Réforme ‘psy 107’ : une invitation pour les maisons médicales ?
Barbara Pieters, Claire Van Craesbeeck
Santé conjuguée n° 70 - avril 2015
Reconnues pour leur travail pluridisciplinaire et en réseau, les maisons médicales sont sans doute des partenaires tout indiqués pour prendre part aux réseaux qui se construisent, ici et là, dans le cadre de la réforme des soins de santé mentale. Mais cette réforme n’est-elle pas aussi l’occasion de questionner leurs pratiques, leurs représentations, et de lever quelques tabous touchant aux problèmes psychiques de certains patients ? Réflexions de deux psychologues travaillant en maison médicale.
La réforme en quelques mots
« La finalité principale de cette réforme », disent ses initiateurs, « est le maintien des personnes au sein de leur environnement et de leur tissu social d’origine par la mise en place de parcours thérapeutiques individualisés. Le réseau ainsi construit est multidisciplinaire et basé sur des modalités d’intervention flexibles. Il s’agit donc d’un réseau de collaborations entre des structures et des ressources qui vont, dans un partenariat effectif, définir une finalité, un fonctionnement et des objectifs communs, ceci afin de garantir l’efficacité du suivi des patients, une meilleure continuité des soins, l’amélioration de l’offre et l’amélioration de la qualité de prise en charge1.».Les mailles du réseau
Il est évident que l’ensemble des maisons médicales, implantées sur les territoires des ‘projet 107’ font partie d’emblée de leur réseau. Vous allez nous dire que les maisons médicales n’ont pas attendu cette réforme pour travailler les questions de territorialité et de travail en réseau ! Effectivement ! Pour nous, la réponse est claire : les maisons médicales, avec leurs spécificités acquises depuis de nombreuses années au niveau du travail pluridisciplinaire et du travail en réseau doivent s’inscrire dans cette réforme en tant qu’un des partenaires de ce réseau. Le concept même de la réforme est de permettre à des personnes étiquetées ‘psy’ de s’appuyer sur les nombreuses possibilités, initiatives, services, au sein de leur milieu de vie, afin de progresser dans leur processus de rétablissement. Cela a pour conséquence que l’ensemble des services de première ligne sont et seront de plus en plus concernés par l’accueil et le suivi de personnes atteintes de troubles psychiques. Les maisons médicales sont donc un maillon indispensable de ce réseau tissé autour du patient, mais pas le seul. Il est impératif de concevoir et d’organiser la prise en charge du patient sur une plus grande échelle qui inclut l’ensemble des partenaires concernés, qu’ils proviennent du soin ou plus large. En effet, l’esprit de la réforme dépasse la notion de dispositif de soins pour tendre vers un dispositif de vie pour le patient, ce qui oblige les maisons médicales à s’ouvrir à d’autres champs de compétences, hors des soins, et de sortir encore plus des murs de leurs savoirs et pratiques. Cela soulève la question de la concertation… mais c’est encore un autre chantier ! !Ce bon vieux GICA !
