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Soins de santé primaires et approche palliative

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Santé conjuguée n°100 - septembre 2022

Quarante ans après la conférence d’Alma-Ata sur les soins de santé primaires (SSP), l’Organisation mondiale de la santé s’est réunie en 2018 à Astana pour jeter un regard critique sur leur mise en œuvre à travers le monde et pour questionner leur actualité face aux contextes et enjeux contemporains. Pour pouvoir « satisfaire les besoins en santé de toutes les populations tout au long de la vie », la Déclaration d’Astana [1] intègre pour la première fois les soins palliatifs aux SSP. Retrouve-t-on cette approche dans l’organisation et l’offre de ces soins en Belgique ?

Les soins palliatifs sont généralement considérés comme globaux par essence. La législation belge [2] aussi situe l’accompagnement sur les « plans physique, psychique, social et moral », et depuis 2016 dans les dimensions existentielle et spirituelle, usuellement assimilées à la « quête de sens » [3]. Les soins palliatifs sont définis dans la loi comme s’adressant « au malade et à ses proches [afin de leur offrir] la meilleure qualité de vie possible et une autonomie maximale ». Ils peuvent inclure un soutien après le décès. Enfin, le concours de plusieurs disciplines est jugé d’« une importance capitale » afin d’agir globalement. La loi ne nomme pas l’interdisciplinarité en tant que telle, bien que sa nécessité soit acquise de longue date tant du côté des spécialistes des soins palliatifs que des SSP.

Conformément à l’intégration prônée dans la Déclaration d’Astana, la loi de 2016 prévoit que les soins palliatifs puissent être introduits progressivement et parallèlement à d’autres traitements. Les implémenter comme élément d’un continuum de soins est un changement de culture du côté des soignants et des patients, facilité par deux pratiques : la démarche de planification anticipée des soins (ACP, pour Advanced Care Planning) et l’identification précoce des patients via l’outil PICT (Palliative Care Identification Tool). Le PICT fait appel à l’intuition du médecin plutôt qu’à la notion d’espérance de vie et repose sur des critères d’incurabilité et de fragilité. Depuis 2018, c’est l’outil de référence pour déterminer si un patient entre dans le cadre légal des soins palliatifs [4]. Une large sensibilisation des publics est nécessaire afin de diffuser la culture palliative : ce travail continu est assuré par les plateformes de soins palliatifs et ponctuellement renforcé par des campagnes telles que « Bien plus que des soins » [5] ou « Palliapro » [6].

Accessibilité géographique et financière

La Déclaration d’Astana envoie un signal fort concernant l’accessibilité des soins palliatifs : ceux-ci ne sont pas réservés à une élite aisée, ils doivent être accessibles à toutes et tous à travers le monde et à tous les âges. En Belgique, les soins palliatifs sont organisés pour être dispensés à chaque échelon de la pyramide des soins de santé : sur le lieu de vie en première ligne, durant une hospitalisation avec l’appui de l’équipe mobile de l’institution, en unité de soins palliatifs. De cette manière, les patients accèdent au niveau de soins correspondant à leurs besoins, les soins palliatifs de première ligne étant a priori assurés partout sur le territoire.

L’accompagnement sur le lieu de vie répond à une logique de soins de famille. Ainsi, les thérapeutes habituels du patient sont habilités à dispenser les soins à travers toutes les périodes de la vie, y compris en situation palliative : le médecin traitant et l’infirmière [7] à domicile ou les soignants de la maison de repos forment les piliers de l’équipe interdisciplinaire qui assure les soins et le soutien quotidiens du patient. Dans les situations complexes ou lorsque l’équipe a besoin d’un appui, une équipe d’accompagnement multidisciplinaire (EAMSP) [8] se joint au groupement afin d’apporter son expertise et ses moyens spécifiques.

Les soins palliatifs à domicile font l’objet d’une aide pratique et financière : le statut palliatif. Celui-ci couvre notamment une partie des frais liés au maintien à domicile (médicaments, matériel de soins, aides à domicile…), active le remboursement de l’oxygénothérapie et majore la rémunération des infirmières pour valoriser le temps investi et la disponibilité. Il est cependant limité aux situations terminales (pronostic de trois mois maximum) et repose essentiellement sur des critères de dépendance. Malgré ces aides substantielles et le remboursement complet de la plupart des prestations de soin, le coût d’un tel accompagnement peut représenter une limite d’accessibilité majeure, en particulier lorsqu’une présence permanente est requise et que l’entourage ne peut ou ne souhaite pas assurer cette fonction. Les infirmières à domicile passent rarement plus de deux à trois fois par jour et la majorité des foyers n’ont pas les moyens de financer la présence de garde- malades. Il existe des possibilités de congé pour libérer les proches de leur emploi, mais elles sont limitées dans le temps et les compensations de la perte salariale sont souvent trop faibles pour que cette option soit viable.

