La réforme en psychiatre dite ‘Psy 107’ a fait l’objet d’une analyse dans le n° 58 de Santé conjuguée en juin 2014 sous le titre :« Quelle place ont les maisons médicales dans le projet de réforme des soins de santé mentale ? » (Christian Legrève, Claire-Marie Causin, Coralie Ladavid, Olivier Mariage, Marianne Prévost). Pour rappel, le but essentiel de la réforme est de favoriser la prise en charge des problèmes de santé mentale en dehors des hôpitaux. En attribuant une partie des moyens financiers et humains de ceux-ci à des projets qui permettent un suivi des patients dans leur milieu de vie. Des projets pilotes sont mis en place sur une base territoriale, chacun devant s’efforcer de remplir cinq fonctions : 1. la prévention, la promotion de la santé, le dépistage précoce et l’établissement du diagnostic par la première ligne de soins ; 2. le traitement intensif en ambulatoire via la constitution d’équipes mobiles d’intervention tant pour les problématique aigues que chroniques ; 3. la réhabilitation psychosociale (accès à la culture, aux loisirs, à la formation et à l’emploi…) ; 4. le traitement intensif résidentiel ; 5. l’hébergement spécifique. La revue l’Observatoire a consacré un dossier à la réforme psy 107 : n° 72 – Santé mentale : les enjeux de la réforme – 2011-2012.Malgré son importance, le rôle de la première ligne en santé mentale est encore trop peu reconnu, tant par les intervenants spécialisés que par les autorités de santé publique. L es travailleurs des maisons médicales eux-mêmes semblent parfois incertains quant à leurs possibilités d’agir en la matière ; les différents angles de vue présentés ici leur apporteront, espérons- le, quelques pistes de travail utiles. Quels acteurs mobiliser face aux problèmes psychiques qui surgissent dans toute vie humaine ? Comment tracer les limites entre folie et normalité, souffrance et maladie, soin et contrôle ? Ces questions traversent l’ensemble des contributions présentées ici ; chacune à leur manière, elles articulent la réflexion et les pratiques telles qu’elles se déclinent aujourd’hui sur différents terrains. De quoi parle-t-on ? Souffrance mentale, souffrances sociales, approches plurielles On ne s’étonnera guère de trouver la Déclaration de Lyon dès l’ouverture du premier chapitre ; dans ce texte datant de 2011, le psychiatre Jean Furtos et son équipe1 reliaient clairement la souffrance psychique à la précarisation qu’entraîne la mondialisation néolibérale pour une part grandissante de la population. Le philosophe Edouard Delruelle, invité au colloque « Soi-disant fou » organisé par la Fédération des maisons médicales en octobre 2014, rejoignait cette vision : « La violence qui règne dans le monde d’aujourd’hui est une violence économique, sociale, politique, maintenant climatique ; mais c’est aussi une violence symbolique, psychique ». Cette mise en contexte de la santé, tout aussi vraie pour les dimensions physiques de celle-ci, est au coeur des soins de santé primaire. Les travailleurs de première ligne constatent au jour le jour l’impact des facteurs sociaux sur la morbi-mortalité ; beaucoup d’entre eux tentent d’agir, chacun à partir de sa place, sur les déterminants de la santé. Le plus souvent collectifs, ceux-ci influencent la santé dès le plus jeune âge, en amont de la pathologie2. La spécificité des acteurs de première ligne est d’accueillir la complexité de la vie humaine, tout au long d’une vie et parfois même à travers plusieurs générations. En d’autres termes, il n’y a pas de soins généralistes se voulant GICA (globaux, intégrés, continus, accessibles) qui ne prennent en compte la singularité de la personne et la manière dont elle s’articule avec ses milieux de vie – familial, professionnel, scolaire, communautaire, politique, etc. Les frontières entre santé et maladie semblent plus incertaines sur le plan mental que physique ; c’est que l’étrangeté peut vite être désignée comme pathologique, tant est grande la propension du corps social – dont fait partie la médecine – à imposer des normes aux affects, aux manières de vivre. Cette normalisation est particulièrement pernicieuse lorsqu’elle s’appuie sur des catégorisations qui, se voulant scientifiques, reposent largement sur une certaine vision de l’humain censé « fonctionner » sans trop faire désordre… Les soignants peuvent-ils pour autant aborder la souffrance mentale sans balise nosographique ? Certes non, mais il convient de le faire avec prudence et clairvoyance, sans mélanger les registres. Dans ce premier chapitre, Vanni Della Giustina, Frédérique Van Leuven, Marie Marganne tentent de définir les contours du sujet.
