui travaillent véritablement en première ligne. Ces pratiques offrent des réponses à des besoins curatifs et/ou préventifs. Il faut les reconnaitre et trouver la meilleure articulation possible entre elles et la médecine générale omnipraticienne. D’autant plus que de nombreux généralistes diversifient leurs activités en cumulant les activités curatives et préventives. Le GBO/Cartel insiste pour que ces médecins exercent au moins de façon partielle en médecine omnipraticienne au minimum 50 % ou en groupe pour garantir la continuité des soins omnipraticiens.
Il est nécessaire de séparer les pratiques de niveau 1,5 de la médecine omnipraticienne niveau 1 pour évaluer les sous-quotas nécessaires et les budgets y afférents avec justesse. Pour ces généralistes de la ligne 1,5, il faut : 1. Préserver pour tous le titre de médecin généraliste, qui est inaliénable ; 2. Nommer ces médecins généralistes sous le vocable de « médecins de prévention et/ou d’institutions » et les différentier de la médecine générale de niveau 1, dans les calculs de quotas et dans les budgets y afférent ; 3. Créer un code spécifique pour cette catégorie de médecins. Cela permettra la distinction avec les médecins généralistes agréés « omnipraticiens », nécessaire pour l’établissement d’un cadastre des différentes activités ; 4. Instaurer une procédure de récupération de l’agrément sur simple demande pour tout médecin ayant cessé toute activité pendant moins de cinq ans. Si l’arrêt a duré plus longtemps, la procédure de récupération par une formation théorique et pratique supervisée ne doit pas durer plus de trois à six mois. Les termes et la procédure de « ré-agrément » doivent être rendus officiels et opérationnels dans les plus brefs délais ; 5. Promouvoir la mixité de leurs activités pour réintégrer ces médecins au sein de la médecine générale omnipraticienne.
– Ceux qui travaillent en deuxième ligne. Dans cette catégorie, on trouve des généralistes actifs dans les hôpitaux, pour combler des fonctions qui devraient être occupées par des internistes généraux ou des urgentistes. Des conditions d’exercice confortables ou une rémunération intéressante constituent des attraits qui incitent certains à diminuer voire à abandonner leur activité de médecine générale. C’est l’un des plus gros facteurs d’appauvrissement de la première ligne. Leur engagement dans des services de gériatrie ou certains services psychiatriques participe à cet appauvrissement. Le GBO refuse l’organisation structurelle de cette hémorragie qui touche l’offre en médecine générale et exige que ce groupe de médecins relève du quota des spécialistes. Par ailleurs, continuer de promouvoir la spécialité de l’interniste général doit être prioritaire.

  1. Rapport : analyse de l’emploi du temps des médecins généralistes, SPF Santé publique, avril 2023. www.health.belgium.be.
  2. Suivi de la force de travail médecins. Nouveaux éléments et impact Covid-19 pour déterminer les quotas Médecins 2029-2033, SPF Santé publique, avril 2023.
  3. Ph. Vandermeeren, « Cadastre des médecins généralistes : réaction du Groupement belge des omnipraticiens », Santé conjuguée n° 48, avril 2009.
  4. www.le-gbo.be.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°103 - juin 2023

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