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La prise en charge des souffrances au travail en maison médicale


Santé conjuguée n°101 - décembre 2022

Cette étude s’ancre dans un travail empirique sur la prise en charge globale et interdisciplinaire des souffrances au travail des patients des maisons médicales. Dans cette troisième partie, nous présentons les objectifs, la question de recherche et la méthodologie à laquelle nous avons recouru. Puis, nous analysons les données recueillies auprès de travailleurs et de patients de maisons médicales.

Objectifs et question de recherche

Plusieurs constats nous ont amenés à explorer la question des souffrances au travail et de leur prise en charge en maison médicale. D’abord, celui de la croissance spectaculaire du nombre de travailleurs et travailleuses malades de longue durée en Belgique et du défi sociétal qu’il représente ; ensuite, le constat, avancé par la Société scientifique de médecine générale (SSMG), du nombre croissant – voire exponentiel – de consultations médicales liées au travail ; enfin, celui de l’angle mort entre la médecine générale et le monde du travail déjà mis en lumière dans le dossier intitulé « Travail et santé : droit, devoir ou incompatibilité ? » de la revue Santé conjuguée paru en 2017.
Cet état des lieux interpellant nous a poussés à questionner l’ampleur du phénomène et à comprendre ses causes au départ des situations de mal-être au travail rapportées par des patients et patientes des maisons médicales. Contrairement à la tendance qui consiste à surresponsabiliser et culpabiliser les personnes en souffrance physique ou psychique à cause de leur travail, nous souhaitions déplacer la focale et mettre en lumière les facteurs organisationnels (liés aux modes d’organisation du travail et aux nouvelles contraintes qui pèsent sur celui-ci) et sociétaux (liés au paradigme de l’excellence et de la performance imposé par les chantres du néolibéralisme dans le monde du travail et au-delà).
Pour ce faire, nous sommes allés à la rencontre de soignants et soignantes de maisons médicales, témoins « privilégiés » des effets du travail sur la santé physique et mentale des patients, quelle que soit la fonction qu’ils et elles remplissent dans ces lieux de soins.
La question de recherche qui a guidé notre travail se formule comme suit : au-delà du colloque singulier entre les soignants et les patients, quelle offre de soins globale (qui tient compte de l’ensemble des aspects médico-psychosociaux et environnementaux des problèmes de santé), interdisciplinaire (à la croisée des savoirs de multiples disciplines, en réponse à des situations médicosociales de plus en plus complexes) et collective (en collaboration avec le réseau de la maison médicale, à l’échelle du quartier et plus largement) dispensent les professionnels de santé des maisons médicales quand des patients et patientes leur rapportent des souffrances au travail ? D’autres sous-questions ont structuré cette étude : quelle place les soignants accordent-ils au travail dans leurs contacts avec les patients ? Quels liens font-ils entre le travail et la santé ? Posent-ils la question du travail et des conditions de travail ? Comment se représentent-ils la pénibilité des métiers de leurs patients ? Quelles évolutions des impacts du travail sur la santé observent-ils et comment les expliquent-ils ?
Nous souhaitions également prendre connaissance des éventuelles démarches collectives et communautaires déployées dans les maisons médicales qui, complémentairement à la nécessaire prise en charge individuelle des souffrances au travail vécues par les patients, visent à agir à plus large échelle sur cette problématique.

Méthodologie

Au cours de l’année, la question des souffrances au travail a été dépliée à travers d’autres dispositifs destinés tant aux travailleurs et travailleuses de maisons médicales ainsi qu’à un plus large public. Dans un premier temps, nous sommes allés à la rencontre des premiers et premières concernés pour explorer, puis délimiter notre objet de recherche. Cela a pris la forme de :

  • trois opérations « porteurs de paroles » dans l’espace public et à l’assemblée générale de la Fédération du 24 mai 2022. Elles ont permis une phase de « prise de température » par l’équipe d’éducation permanente à propos des représentations partagées et des réalités vécues auprès de travailleurs de maisons médicales et d’habitants du quartier, à proximité du centre de santé du Miroir à Bruxelles et de la maison médicale des Arsouilles à Namur ;
  • deux ateliers thématiques sur le burn-out proposés dans l’intergroupe carolo des maisons médicales visant notamment à identifier les acteurs qui interviennent sur les souffrances au travail et analyser leurs (potentielles) interactions ; et un atelier lors de la plénière des maisons médicales du 30 mars 2022 visant à mettre en lumière les leviers et manquements dans les prises en charge des souffrances des patients ;
  • cinq représentations d’une pièce de théâtre-action suivies d’un débat sur le burn-out à Bruxelles, Namur, Liège, Charleroi et Marche-en-Famenne.

Dans un deuxième temps, nous avons enrichi notre recueil de données empiriques de lectures théoriques pour creuser les causes organisationnelles, institutionnelles et sociétales des souffrances au travail, à travers des séances d’arpentage (une méthode de lecture collective issue de la culture ouvrière de la fin du XIXe siècle) de deux ouvrages. L’un faisait le lien entre les mécanismes psychologiques et le capitalisme (Le capitalisme paradoxant de Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique1) ; l’autre alliait théorie, état des lieux des actions non curatives pour éradiquer les souffrances au travail et témoignages en cabinet de médecins généralistes (Docteur, je vais craquer ! de Staf Henderickx et Hans Krammisch2). Les discussions qui ont suivi ont nourri une partie des questionnements et analyses repris dans cette étude. Enfin, pour recueillir les données exposées, nous avons recouru à une méthodologie qualitative et réalisé dix entretiens semi-directifs avec des soignants, des patients et d’autres acteurs et actrices disposant d’une expertise particulière sur la problématique des souffrances au travail. Plus précisément, nous avons réalisé :

  • six entretiens avec des équipes de soignants de maisons médicales carolorégienne, bruxelloises et liégeoises ;
  • un entretien avec des patients d’une maison médicale bruxelloise qui ont témoigné au départ de leur expérience d’un burn-out professionnel et d’une longue période d’incapacité de travail ;
  • trois entretiens complémentaires avec :
    – Jean-Marie Léonard, ancien permanent syndical dans la région de Charleroi puis secrétaire fédéral au SETCa (syndicat des employés, techniciens et cadres) de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB). Il s’investit actuellement dans l’Atelier Santé de Charleroi qui regroupe des travailleurs, des représentants syndicaux, des soignants et des chercheurs œuvrant à la promotion de la santé au travail au moyen de recherches-actions menées dans divers milieux professionnels (nettoyage, notamment) ;
    – Anne Burlet, coordinatrice du CITES (Clinique du stress et du travail) intégré à l’Intercommunale de soins spécialisés de Liège (ISoSL). Composé d’une équipe pluridisciplinaire, le CITES s’adresse à toute personne éprouvant des difficultés liées à son environnement professionnel. Ce centre propose une approche clinique individuelle et collective centrée sur une analyse des organisations du travail et vise à construire avec la personne (ou le collectif) des pistes de réflexion et d’action afin de retrouver un bien-être au travail ;
    – Rachel Carton, coordinatrice et conseillère en prévention aspects psychosociaux de l’Association bruxelloise pour le bien-être au travail (ABBET) et Coline Roulin, également conseillère en prévention aspects psychosociaux. L’ABBET a pour mission d’informer, de sensibiliser et d’accompagner les associations sans but lucratif bruxelloises reconnues par la Commission communautaire française (COCOF) et la Commission communautaire commune (COCOM) à développer leur politique de bien-être au travail par le biais de formations, d’analyses de risques, d’outils, etc.