Concernant les soins palliatifs pédiatriques (SPP), il existe six équipes de liaison belges. Une étude suggère que seul 1,7 % des enfants hospitalisés pour une maladie chronique complexe dans un hôpital avec unité pédiatrique ont été référés vers une équipe de SPP [9]. D’autre part, les parents deviennent des aidants proches lorsque leur enfant est soigné à domicile, impliquant souvent une perte de revenus pour le parent qui renonce à son activité professionnelle (la mère dans 80 % des cas). Ceci va de pair avec un risque réel d’épuisement parental, d’où la nécessité d’offrir des séjours de répit. La Belgique ne compte que trois maisons de répit pédiatriques avec de longues listes d’attente, et il n’existe aucune unité hospitalière de SPP.

Acceptabilité

La plupart des patients souhaitent rester à domicile le plus longtemps possible. Selon les cultures et les individualités, les modalités de ce maintien et la volonté ou non de décéder chez soi varient grandement : quelle implication de l’entourage dans les soins ? Quelles priorités pour le patient durant cette période ? Quelle orientation souhaite-t-il donner à ses soins ? Ces questions peuvent être adressées à travers l’ACP, une démarche de partenariat patient qui se veut continue et interdisciplinaire. Parmi les facteurs facilitant l’introduction précoce des soins palliatifs, une revue systématique de la littérature soutient que, « fort de sa relation privilégiée avec son patient, le médecin de famille possède une place de choix pour initier [cette] discussion ». Le fait d’aborder le sujet des soins palliatifs le plus tôt possible dans le parcours de soins « de manière précoce, voire au moment du diagnostic [d’une maladie chronique] » et « en dehors des périodes aiguës » [10] permettra d’en augmenter l’acceptabilité en assurant une adéquation maximale des soins au regard des besoins, souhaits, valeurs et croyances du patient.

La capacité de l’équipe de soins à assurer un maintien à domicile le plus long possible et un niveau de qualité satisfaisant dépend en très grande partie du travail des infirmières. « Connaître le patient » est un prérequis essentiel à la dispensation de soins infirmiers palliatifs efficients, ce qui désigne l’infirmière communautaire comme candidate idéale. Parmi les facteurs principaux favorisant l’établissement d’une relation positive dans un contexte de soins palliatifs, citons : commencer très tôt les visites à domicile, limiter le nombre d’infirmières impliquées afin de préserver la continuité des soins, établir tôt un contact avec l’entourage, maintenir un contact régulier et investir suffisamment de temps auprès du patient pour considérer le soin au-delà des besoins physiques. Une bonne connaissance du patient et de ses proches conditionne la qualité des soins, assure que le patient sera considéré dans son individualité, améliore l’aide à la prise de décision et facilite la préparation du patient et de son entourage à ce changement de trajectoire dont l’aboutissement est la mort [11].

On voit ici que si la dispensation de soins palliatifs à domicile implique toujours une équipe interdisciplinaire, être accompagné de son médecin et de son infirmière de famille représente un atout majeur. N’oublions cependant pas que les soignants n’occupent qu’une partie du tableau : en Belgique, le maintien à domicile de personnes dépendantes repose avant tout sur les proches. Moins par choix que par nécessité : cela pose question quant à l’acceptabilité tant pour ces patients que pour leur entourage.

Le stigma social lié au terme palliatif est encore très présent, particulièrement lorsqu’il s’agit de jeunes patients : il est inconcevable qu’un enfant ne puisse être guéri malgré les progrès médicaux, qu’il puisse mourir avant ses parents. De nombreux obstacles à l’acceptabilité sont liés à la méconnaissance des SPP : certains parents peuvent être très réticents à les initier, les liant davantage à la fin de vie qu’à la qualité de vie, et certains médecins ne réfèrent pas assez ou pas suffisamment tôt l’enfant vers des équipes de SPP.

