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Introduction n°96


Santé conjuguée n°96 - septembre 2021

Depuis le début du XXe siècle, sous la pression de luttes sociales de grande envergure et en vertu du principe de la mutualisation des risques sociaux (maladie, vieillesse, famille et emploi), des assurances sociales obligatoires se sont mises progressivement en place, en rupture avec les principes libéraux qui prévalaient jusqu’alors (responsabilité individuelle, protection de la propriété privée…). L’état s’est alors mis au service de chacun plutôt qu’au service des seuls propriétaires de capital.

Au-delà de la protection sociale

On aurait pourtant tort de restreindre l’État social à sa dimension de protection sociale. L’État social a une ambition bien plus large, celle d’assurer un bien-être social « et non simplement, comme les libéraux le préconisent, de mettre en place un filet de protection minimale réservé aux plus démunis » [1]. En ce sens, nous pouvons considérer que l’État social repose sur trois piliers [2] :

- La protection sociale désigne l’ensemble des prestations sociales destinées à couvrir les risques sociaux (régime de la sécurité sociale financé en grande partie par les cotisations sociales des travailleurs et des employeurs) ou à éviter aux plus démunis de tomber dans la pauvreté (régime de l’assistance sociale financé par l’impôt).
- La régulation des rapports de travail qui englobe le droit du travail, la négociation collective et les politiques de l’emploi.
- Les services publics qui sont « les activités assumées par ou pour le compte de la puissance publique dans le but de satisfaire une demande sociale relevant, à un titre ou à un autre, de l’intérêt général »1 (l’éducation, la culture, l’énergie, les transports…).

En outre, trois dynamiques politiques activent ces piliers [3] :

- Des politiques de régulation (keynésiennes) qui visent le plein emploi grâce à la maitrise de la monnaie, du crédit et de l’investissement.
- Des politiques de redistribution qui visent la cohésion sociale au moyen du prélèvement de cotisations sociales et d’un impôt progressif.
- Des politiques de concertation sociale et de gestion paritaire des organismes de sécurité sociale entre les organisations d’employeurs et organisations de travailleurs qui régulent le conflit entre travail et capital.

Le néolibéralisme, nouveau programme de société

Durant les Trente Glorieuses (1945-1975), l’essor de l’État social et le maintien de la paix sociale bénéficient d’une croissance économique exceptionnelle rendue possible par la surexploitation des ressources naturelles, la colonisation et le patriarcat. Mais quand, dès la fin des années 1960, de nombreuses tensions éclosent (multiplication des conflits sociaux sur l’organisation du travail, création d’un système de taux de change flottants, chocs pétroliers de 1973 et 1979…) et fragilisent l’édifice institutionnel mis sur pied dans l’après-guerre, c’est une tout autre idéologie, prônant le libre-échange et la privatisation de la protection sociale, qui va progressivement s’imposer. Ainsi, depuis les années 1980, l’État social et les piliers qui le composent ont été affaiblis par la mise en œuvre de politiques néolibérales toujours plus violentes à l’égard de la population. Limitation des allocations de chômage et « activation » des demandeurs d’emploi, coupes dans les soins de santé et la justice, réforme des pensions, réintégration des malades de longue durée, flexibilisation des contrats de travail, lutte contre la « fraude » sociale, politique d’austérité généralisée…

Aucun pan de l’État social n’a été épargné

Pourtant, l’État social n’a pas disparu et reste le fondement de nos organisations sociales. Il fait accéder une grande partie de la population au bien-être, satisfait de nombreux besoins sociaux tels que la santé, l’éducation ou la mobilité et protège face aux risques sociaux. Plus récemment, il a permis d’absorber le choc de la pandémie de Covid-19 et de limiter les impacts socioéconomiques des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence pour endiguer la propagation du virus. De nombreux dispositifs de protection sociale (chômage temporaire, gel de la dégressivité des allocations de chômage, droit passerelle pour les indépendants, aide sociale complémentaire, etc.) ont permis au plus grand nombre de ne pas tomber dans la pauvreté.

Quelles atteintes ont été portées contre l’État social dans l’histoire récente ? Quelles en sont les conséquences ? Quelles sont les pistes pour réhabiliter l’État social, pour le renforcer voire le réinventer au regard des enjeux sociétaux contemporains ? Telles sont quelques-unes des questions qui traversent ce dossier et auxquelles une série d’acteurs et d’actrices issus du monde académique ou de la sphère associative tentent de répondre au départ de leur expertise respective.

Cette étude s’adresse aux (futurs) travailleurs du secteur social-santé qui sont les témoins « privilégiés » des attaques successives portées aux droits sociaux et de leurs effets sur les personnes qu’ils accompagnent dans le cadre d’une relation d’aide ou de soin. Elle s’adresse également aux citoyens qui s’interrogent sur l’avenir d’un système garant de la cohésion sociale.

 

[1Ch. Ramaux, L’État social. Pour sortir du chaos néolibéral , Mille et une nuits, 2012.

[2Collectif, Manifeste pour un nouveau pacte social et écologique. Quel État social pour le XXI e siècle ?, 2018.

[3Collectif, Manifeste pour un nouveau pacte social et écologique. Quel État social pour le XXI e siècle ?, 2018.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°96 - septembre 2021

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