Analyse des données recueillies

Dans cette section, nous analysons les témoignages collectés auprès de travailleurs et de patients des maisons médicales lors d’ateliers et d’entretiens collectifs réalisés tout au long de l’année 2022.

Le travail, une question centrale
en maison médicale

Bien qu’elles ne disposent pas de données chiffrées sur la proportion des consultations liées aux effets du travail sur la santé, les équipes que nous avons rencontrées témoignent de la place importante qu’occupent les souffrances au travail dans les consultations de médecine générale, de kinésithérapie et de psychologie ainsi que dans les contacts avec les accueillantes et les assistantes sociales. Un médecin d’une maison médicale carolorégienne note à cet égard : « Dans notre maison médicale, les patients rapportent beaucoup de situations de souffrance au travail. C’est du pain quotidien, du moins en consultations de médecine générale. » Les propos de sa collègue kinésithérapeute vont dans le même sens : « Nous constatons des liens entre la souffrance au travail et la souffrance physique à longueur de journée. Ça fait vraiment partie de notre quotidien dans les prises en charge de kinésithérapie, qu’il s’agisse de douleurs cervicales, de dos, etc. Nous voyons des patients qui se chronicisent dans leurs douleurs parce qu’ils vivent une situation compliquée au travail. »
Une kinésithérapeute d’une maison médicale bruxelloise observe quant à elle une aggravation du phénomène : « J’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus de souffrances liées au travail qu’avant. En tant que kinés, nous sommes souvent confrontés à une prise en charge de longue haleine, car, qu’elles soient psychologiques ou physiques, les douleurs sont souvent chroniques. » Son collègue, kiné aussi, rend compte des troubles d’origine professionnelle qu’ils prennent en charge : « Nous sommes souvent confrontés à des troubles musculosquelettiques, des tendinites, des douleurs diffuses, etc. Dans la majeure partie des cas, ces douleurs sont liées à l’activité professionnelle. Classiquement, ce sont des quinquagénaires du bâtiment qui consultent pour leur dos ou leurs genoux, des femmes de ménage et beaucoup de femmes au foyer qui, quand elles ont trois ou quatre enfants en bas âge, supportent une charge physique et mentale importante et présentent des troubles musculaires ou des lombalgies. »
Une psychologue d’une maison médicale liégeoise constate quant à elle une augmentation des pathologies anxiodépressives liées au travail, particulièrement dans le secteur social-santé : « J’ai l’impression qu’on reçoit de plus en plus de patients en difficulté dans des environnements très pressurant, spécifiquement dans de “gros” services tels que les CPAS, les mutuelles et les services hospitaliers. Ce sont des personnes qui veulent bien faire et se mettent une grande pression pour répondre aux demandes des usagers, mais qui sont dans des conditions qui ne permettent pas un travail adéquat, ce qui crée de la souffrance. »
Un kinésithérapeute d’une autre maison médicale liégeoise pointe aussi l’effet cyclique des souffrances au travail : « J’ai des patients qui ne se sentent pas bien au travail et chez qui les soins de kiné ne suffisent pas à solutionner leur mal-être. Il y a souvent un lien qui n’est d’ailleurs pas bien compris par les patients entre leur état physique et leur état psychique : si quelqu’un a par exemple des lombalgies chroniques depuis quatre ans, je soupçonne qu’il y a quelque chose qui ne se passe pas bien au travail ou à la maison. Ensuite, souvent, le patient change de travail et retombe dans les mêmes problèmes, comme si le système était répliqué tellement de fois ailleurs que le travailleur y retombera de toute façon à un moment donné. »
Si tous n’adoptent pas ce réflexe, certains soignants prêtent une attention particulière à la problématique du mal-être au travail, comme en témoignent les médecins d’une maison médicale carolorégienne : « Même si ce n’est pas de cela que se plaignent les patients, nous faisons souvent un lien entre leurs souffrances et leurs conditions de travail. » D’autres abordent systématiquement le travail lors de leurs consultations, à l’instar de cette infirmière d’une maison médicale bruxelloise qui veille à toujours prendre en considération l’occupation (professionnelle ou autre) du patient : « À chaque fois qu’un patient entre dans mon cabinet, la première question que je lui pose, c’est la raison qui l’amène et la deuxième concerne ce qu’il ou elle fait dans la vie, explique-t-elle. C’est une façon pour moi de m’intéresser à la personne dans sa globalité. » Et de préciser : « Il m’arrive même de fixer un nouveau rendez-vous à des patients qui souffrent de leur travail, en prétextant un contrôle de leur tension par exemple, pour parler plus longuement du problème vécu au travail et envisager une stratégie à mettre en place, un collègue vers qui l’orienter… »
Des accueillantes liégeoises constatent une certaine pudeur chez les patients à évoquer leurs souffrances mentales liées au travail : « Ce sont des maladies qui semblent assez honteuses. Vu qu’il ne s’agit pas d’un mal au bras ou de 40 degrés de fièvre, nous nous retrouvons face à des personnes qui sont assez mal à l’aise et qui peuvent fondre en larmes quand nous déplaçons leur rendez-vous ou quand leur médecin-référent n’est pas disponible. Nous détectons donc ces souffrances en filigrane. C’est très rare que des patients nous disent que ça ne va pas au travail. Nous avons l’impression qu’il y a une pudeur à en parler. »

Le certificat médical, un outil indispensable

De l’avis partagé des soignants et soignantes que nous avons rencontrés, le certificat médical représente un outil indispensable pour mettre un patient à l’abri d’un contexte de travail maltraitant. « Le certificat reste la première action à mettre en œuvre et parfois de manière urgente, rappelle un médecin généraliste d’une maison médicale carolorégienne, car le patient ne réalise parfois pas qu’il doit s’arrêter et s’évertue à continuer de travailler au péril de sa santé. »
Il n’empêche que le recours au certificat médical fait l’objet d’un débat parmi les soignants et au-delà du secteur des soins. « Il m’est arrivé de discuter avec des patrons d’entreprise qui sont effarés de la rapidité avec laquelle les médecins généralistes délivrent des certificats à des patients qui disent qu’ils ne se sentent pas bien au travail, poursuit le généraliste. Or nous travaillons sur base des déclarations du patient et nous sommes là pour le soutenir. » Il nuance et partage ses questionnements : « Cela dit, je pense qu’il arrive que des patients disent à leur patron que si les choses ne s’améliorent pas, ils vont “se mettre en burn-out”, ce qui ne veut absolument rien dire. Mais ce que cela reflète, c’est qu’il n’est pas si compliqué d’obtenir un certificat médical et que le système est bien fait puisqu’il protège les personnes. Il n’empêche que cela nous pose des questions : quelle est la place du certificat ? Fait-il vraiment du bien ? » Une psychologue d’une maison médicale bruxelloise s’interroge aussi sur la portée du certificat en tant que levier d’action sur la problématique des souffrances au travail : « Il arrive que des patients demandent plusieurs certificats sans parvenir à mettre en place des choses pour que la situation s’améliore à leur travail et on en vient à se demander si on les aide en optant pour ce type de solution. » Une médecin généraliste carolorégienne remet la balle au centre en rappelant l’une des balises de la médecine forfaitaire : « En maison médicale, nous avons l’avantage que les patients ne consultent que chez nous. C’est un des grands avantages du forfait : les patients ne vont pas demander des certificats à plein de médecins différents et nous voyons le nombre de certificats qu’ils ont. Cela dit, si un patient nous dit qu’il est en pleine souffrance alors que ce n’est pas vrai, nous le croirons sur parole. Nous savons que des patients n’exagèrent pas, d’autres pour lesquels nous avons un peu plus de doutes. Mais cela ne concerne pas la majorité des patients et ce n’est pas notre rôle de contrôler cela. Nous savons qu’il y a un médecin-contrôle qui assure cette fonction. »