Permanence et continuité des soins

Lorsqu’advient un épisode aigu, il peut être difficile pour une personne non impliquée (médecin de garde, ambulancier…) de prendre une décision rapide et adéquate. Le risque pour le patient est de subir un inconfort inutile (examens invasifs, aller-retour à l’hôpital, réanimation…) ou que l’on agisse à l’encontre de ses volontés. D’autre part, en situation de panique ou face à des décisions difficiles à prendre, le lien de confiance s’avère très précieux. Pour ces raisons, le statut palliatif prévoit que les interventions de garde soient réalisées par le médecin traitant lui-même ou par un « remplaçant éclairé ». Dans le même ordre d’idée, l’infirmière engagée auprès d’un patient sous statut est tenue d’organiser une permanence. Idéalement, les situations aiguës prévisibles ont été anticipées : des protocoles et médicaments sont présents au domicile, connus de l’infirmière, et celle-ci peut intervenir seule dans la majorité des situations. Le fait de pouvoir recourir dans le besoin à un soignant connu offre un effet sécurisant bienvenu dans une situation flottant sur un océan d’incertitude. Enfin, les EAMSP organisent une permanence qui intervient en deuxième intention : si l’équipe de première ligne s’est déplacée pour une urgence mais ne parvient pas à la résoudre, une infirmière spécialisée de garde lui prêtera main forte.

Une approche d’avenir

Le modèle que la Belgique applique dans l’organisation des soins palliatifs semble compatible avec la philosophie des SSP. De nombreux aspects d’accessibilité et de qualité des soins restent cependant à améliorer, tant à l’échelle macro qu’au niveau du terrain [12]. Par exemple : si les atouts des maisons médicales permettent de tendre vers d’excellents accompagnements palliatifs, la sous-traitance des soins par certaines structures – parfois inévitable pour les plus petites – en déforce la qualité, surtout en cas d’initiation des visites temporisée en attendant un état de dépendance physique, d’introduction tardive du statut palliatif ou de suivi infirmier fragmenté entre des prestataires internes et externes.

La Déclaration d’Astana considère la fin de vie comme une étape dans le parcours des personnes, avant d’être l’objet d’une spécialité de santé. Elle ouvre des perspectives sur une mort replacée au cœur de la vie, intégrée dans la santé du quotidien plutôt que reléguée à des lieux de haut savoir et, pourquoi pas, sur un « passage » pouvant être accompagné sans médicalisation systématique ? Elle nous renvoie aussi au défi que représente le futur des soins palliatifs (nouvelle définition, évolution de la pyramide des âges et de la survie aux maladies chroniques), tout en tenant compte des futures urgences de santé publique qui s’annoncent.

Les SSP pourraient nous guider vers des soins palliatifs durables tout en en réduisant les coûts, à condition que le financement des soins et aides à domicile soit plus important et que tous les professionnels de santé soient formés à une approche palliative de base. L’intégration des soins palliatifs aux SSP s’inscrit dans un tableau général où il est indiscutablement nécessaire de renforcer la première ligne de soins pour aller vers une meilleure résilience du système de santé.

[1Déclaration d’Astana, OMS, 2018, www.who.int.

[2Lois et arrêtés royaux du 14 juin 2002, 21 juillet 2016 et 21 octobre 2018 relatifs aux soins palliatifs.

[3A. Déglise, « Des besoins spirituels à la quête de sens », Médecine palliative : Soins de Support
- Accompagnement – Éthique, Elsevier, 2007.

[4A.R. du 21 octobre 2018, op cit.

[5www. bienplusquedessoins.be

[7Terme utilisé pour l’ensemble des professionnels infirmiers vu que parmi eux les femmes sont majoritaires en Belgique.

[8Aussi appelée équipe de deuxième ligne ou équipe de soutien.

[9M. Friedel et al., “Access to paediatric palliative care in children and adolescents with complex chronic conditions : A retrospective hospital-based study in Brussels, Belgium”, BMJ Paediatrics Open, 3(1), 2019.

[10Y. Reddah, Quels sont les obstacles à l’identification précoce des patients nécessitant des soins palliatifs, en médecine générale ?, mémoire de spécialisation en médecine générale, ULB, 2019.

[11K. A. Luker, “The importance of ’knowing the patient’ : Community nurses’ constructions of quality in providing palliative care”, Journal of Advanced Nursing, 31(4), 2000

[12Ces écueils entravent l’émergence du « connaître le patient », du lien de confiance, d’un projet de soins acceptable. Ils limitent l’accès aux aides financières et à la garde par un soignant connu, et ont un effet négatif sur la continuité et la globalité par la multiplication d’acteurs de même fonction.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°100 - septembre 2022

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