Comment la réforme peut-elle soutenir le modèle GICA (globalité, intégration, continuité et accessibilité des soins) des maisons médicales ? La réforme des soins en santé mentale est, comme toute proposition politique, soumise à interprétation, mais il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que ce que nous défendons à travers le modèle GICA se retrouve, au moins en théorie, dans le cadre de cette réforme. Les notions de globalité, d’intégration au milieu de vie, de continuité de soins et d’accessibilité aux services sont les grands axes qui soutiennent cette nouvelle approche politique de la santé mentale dont la finalité est le maintien des personnes au sein de leur environnement et tissu social par la mise en place de parcours thérapeutiques individualisés, construits autour de pratiques pluridisciplinaires et sur des modalités d’interventions flexibles. Le modèle défendu par la réforme aurait comme originalité d’associer, avec une vision globale, l’ensemble du dispositif en intégrant les ressources hospitalières et les services développés dans la collectivité, à travers notamment la mise en place des équipes mobiles et l’articulation nécessaire avec les services ambulatoires de première ligne. Le modèle de soins défendu par les maisons médicales ne s’oppose pas à l’esprit de la réforme, on pourrait même dire dans un élan d’extrême optimisme, qu’ils se rejoignent… Certains tempéraments grincheux pourraient, sans qu’on puisse s’y opposer, arguer du fait que « la carte n’est pas le territoire », qu’entre la réforme telle qu’elle s’énonce dans les textes et la réalité de terrain, il peut y avoir un monde. Ils pourraient compléter leur argumentation en soutenant que toutes ces intentions politiques seront soumises à l’interprétation des intervenants de terrain et aux rapports de force qui définissent les relations entre les services, les familles et les usagers. On pourrait passer des heures à essayer de les convaincre du contraire, mais est-ce bien raisonnable… Si on profitait plutôt du contexte de cette réforme pour questionner nos pratiques en santé mentale à travers le modèle GICA ? Sommes-nous certains de proposer une vision globale, intégrée, continue et accessible de la santé mentale au sein de nos équipes ? Les situations de crises, de décompensation sont plus rares le jeudi à 11h que le vendredi soir ou le dimanche matin… Sommes-nous prêts à en tenir compte ?Santé mentale, on en parle…
La réforme, de par sa philosophie et son organisation concrète, tend à déstigmatiser les problèmes psychiques, à les remettre dans la communauté, et à sensibiliser l’ensemble des services sur leurs réalités et les moyens d’y faire face. Au sein des maisons médicales, les soignants sont confrontés à beaucoup de questions, de craintes et encore parfois de tabous vis-à-vis de ce type de problèmes psychiques : Comment et pourquoi poser un diagnostic ? Doit-il être partagé avec l’ensemble de l’équipe ? Doit-il figurer sur le dossier du patient qui « risque » d’être étiqueté par la suite ou par d’autres services ? Comment en parler avec le patient ? Que faire quand le patient ne se présente plus pour prendre son traitement alors qu’on sait qu’il lui est indispensable pour son équilibre fragile ? Ces questions se posent également pour d’autres types de diagnostic hors santé mentale, mais les réponses apportées sont différentes. Tout le monde est d’accord de dire qu’il est important pour un patient cardiaque d’être identifié comme tel aux urgences, afin d’inclure ces paramètres dans la prise en charge proposée. En santé mentale, c’est beaucoup moins clair. D’une équipe à l’autre, d’un soignant à l’autre, en fonction des sensibilités, des expériences et des vécus de chacun, il reste beaucoup de flou quant à la manière dont les soignants diagnostiquent ou non les troubles psychiques. Et ce flou alimente la stigmatisation autour de ces pathologies, comme c’était le cas auparavant pour d’autres types d’affections physiques. Nommer la maladie, l’expliquer au patient et à son entourage quand c’est possible, permet de sortir du tabou lié à la maladie mentale et de faire un pas vers la déstigmatisation. Oui, il est important d’expliciter les choses pour mieux comprendre les réactions du patient et parvenir à mieux y faire face. Oui, une accueillante sera plus adéquate dans son écoute et ses réactions si elle connaît les difficultés du patient. Oui, rester dans l’ignorance augmente le sentiment d’insécurité et donc le risque de passer à côté de la relation et de la prise en charge. Et oui, pour sortir de l’ignorance, il est nécessaire d’éclairer les travailleurs et les patients sur ces maladies, les symptômes qu’elles provoquent, les traitements possibles et les types de réactions et de communications plus adéquates.En guise de conclusion, une invitation à
… profiter de l’opportunité offerte par le ‘107’ pour réfléchir à nos pratiques en santé mentale. .… remettre en question nos représentations, nos connaissances. … se poser ces questions ensemble au sein de nos équipes mais aussi avec le réseau, les patients, les familles. … laisser une place à cette dimension de la santé dans nos pratiques. … laisser une place à ces patients dans nos structures pour qu’ils aient une opportunité supplémentaire de trouver leur place dans la collectivité. … croire, que soyons « fous », le changement est toujours possible !Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 70 - avril 2015
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