Prise en charge interdisciplinaire

La prise en charge interdisciplinaire caractérise les pratiques de soins des maisons médicales. Et la problématique des souffrances au travail n’y déroge pas, comme l’expose une assistante sociale d’une maison médicale bruxelloise : « Nous collaborons souvent quand un patient rapporte des souffrances au travail. Soit les médecins viennent vers moi, soit je vais vers eux pour avertir ou mettre en lumière quelque chose. Ce sont des situations qui s’étalent sur plusieurs mois. Une fois que nous avons répondu à l’urgence de mettre la personne en sécurité sur le plan administratif et médical – car des patients ont parfois des idées noires –, c’est un long cheminement et traitement qui durent des mois et s’accompagnent d’échanges avec les soignants ou en équipe. C’est très important, car nous ne disposons pas des mêmes informations selon que nous sommes médecin ou assistante sociale. »
Un médecin généraliste carolorégien explique la façon dont se nouent les collaborations au sein de sa maison médicale : « Au niveau de la prise en charge, travailler seul sur des situations pareilles est assez compliqué. Je privilégie le travail en équipe en fonction des compétences des uns et des autres et réfère souvent vers la psychologue. » Il précise son propos : « Le travail interdisciplinaire renvoie à la question des compétences. Je joue ce rôle de premier lien et je réalise les premières démarches en vue de l’établissement d’un diagnostic. À cette étape, c’est important d’avoir le regard des accueillantes ou d’autres soignants tels que les infirmières, kinés ou psychologues pour être tenu informé de l’évolution de l’état de santé du patient. Et puis, interviennent le suivi et l’approche thérapeutique et, à ce niveau-là, je suis probablement moins bien formé que ma collègue psychologue pour prendre en charge un syndrome anxiodépressif par exemple. Quand la situation devient problématique, je ressens parfois le besoin d’orienter le patient vers la seconde ligne, vers un spécialiste tel qu’un psychiatre par exemple. »
Son collègue, médecin également, complète : « Toute l’équipe a un rôle à jouer, vu que chacun d’entre nous peut favoriser l’exercice des droits en fonction de ses connaissances. Nous avons une réunion médicale par semaine et nous discutons parfois en réunion pluridisciplinaire de situations plus compliquées. Mais, dans les faits, nous attendons rarement une réunion pour partager ce type de situations. Des informations peuvent s’échanger entre deux portes, lors d’une consultation… »
Dans la même équipe, une kinésithérapeute apporte une illustration concrète de leur travail en interdisciplinarité : « Nous observons dans la majorité des cas une combinaison de maux physiques et psychiques et nous essayons de le refléter progressivement aux patients parce qu’ils ont toujours l’impression qu’on leur annonce qu’ils sont fous ou qu’on minimise leurs douleurs physiques, comme si ces douleurs étaient dans leur tête. Nous sommes convaincus que ces douleurs sont présentes et qu’ils ont mal où ils le disent, mais qu’elles sont le reflet d’un stress plutôt que d’une lésion organique. D’où l’importance de pouvoir travailler en interdisciplinarité, car nous nous rendons compte que nous arrivons parfois à des limites thérapeutiques, là où un collègue va pouvoir agir sur la dimension psychologique ou sociale de la santé. Dès que nous réglons des problématiques en parallèle avec la problématique physique, nous observons souvent une meilleure action que si nous réglions uniquement l’une d’entre elles. Nous orientons donc souvent les patients vers l’assistante sociale ou la psychologue. »

Admettre l’origine professionnelle de sa souffrance

Plusieurs soignants constatent la difficulté pour certains patients à admettre l’origine professionnelle de leur mal-être, comme cette assistante en médecine générale d’une maison médicale bruxelloise : « Il nous arrive de recevoir des personnes qui se plaignent régulièrement de symptômes physiques comme des maux de ventre, des difficultés à s’alimenter, des troubles du sommeil, etc. et où l’on se rend compte qu’il y a probablement des difficultés d’ordre professionnel que les patients ont du mal à admettre. Dans ce cas, il faut entamer un travail de reconnaissance de cet état avec le patient et lui faire comprendre qu’il ne souffre pas d’une maladie grave, mais que sa situation professionnelle difficile peut occasionner des symptômes physiques que les examens cliniques et les visites chez les spécialistes ne révèlent pas. Ces situations génèrent parfois de la colère chez les patients et certains refusent même de revenir à nos consultations parce que les troubles psychosomatiques ont une connotation négative pour eux. »
Les propos d’un assistant social d’une maison médicale liégeoise vont dans le même sens : « Je décèle souvent de la détresse et un sentiment de culpabilité chez des personnes qui souhaitent continuer à travailler parce qu’elles ne reconnaissent pas leur état de souffrance. Il y a alors tout un travail à accomplir pour les aider à prendre conscience de leur état. Mais malgré les explications qu’on leur apporte sur les procédures existantes, c’est la panique à bord. » Sa collègue infirmière relève le poids de la culture dans le processus d’acceptation d’une souffrance mentale : « Dans certaines cultures, le fait d’être dépressif a une connotation négative. Des patients ne supportent pas ce statut et n’acceptent pas de recevoir de l’aide dans ce domaine ».
Une médecin généraliste bruxelloise éclaire la situation spécifique des personnes en situation d’épuisement professionnel : « Une difficulté se situe dans la prise en charge des personnes souffrant de burn-out. La première fois que je les rencontre, ce qui est difficile c’est que ces patients ne se rendent pas compte à quel point cette situation les impacte et qu’une semaine de repos ne va strictement rien changer parce qu’ils ne vont pas avoir le temps de prendre de la distance par rapport à leur travail. Donc en général je leur propose d’emblée un arrêt de trois semaines en leur expliquant que cette période devra peut-être être prolongée. Je dois parfois presque “imposer” trois semaines – s’ils ne le souhaitent pas, je ne vais évidemment pas les forcer – parce qu’ils ne réalisent pas à quel point ils sont épuisés. Les patients me remercient par la suite d’avoir été reconnus dans leur souffrance alors qu’ils ne la réalisaient pas. »

Continuer à travailler, quoi qu’il en coûte

Il arrive que des patients continuent à travailler au péril de leur santé en raison d’enjeux qui les dépassent ou d’une méconnaissance de leurs droits. Un médecin d’une équipe liégeoise met en lumière la situation particulière des ressortissants étrangers qui continuent à travailler malgré leurs souffrances au travail : « Parfois nous sommes face à des patients qui ne vont pas bien, mais qui ne veulent pas l’accepter parce qu’ils sont confrontés à des enjeux que nous ne percevons pas directement. Dans le secteur des maisons de repos par exemple, des personnes continuent à travailler sous une pression continue parce qu’elles doivent justifier trois années de travail chez un employeur pour obtenir un permis de travail B. Si elles changeaient d’emploi, elles devraient recommencer toute la procédure dans une autre structure. Il n’y a pas d’alternative. Et c’est un facteur sur lequel beaucoup de maisons de repos jouent. Ce sont des personnes qui refusent les certificats, quitte à être détruites par après, pour atteindre leur objectif. Et moi, je suis dans une position où, médicalement, je ne peux pas leur imposer un arrêt. »
Un patient en incapacité de travail de longue durée en raison d’un burn-out aurait arrêté de travailler plus tôt s’il avait été mieux informé : « Dans mon entourage, j’ai reçu de mauvaises informations sur mes droits sociaux. Je pensais qu’en démissionnant, je n’aurais pas droit à des allocations de chômage. Si j’avais eu de meilleures informations, j’aurais pris d’autres décisions. Je me serais arrêté de travailler et je ne me serais pas tant abimé. »

Accompagner dans la durée

« La temporalité est assez spécifique dans les problématiques de souffrance au travail », explique un médecin généraliste d’une maison médicale carolorégienne. « De manière globale, ce sont la plupart du temps des prises en charge qui courent sur une certaine durée, sans compter le délai qui s’écoule avant que les patients viennent nous consulter », ajoute-t-il. « Il y a une souffrance qui est déjà installée depuis très longtemps avant qu’ils consultent, surenchérit son collègue, médecin aussi. Souvent leur santé s’est détériorée depuis des mois voire des années, en tout cas en ce qui concerne les problèmes d’usure mentale. » Et de poursuivre : « Un des défis, c’est la durée de l’accompagnement et l’aspect médico-légal qui n’est pas confortable parce qu’il faut jauger la place de l’incapacité de travail et sa durée alors que nous ne sommes pas experts. »
Leur collègue assistante sociale appuie leurs constats : « Quand la personne ne va pas bien, les démarches administratives prennent aussi plus de temps et, par ailleurs, le travail avec la psychologue ne s’entame souvent qu’après le cheminement du patient par rapport à l’acceptation de ce type d’accompagnement. » Les soignantes et les soignants pointent également les difficultés financières engendrées par tout arrêt de travail de longue durée : « Les aspects financiers entrent aussi en ligne de compte et freinent la personne à accepter un arrêt de travail, poursuit l’assistante sociale. Souvent, les médecins discutent pendant plusieurs consultations avant de convaincre la personne d’accepter un certificat. La peur de perdre des revenus en passant “sur la mutuelle” après quelques semaines d’incapacité est fréquente dans notre patientèle. »
Une médecin d’une maison médicale bruxelloise confirme ce frein économique à la prise en charge médicale des souffrances au travail et l’illustre au départ d’une situation concrète : « Il s’agit d’une dame de 55 ans qui travaille en tant qu’employée administrative dans un CPAS. Elle a développé une tendinite du coude assez importante qui pour moi était clairement liée à la mauvaise posture au travail. À cela, s’ajoutait le sentiment de ne pas être à sa place et d’être harcelée par ses chefs. Elle n’en pouvait plus psychologiquement. Le problème, c’est qu’elle assure seule les revenus de son foyer et qu’elle ne voulait pas avoir trop de certificats d’incapacité de travail. Un arrêt de travail relativement court associé à de la kinésithérapie lui a permis de soigner sa tendinite. Mais ce qui était compliqué à gérer, c’était le fait que sa plainte était mixte et que son problème financier empêchait de prendre en charge la deuxième partie de sa plainte, car elle aurait eu besoin de prendre davantage de recul avant d’envisager une reprise du travail. C’est difficile de dire à un patient que sa santé passe avant l’argent. »
À ces difficultés économiques liées aux statuts de l’incapacité de travail et de l’invalidité, s’est ajoutée la problématique de l’allongement des délais de traitement des demandes dans un contexte de numérisation accélérée des services publics et d’intérêt général. L’assistante sociale d’une maison médicale bruxelloise en témoigne : « Ces derniers temps, et cela s’est accentué depuis la crise du covid, nous avons beaucoup de problèmes avec les syndicats et les mutuelles. S’ajoute aux problèmes de santé l’angoisse liée à la durée de traitement de la demande et sur laquelle je suis absolument inefficace. Je ne peux rien faire si ce n’est contacter ces institutions par mail ou téléphone. C’est une angoisse supplémentaire qui pourrait être évitée. Actuellement, les patients attendent trois mois pour obtenir une réponse de leur syndicat concernant l’obtention d’un revenu de remplacement. Vu le temps que prennent les démarches, nous demandons une avance remboursable au CPAS. Mais même le CPAS est défaillant. »

 

Le défi de la réintégration professionnelle

Une médecin généraliste d’une maison médicale bruxelloise met en lumière la difficile réinsertion socioprofessionnelle des personnes dont les qualifications sont peu valorisées.
« J’accompagne une jeune femme de 37 ans d’origine étrangère qui parle très peu le français et le néerlandais. Après de multiples étapes, elle a obtenu des papiers et a commencé à travailler dans le seul secteur qui s’offrait à elle, celui du nettoyage. Elle a décroché un emploi précaire dans une agence de titres-services et effectuait de nombreux déplacements pour se rendre chez les clients qui n’étaient pas pris en charge par la société qui l’employait. Très rapidement, cette dame – qui est en surpoids et a un diabète mal équilibré – a souffert de lombalgies qui la bloquaient complètement. J’ai été obligée de la mettre en arrêt-maladie de longue durée. Elle a commencé de la kiné, mais ça ne l’a pas vraiment aidée. Elle a repris le travail jusqu’à ce qu’elle n’y parvienne plus. Puis j’ai compris qu’elle ne reprendrait jamais son travail. Actuellement, elle est en incapacité de travail depuis trois ou quatre ans. La difficulté dans cette situation, c’est le manque de perspectives pour ce type de profil parce que c’est bien beau de dire qu’il est possible d’adapter le travail quand les patrons ne veulent rien entendre ou qu’elle peut s’orienter vers un autre secteur alors qu’elle n’a aucun diplôme reconnu et qu’elle maitrise à peine les langues. Que peut-elle faire ? Commencer une formation en langue, puis une formation professionnelle à 40 ans dans l’espoir d’obtenir un diplôme à 50 ans, en sachant qu’il y a peu d’offres sur le marché de l’emploi pour ce genre de personnes ? Cela revient à accepter qu’elle sera en incapacité de travail toute sa vie et que sa situation est bloquée. Et j’ai quand même pas mal de patients qui sont dans la même situation. Inévitablement, je pense que ça induit une persistance de ses plaintes douloureuses et que ça ne lui permet pas de sortir de ce syndrome douloureux chronique parce qu’elle n’a pas de perspectives. Je trouve qu’en tant que médecins, nous sommes vraiment bloqués.
Dans son cas, elle est devenue bénévole dans une maison de repos. Elle est suivie par un service social pour réaliser ses démarches administratives, mais au niveau de la remise à l’emploi il y a vraiment peu de perspectives. Nous avons introduit une demande de reconnaissance de handicap, mais elle n’a pas abouti, car son handicap ne génère pas suffisamment de perte d’autonomie pour obtenir les fameux 12 points. Si seulement les employeurs étaient capables de s’adapter un peu plus aux fragilités des gens, je pense qu’on pourrait remettre pas mal de monde à l’emploi. Il y a aussi toute la problématique du “reclassement” des gens qui n’ont pas 100 % de leurs capacités vers du travail adapté alors qu’il n’y a pas assez de places dans ce type d’entreprises. Si on augmentait les places dans ces entreprises, je pense que nous pourrions redonner un emploi à davantage de monde. Et si la société misait moins sur la surefficacité et pouvait accepter le fait qu’une personne vienne travailler alors qu’elle n’a que 50 % de ses capacités, nous n’en serions pas là. »
Notons que cette jeune femme exerce une activité bénévole en maison de repos qui n’est reconnue ni socialement ni économiquement comme du travail. Cet extrait nous invite à nous décentrer d’une conception du travail souvent limitée aux activités productives marchandes et à l’étendre en incluant des activités telles que le volontariat ou encore le travail domestique et l’aide apportée aux proches, deux autres illustrations de travail non rémunéré majoritairement réalisé par des femmes dans la sphère privée.

Reprendre le travail (trop) rapidement

La peur du licenciement suscite une angoisse largement partagée par les patients soignés en maison médicale et reconnus en incapacité de travail. Des employeurs perçoivent mal les arrêts de travail du personnel et n’hésitent pas à mettre la pression sur les employés pour qu’ils réintègrent rapidement leur poste en menaçant de les licencier. Plusieurs paroles de soignants éclairent cette réalité.
Un médecin d’une maison médicale carolorégienne détaille l’expérience d’une patiente : « J’ai récemment reçu une patiente qui était presque en pleurs dans mon cabinet en racontant que cela faisait une quinzaine d’années qu’elle travaillait dans la même entreprise de nettoyage – nous recevons beaucoup de femmes qui travaillent comme techniciennes de surface – et que c’était la première fois qu’elle était mise en arrêt de travail – ce qui est assez impressionnant dans ce secteur-là. Elle venait pour une douleur d’épaule. Elle s’était entretenue par téléphone avec son patron qui a remis en question la véracité de son certificat et lui a annoncé qu’il allait essayer de trouver un moyen pour la licencier. Elle était donc très inquiète à l’idée de perdre son travail et était très choquée de l’attitude de son patron alors qu’elle travaille avec cœur depuis quinze ans en essayant d’en retirer une estime de soi. »
Une autre médecin de son équipe confirme : « Souvent, dès que les patients remettent des certificats, leurs patrons s’inquiètent qu’ils ne puissent plus travailler et les menacent de les virer très rapidement. Dès qu’ils ont 45 ou 50 ans, cela devient très compliqué. En plus, ce sont des gens qui ne savent pas vraiment se réorienter vers un travail moins physique et c’est donc hyper anxiogène dès qu’ils atteignent un certain degré de douleur. »
Leur collègue infirmière appuie leurs constats : « J’ai déjà soigné des plaies, qu’elles soient postopératoires ou accidentelles, qui ont été provoquées par le travail ou sur le lieu de travail. Souvent les patients demandent combien de temps cela va durer. Ils sont très, très angoissés par rapport au temps d’arrêt qu’ils vont devoir respecter parce que l’employeur met directement la pression et harcèle vraiment les travailleurs en cas d’incapacité de travail. » Elle illustre ses propos de cas concrets : « Je me rappelle un patient qui s’est gravement brûlé – ce n’était pas une petite plaie – et il n’a pas attendu sa guérison pour retourner au travail. Il était donc en souffrance physique parce que son chef le harcelait et qu’il craignait d’être licencié. Cette problématique s’observe particulièrement chez les gens qui n’ont pas de qualification reconnue. Il est donc allé travailler avec une brûlure à la cheville dans de grosses chaussures de sécurité et c’était l’enfer pour que sa plaie guérisse, sans parler de la souffrance qu’il a subie. J’ai également soigné quelqu’un qui venait pour une complication d’une plaie postopératoire parce qu’il n’a pas voulu ou pu s’arrêter. La cicatrice s’est rouverte, il y a eu des complications et ça, c’est quand même assez courant. »

Des soignants parfois démunis

Les soignants rapportent un manque de connaissances et de formation sur la problématique des souffrances au travail, à l’instar de cette assistante en médecine générale exerçant au sein d’une maison médicale bruxelloise : « C’est parfois difficile de reconnaitre les souffrances au travail chez nos patients, même si cela fait partie de notre rôle de soignants de première ligne. Quand je décèle ce genre de souffrances, je me sens un peu démunie et pas toujours légitime d’aller bousculer les croyances de mes patients. C’est donc quelque chose qu’il faut apprendre à aborder, chose à laquelle nous ne sommes pas toujours formés au cours de notre formation en médecine générale. Il y a néanmoins des pistes partagées par des acteurs comme la Société scientifique de médecine générale. »
D’autres professionnels pointent l’absence d’une vue d’ensemble sur les situations de souffrance au travail vécues par leurs patients. Un médecin d’une maison médicale carolorégienne explique : « Ce sont des situations qui ne sont pas faciles en médecine générale parce que nous sommes tenus par notre relation thérapeutique avec le patient – nous ne sommes ni juges ni parties – sans avoir tous les éléments en main, ce qui donne parfois l’impression que des situations nous échappent. Ce ne sont pas des situations faciles à tout point de vue : le patient est en souffrance, nous ne disposons pas de toutes les informations utiles pour apprécier au mieux les situations et la question de la durée de l’incapacité de travail est également difficile à appréhender. » Sa collègue, médecin aussi, complète : « Nous n’avons que le point de vue de notre patient et des informations nous échappent, ce qui est particulièrement compliqué dans les situations de harcèlement où il est difficile de distinguer ce qui relève de la perception du patient et de la situation objective. Cela dit, je ne pense pas qu’il faille pallier ce manque d’informations, car notre rôle est de défendre le patient. Mais, dans le traitement de sa problématique, nous ne savons pas tout faire, d’où l’intérêt de passer par une médiation au sein de l’entreprise si l’on veut régler un problème de harcèlement. » Un autre médecin de l’équipe rappelle cependant un des principes guidant leurs pratiques : « C’est inconfortable, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut essayer de pallier le manque d’informations, car cela fait partie de la relation thérapeutique, de lien de confiance et du secret médical. Sans cela, nous aurions moins de patients qui viendraient nous consulter et nous détecterions encore moins ce type de problématiques. »
D’autres soignants pointent les limites de leur pouvoir d’action sur des dimensions d’ordre institutionnel ou sociétal sur lesquelles ils et elles estiment avoir peu de prise, comme cette psychologue d’une maison médicale liégeoise : « C’est un peu frustrant, car l’impact qu’on peut avoir au niveau organisationnel et sociétal est difficilement palpable, hormis ce que l’on peut faire sur un plan plus personnel et militant. En tant que psychologue, j’ai l’impression que je travaille plus sur les aspects symptomatiques avec la personne pour l’aider à rebondir et éviter qu’elle se retrouve confrontée aux mêmes difficultés. J’essaye que la personne comprenne ce qui s’est passé et distingue ce qui relève de sa responsabilité personnelle et des conditions externes pour qu’elle visualise mieux les signaux d’alarme à l’avenir (dépassement d’heures, demandes qui ne relèvent pas de son profil de fonction, nombre de tâches attitrées trop élevé, etc.). » Certaines équipes tentent cependant de dépasser ce sentiment d’impuissance en proposant des ateliers de prévention des troubles musculosquelettiques, des groupes de parole ou des ateliers d’écriture qui permettent aux patients et patientes de briser leur sentiment d’isolement et de se réapproprier collectivement les enjeux organisationnels et politiques du travail.

 

 

Incapacité de travail : qui fait quoi ?

Le médecin généraliste (ou médecin traitant). Il ou elle constate l’incapacité de travail d’un patient ou d’une patiente et remet un certificat médical à l’attention de l’employeur et de la mutualité. Le suivi médical de l’état de santé du patient est sa première mission. Il ou elle peut aussi participer à la procédure de réintégration au travail, à la demande du médecin du travail ou du médecin-conseil, voire initier un plan de réintégration avec l’accord du patient. Moyennant son accord, le médecin généraliste peut transmettre des informations sur l’état de santé du patient à ces deux interlocuteurs.
Le médecin-conseil. Il ou elle travaille pour une mutualité et évalue l’incapacité de travail d’un travailleur ou d’une travailleuse afin de déterminer s’il ou elle peut prétendre à un revenu de remplacement (indemnités). Il ou elle contacte la plupart des travailleurs en incapacité de travail au-delà de la période de salaire garanti (après deux ou quatre semaines). Concrètement, « il analyse [l]a situation médicale [du patient], en la replaçant dans le contexte professionnel. C’est à lui/elle de décider si un patient est toujours reconnu en incapacité – et peut prétendre aux indemnités correspondantes – ou s’il est apte, à partir d’un moment, à reprendre son activité/une activité adaptée (horaires allégés, poste de travail aménagé, changement de fonction…). Le médecin-conseil examine avec l’assuré les démarches envisageables pour contribuer à sa réinsertion professionnelle, complète ou partielle ».
Le conseiller en prévention-médecin du travail. Il ou elle fait partie du service de prévention et de protection au travail (interne et/ou externe) auquel l’employeur est affilié. Son rôle consiste à évaluer l’aptitude du travailleur ou de la travailleuse à l’exécution de son travail habituel lors de la reprise du travail. Plus globalement, « l’employeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires afin de promouvoir le bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail. Le conseiller en prévention-médecin du travail assiste l’employeur dans l’application de ces mesures. Il ou elle donne son avis sur l’environnement et les postes de travail. Il ou elle repère les risques éventuels, assure la surveillance de la santé des travailleurs, dépiste aussi précocement que possible les maladies professionnelles, propose des solutions de travail adapté pour les collaborateurs dont l’aptitude à effectuer un travail est limitée… ».
Des acteurs et actrices rencontrés dans le cadre de cette étude mettent en lumière la pénurie qui touche ces professions et qui met à mal l’exercice de certaines de leurs missions.

Sources : « Santé et bien-être au travail – Glossaire », Société scientifique de médecine générale, www.ssmg.be ;
« Qui sont les médecins intervenant lors d’un arrêt de travail ? », mongeneraliste.be, www.mongeneraliste.be.

 

Relations avec d’autres acteurs

Dans la prise en charge des souffrances au travail de leurs patients, les soignants des maisons médicales sont en contact avec divers interlocuteurs qui assument des rôles et missions différents. Parmi ceux-ci, nous pointons les médecins-conseils des mutualités, les conseillers en prévention-médecins du travail et les organisations syndicales. Quels rapports les soignants entretiennent-ils avec ces acteurs ? Sont-ils de nature complémentaire ou contradictoire ? Et quelles tensions mettent-ils au jour ?

Relations avec les médecins-conseils. Les relations des soignants et soignantes des maisons médicales avec les médecins-conseils des mutualités sont l’objet de tensions en raison d’un manque de contact et de collaboration, de la complexité des procédures administratives, de la mécompréhension d’une décision ou de la connaissance limitée des évolutions de la législation sur l’incapacité de travail.
Un médecin généraliste d’une maison médicale carolorégienne relate : « J’ai plus d’exemples de non-collaborations que de collaborations avec les mutuelles. Peut-être que nous ne sommes pas assez proactifs pour les contacter, mais je me méfie des médecins-conseils. Je trouve que les rapports ne sont pas cordiaux quand nous les contactons. Ils ne sont pas facilement joignables. Il y a eu un gros travail de communication ces dernières années pour favoriser le trio médecin généraliste/médecin du travail/médecin-conseil et les mutuelles ont communiqué sur le rôle du médecin-conseil qui est là pour aider le patient. Mais, dans la pratique, tout ce que je constate, c’est que les gens pleurent en sortant de chez eux. Et c’est avec cet a priori là que je contacte les médecins-conseils. Tant que cela ne changera pas, je pense que je serai toujours aussi défiant. » Il ajoute : « Beaucoup de personnes reviennent de leur entretien chez le médecin-conseil en disant qu’ils ont pleuré pendant l’entretien. Les plaintes du type “J’ai été reçu comme une merde et je n’ai pas été écouté” sont hyper fréquentes. Moi, le médecin-conseil, je ne le vois pas comme un allié. » Son collègue, médecin aussi, tempère et met en lumière la souffrance institutionnelle observée dans cette profession : « À leur décharge, nous n’aimerions pas faire le travail des médecins-conseils. Même si le patient doit rester au centre de toute prise en charge médicale, leur travail et leur objectif diffèrent des nôtres et leur position par rapport au patient n’est pas la même. Mais les collaborations sont clairement compliquées la plupart du temps. »
Les soignants mettent aussi en évidence la complexité des démarches administratives liées à l’incapacité de travail et pointent les sanctions financières qui sont appliquées en cas d’oubli, d’incompréhension ou de négligence. Leur collègue assistante sociale en rend compte : « Les documents administratifs des mutuelles génèrent beaucoup d’incompréhension chez les patients. La mutuelle envoie de nombreux documents et, si la personne ne les renvoie pas dans les délais impartis, elle est sanctionnée. Il y a beaucoup d’incompréhension sur ce qui doit être complété – il y a tellement de petites cases à remplir. J’observe parfois un manque de cohérence entre les différentes réponses apportées par la mutuelle. Et je constate une réticence chez des patients à accepter un certificat tant les démarches à accomplir auprès de la mutuelle sont nombreuses et complexes. » Un médecin d’une maison médicale liégeoise déplore également la standardisation des procédures : « Les mutualités envoient des courriers selon un calendrier standardisé. Après quelques semaines d’incapacité, les patients reçoivent automatiquement des documents, sans explication, ce qui génère de l’inquiétude par rapport au paiement de leurs indemnités et à la suite de la procédure. Ils ont besoin d’aide pour compléter ces formulaires et qu’on prenne le temps de les leur expliquer. »
Sur le plan médical, plusieurs soignants témoignent de la difficulté plus grande de faire reconnaitre les troubles psychologiques que les troubles physiques dans le régime de l’incapacité de travail, comme l’illustrent les propos de ce médecin généraliste : « Au niveau de l’incapacité de travail, les problématiques psychosociales peuvent être moins prises au sérieux que des problématiques organiques survenant après une opération par exemple. » « Quand nous envoyons le rapport d’un psychologue, il arrive que le médecin-conseil exige un rapport du psychiatre », complète une psychologue d’une maison médicale liégeoise. Elle semble aussi y constater une remise au travail plus rapide des patients souffrant de pathologies mentales : « Quand le patient présente seulement des symptômes psychologiques, j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus une injonction à la remise à l’emploi assez rapide dans le chef des médecins-conseils. Je remarque aussi que quand la personne a des difficultés à admettre ses souffrances mentales et à en parler, elle est assez vite remise à l’emploi à la suite d’un entretien de quelques minutes chez un médecin-conseil alors qu’elle n’était pas du tout prête. »
Par ailleurs, plusieurs soignants de cette équipe ont observé qu’un rapport d’un médecin spécialiste pouvait avoir plus de valeur que le leur auprès des médecins-conseils, illustrant la hiérarchie symbolique qui structure encore le milieu médical. Un assistant en médecine générale témoigne : « Récemment, un médecin-conseil a remis au travail une patiente qui a subi une intervention au canal carpien alors que celle-ci s’estimait incapable d’aller travailler et que plusieurs examens médicaux et une intervention étaient encore programmés. J’ai contacté sa spécialiste en médecine physique et quand celle-ci a remis un certificat de trois mois, il a été accepté. Personnellement, je l’ai vécu comme une injustice. Les certificats d’un généraliste et d’un spécialiste devraient avoir le même poids. » Sa collègue médecin relève le caractère paradoxal de cette situation, car « le médecin généraliste est celui qui connaît le mieux ses patients et qui centralise des informations en provenance de différents spécialistes. » Leur collègue psychologue confirme : « Je ne pousse pas les patients à transmettre un rapport psy à leur médecin-conseil, car je sais que ces rapports n’ont pas beaucoup de valeur à leurs yeux. Si les patients le demandent, je le fais, mais je ne veux pas leur donner de faux espoirs. Et s’ils sont suivis par un psychiatre, je les enjoins à leur demander un rapport qui aura un impact beaucoup plus important que le mien. » Un patient abonde dans le même sens : « Des connaissances m’avaient dit qu’il fallait absolument que je trouve un psychiatre sans quoi mon dossier serait fragile face à une mutuelle. D’un point de vue institutionnel, le suivi d’un médecin généraliste est fondamental, mais il n’est pas suffisant. Cela devrait faire partie d’un ensemble d’informations qui devraient être facilement accessibles aux personnes en incapacité de travail pour cause de burn-out. » Anne Burlet, la coordinatrice du CITES partage et regrette cet état de fait : « c’est un peu dommage, car l’idée n’est ni de psychologiser ni de psychiatriser la problématique. »

Relations avec les conseillers en prévention-médecins du travail. Les relations entre les travailleurs de maisons médicales et les conseillers en prévention-médecins du travail semblent plus cordiales, comme l’exprime une médecin généraliste d’une maison médicale carolorégienne : « Nous percevons plus positivement les médecins du travail que les médecins-conseils. Il y en a qui font très bien leur travail et qui sont de bons alliés, d’autres qui sont moins motivés. Mais, la plupart du temps, ça se passe plutôt bien. » Elle ajoute : « Quand nous demandons des adaptations des postes de travail, nous sommes entendus par le médecin du travail, mais plus rarement par les employeurs. » Un constat que confirme une étude de la Mutualité chrétienne selon laquelle environ 40 % des personnes qui demandent des aménagements du travail ne les obtiennent pas3.
Son collègue médecin apporte quelques détails : « Nous les sollicitons principalement pour des adaptations de postes en cas de port de charges lourdes par exemple ou pour des demandes de réduction de temps de travail en raison d’une pathologie oncologique ou autre. Généralement, nous travaillons ensemble dans l’intérêt du patient et cela se passe bien. » Cependant, il observe une moins grande disponibilité des médecins du travail depuis l’entrée en vigueur de la législation sur la réintégration professionnelle : « Depuis la remise au travail des malades de longue durée, les médecins du travail ne sont plus sollicités que pour ça. Ils sont actuellement phagocytés par des procédures qui, sous la pression des employeurs, mènent au licenciement de travailleurs en incapacité de longue durée. »

Relations avec les organisations syndicales. Lorsque des problèmes physiques ou psychologiques rendent une personne en incapacité de travail définitivement inapte à exécuter le travail convenu, son employeur (ou elle) peut rompre le contrat de travail moyennant le respect de certaines conditions. On parle alors de rupture de contrat (ou C4) pour force majeure médicale. À l’inverse d’une démission ou d’un licenciement, le contrat est rompu sans préavis ni indemnité. Les travailleurs syndiqués peuvent solliciter les conseils du service juridique de leur organisation syndicale pour contester ce type de décisions devant le tribunal du travail.
Dans ces cas, il arrive aux soignants des maisons médicales d’entrer en relation avec les syndicats. Certains d’entre eux relèvent le caractère standardisé de leurs démarches, comme ce médecin carolorégien : « Nous constatons que leur approche est toujours la même : ils contestent une décision et nous demandent de fournir un certificat médical pour aller devant le tribunal. Je constate que les patients se définissent parfois par cette procédure et qu’il n’y a plus que celle-ci qui les fait tenir. Et si cette démarche n’aboutit pas, ils s’effondrent parce qu’ils se sont accrochés à cette procédure, ce qui peut être délétère pour leur santé. D’après l’expérience que j’en ai, ce sont des procédures dans lesquelles les patients ne devraient pas s’engager d’un point de vue médical. »
Fort de son expérience syndicale, Jean-
Marie Léonard reconnait la lourdeur de ce type de procédures, mais il rappelle qu’il n’en existe pas d’autres. Tandis qu’il leur reproche « d’individualiser le problème », il souligne aussi les effets qu’elles peuvent avoir en termes de jurisprudence négative quand des travailleurs perdent leur recours devant le tribunal du travail.

Inégalités de genre et maladies professionnelles

On observe un déficit de recherches sur les maladies d’origine professionnelle qui touchent majoritairement les femmes. « Historiquement les femmes ont toujours été exclues des études professionnelles, ce qui signifie que les questions de santé qui les touchent principalement, notamment le cancer du sein, ont été sous-étudiées, voire ignorées », rapporte Henri Bastos, expert à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, France)4. Or l’environnement et les conditions de travail jouent un rôle largement sous-estimé dans la survenue des cancers du sein. La plupart des infirmières de cancérologie ignorent les risques qu’elles courent en manipulant sans protection des produits de chimiothérapie qui s’avèrent être cancérogènes. L’ignorance est tout aussi importante chez les femmes qui travaillent la nuit et qui s’exposent à un risque accru de 30 % de développer un cancer du sein. Sans parler des coiffeuses et des femmes actives dans les secteurs des cosmétiques et du nettoyage qui utilisent aussi quotidiennement des produits classés cancérogènes. À ce déficit de recherches s’ajoute un manque de reconnaissance et d’indemnisation des femmes touchées par un cancer dont l’origine est liée à l’activité professionnelle. Prenant appui sur les connaissances accumulées au cours des dix années d’existence du Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine Saint-
Denis (GISCOP93), la sociologue Michelle Paiva estime que « 33 % des hommes ayant eu des expositions identifiées dans leur parcours de travail ont obtenu la reconnaissance de l’origine professionnelle de leur cancer contre seulement 7 % des femmes. »5 Et la Belgique fait encore pire puisqu’à ce jour aucune femme ayant contracté un cancer du sein n’a été reconnue dans le système d’indemnisation des maladies professionnelles.

 

Reconnaissance des maladies
professionnelles

En Belgique, la reconnaissance d’une maladie contractée au travail comme maladie professionnelle peut se faire selon deux modalités auprès de l’Agence fédérale des risques professionnels (FEDRIS) : soit dans le cadre du système fermé de la liste des maladies professionnelles ; soit dans le cadre du système hors liste ou système ouvert (dans lequel le travailleur ou la travailleuse doit apporter la preuve du rapport de causalité entre la maladie et l’exposition professionnelle au risque de cette maladie).
Au cours des dernières décennies, des maladies reconnues dans le système fermé ont quasiment disparu en raison de l’amélioration de la prévention sur les lieux de travail, mais aussi de la forte diminution de l’emploi dans certains secteurs comme l’industrie minière, l’industrie lourde, la métallurgie, etc. auquel étaient associés des risques professionnels qui sont moins courants aujourd’hui.
Dans le même temps, le développement de nouvelles formes d’organisation du travail (intensification du travail, management par les chiffres, évaluation des performances, numérisation…) génère des pathologies physiques (troubles musculosquelettiques, tumeurs…) et mentales (stress, dépression, burn-out…) dont le caractère professionnel n’est encore que peu ou pas reconnu dans le système d’indemnisation des maladies professionnelles. « Les reconnaissances de maladies professionnelles sont très faibles chez nous, confirme Laurent Vogel. Sur cent demandes, il y en a peut-être une qui sera acceptée. Et il n’y a pas de recours possible. Si ce n’est en justice, devant le tribunal du travail. » 6
Un médecin généraliste d’une maison médicale carolorégienne souligne pourtant le caractère symbolique de la reconnaissance des pathologies contractées sur les lieux de travail : « Nous n’avons expérimenté que des demandes de reconnaissance de pathologies reprises dans la liste et certaines d’entre elles ont abouti. C’est un bon outil, car si une maladie professionnelle est reconnue, au-delà de l’indemnisation, ça aide le patient à se sentir reconnu dans sa souffrance et ça l’apaise beaucoup. Ils fulminent au contraire quand il n’y a pas de reconnaissance alors que l’évidence est là. »
Une médecin généraliste d’une maison médicale bruxelloise insiste quant à elle sur la lourdeur administrative d’une demande d’indemnisation : « Je trouve que les démarches sont très frustrantes pour les patients qui mettent souvent beaucoup d’espoir dans cette reconnaissance. Quand leur dossier est accepté, la reconnaissance ne concerne souvent qu’un problème de santé très précis et les patients se décomposent… au point que je les décourage parfois d’entreprendre de telles démarches. Je me souviens d’un patient qui a bénéficié d’une reconnaissance d’un problème à l’épaule et d’une prise en charge des traitements qui y sont liés. Mais, dans son cas, cela ne lui apporte pas beaucoup d’avantages vu qu’il est inscrit au forfait dans notre maison médicale et que tous ses traitements de médecine générale et de kinésithérapie sont déjà pris en charge par la Sécurité sociale. »

Reconnaissance des accidents du travail

Les soignants que nous avons rencontrés témoignent enfin des difficultés à faire reconnaitre les accidents du travail de leurs patients auprès d’entreprises d’assurances privées. « Il y a beaucoup d’employeurs qui font pression sur leurs employés pour qu’ils ne demandent pas de reconnaissance de leur accident du travail, explique une médecin généraliste d’une maison médicale carolorégienne. Certains ne fournissent pas les documents, d’autres trainent ou leur mettent des bâtons dans les roues. Je pense que c’est lié au fait que s’ils déclarent souvent des accidents, le montant de la prime qu’ils doivent payer à l’entreprise d’assurances augmente. » Il en résulte une sous-déclaration d’accidents qui sont pourtant directement liés à l’exercice d’une activité professionnelle.
Une infirmière d’une maison médicale bruxelloise illustre le caractère éreintant de ces procédures : « Ces démarches prennent beaucoup de temps, parfois des années et elles usent les patients. Tout se passe comme si les entreprises d’assurances faisaient tout pour que les gens abandonnent tant les démarches sont difficiles psychologiquement, mais aussi financièrement quand ils doivent solliciter les services d’un avocat. Cela a aussi un impact sur le retour au travail vu le temps qui passe et la distance qui s’installe par rapport aux collègues, le fait que l’on est parfois remplacé… Tout cela génère de l’anxiété et finit par avoir un impact sur leur vie privée. Je repense à une patiente qui a connu des difficultés pour faire reconnaitre son accident du travail. Elle a introduit un recours au tribunal du travail et s’est retrouvée face à trois experts, celui de l’entreprise d’assurances, un autre désigné par le tribunal du travail et un troisième qu’elle paie. Elle a dû se déshabiller alors qu’il s’agissait d’un problème à l’épaule, ce qui est déshumanisant. Ce sont des démarches tellement usantes qu’elles peuvent détruire des patients. »
L’assistante sociale d’une maison médicale liégeoise rapporte la situation d’un patient qui a perdu la vision d’un œil à la suite d’un accident sur son lieu de travail : « Il a bénéficié pendant six à sept mois d’indemnités jusqu’à ce que l’entreprise d’assurances estime que cette personne était apte à reprendre le travail. Son patron lui a alors posé un ultimatum : “Tu restes ou tu pars”. Il a choisi de partir, mais il représente un danger pour lui-même et pour les autres puisqu’il continue à conduire des véhicules de chantier ! C’est un cas qui illustre la non-reconnaissance de son handicap et la pression mise sur les travailleurs pour reprendre rapidement le travail, sans lui laisser le temps de s’habituer à sa vision partielle dans ce cas-ci. » Sa collègue médecin ajoute : « C’est une difficulté quand un accident du travail entraine une pathologie chronique. Les entreprises d’assurances mettent des clauses particulières dans les contrats qui limitent la durée de reconnaissance de l’accident. Même si la maladie persiste, il y a souvent un délai au terme duquel la personne ne sera plus reconnue dès lors que les conditions contractuelles ne sont plus remplies. Et c’est très difficile à contourner vu que le patient a signé ce contrat. En outre, cela entraine souvent une rupture du contrat de travail avec l’employeur et contraint le patient à chercher un autre emploi. Selon moi, le patient subit une double peine. »

  1. V. de Gaulejac, F. Hanique, Le Capitalisme paradoxant. Un système qui rend fou, Seuil, 2015.
  2. S. Henderickx, H. Krammisch, Docteur, je vais craquer ! Le stress au travail, Aden, 2010.
  3. S. Vancorenland et al., « Trajets de l’incapacité de travail : l’expérience des personnes avant, pendant et après leur incapacité », MC-Informations 284, juin 2021.
  4. H. Bastos cité par N. Weiler, op cit.
  5. M. Paiva cité par N. Weiler, op cit.
  6. N. Weiler, « Le cancer du sein, une maladie professionnelle méconnue », Axelle magazine, 248, septembre-octobre 2022.

Cet article est paru dans la revue:

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Bibliographie

V. Amboldi, « Et si la santé des travailleuses devenait une priorité ? », www.cepag.be, février 2016. P. Bérastégui, « Les accidents du travail mortels en hausse dans 12 États membres », European Trade Union Institute, www.etui.org, novembre 2022. P.(…)

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Actualités n° 101

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