La première ligne en réseau
Dans le deuxième chapitre, différents acteurs de première ligne rejoignent les réflexions qui précèdent, à partir de positionnements variés. L’intrication du social et de la santé apparaît ici de manière massive à travers la difficulté des intervenants ; mais aussi à travers la créativité dont ils font preuve pour surmonter les obstacles. Le travail en réseau semble une piste de choix. Mais qui doit faire le premier pas ? Peu reconnues par les intervenants spécialisés, les maisons médicales pourraient se replier sur leurs propres forces – après tout, elles travaillent déjà en pluridisciplinarité ! Et les intervenants extérieurs sont souvent peu disponibles, ils parlent un autre langage, sont soumis à des contraintes et des mandats différents, voire peu compatibles. Alors, le travail en réseau n’est-il qu’une belle utopie ? Une question posée par certains participants au colloque mentionné ci-dessus. Autre risque évoqué dans ce cadre, celui de perdre le patient dans les mailles du réseau, de privilégier le dialogue entre intervenants en oubliant de mettre au centre le patient, ses ressources, son pouvoir de décision. L’association Similes souligne l’importance de s’appuyer sur un référent. Quelques clés – bien connues, mais trop peu utilisées : le temps, la parole, l’écoute. Et la capacité de laisser vivre ce qui s’écrit dans les marges. Marianne Bailly défend ainsi la « per tinence du flou », Anouck Loyens adopte un nouveau regard – manière de soutenir la vie même lorsque les réalités sociales semblent désespérées. Une autre piste importante pour construire un réseau, c’est d’avancer à petits pas, à partir de la base. Catherine Bremont, Latifa Sarguini, Anouck Loyens racontent ce cheminement, dans trois contextes fort différents. Se posent ici les questions du territoire et de l’approche communautaire, fondamentales pour maintenir la personne dans son milieu de vie : Christophe Davenne rappelle les balises du Mouvement pour une psychiatrie démocratique, tandis que Vanni Della Giustina conclut ce chapitre en exposant la « Clinique de concertation », mise en oeuvre à Flémalle par le Dr Jean-Marie Lemaire. Réformer l’organisation des soins en santé mentale De tous ces regards ressort un constat évident : le système de santé est peu efficace et peu équitable dans le domaine de la santé mentale, appel au changement ! Ce jugement sévère était déjà posé par quelques auteurs de ce dossier en 20113. Le projet de réforme psy107 débutait à cette époque, et l’expérience se poursuit. Le dernier chapitre propose quelques analyses et réflexions à ce sujet, sous l’éclairage d’une analyse internationale : Marie-Josée Fleury, invitée par la fédération à l’occasion du colloque déjà évoqué, confirme la nécessité du soutien à la première ligne pour améliorer les soins en santé mentale. La réforme n’est-elle pas trop timide à cet égard ? Barbara Pieters et Claire Van Craesbeek sont optimistes et Olivier Mariage appelle les maisons médicales à s’inscrire dans le changement. Plus sceptiques, Youri Cael et Charles Burquel soulignent que les réflexions et projets alternatifs ne datent pas d’hier ; d’autres acteurs vont dans le même sens sous la plume de Marinette Mormont – qui donne également la parole au SPF Santé Publique, initiateur de la réforme : c’est l’histoire de la bouteille à moitié pleine, ou vide. Ou pleine de trous… Il faudrait inverser la pyramide des soins, prioriser les ressources préventives, sociales et communautaires, bien d’autres choses… Au point qu’Eric Adam se demande s’il ne faudrait pas une révolution ! Yves Luc Conreur conclut ce dossier en ouvrant grand les portes vers un changement radical de culture en matière de santé mentale et d’institutions.Documents joints
- Marianne Prévost, La souffrance psycho-sociale : regards de jean Furtos, Santé Conjuguée n°48, avril 2009.
- Cf le dossier : Etre né quelque part : la santé de l’enfant, approche pluridimensionnelle, Santé Conjuguée n° 67, mars 2014.
- La fonction psychiatrique et les maisons médicales, dossier : Du futur des métiers aux métiers du futur, Santé Conjuguée n°55 janvier 2011.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 70 - avril 2015
Les pages ’actualités’ du n° 70
La saga du numerus clausus
Changement de gouvernement, changement de politique ; le sujet brûlant du numerus clausus est remis ces derniers temps à l’ordre du jour. Le climat est… glacial : en effet, le nombre de parties prenantes est important(…)
Mind the robots !
La marchandisation des soins se cache parfois derrière un masque séduisant… mais à l’intergroupe liégeois des maisons médicales, on a l’oeil vif, l’esprit suspicieux et la curiosité tenace. Histoire d’une enquête démontant la stratégie commerciale de(…)
Visiteurs indépendants : éclaireurs de la prescription rationnelle
Depuis 2007, des ‘visiteurs indépendants’ fournissent aux médecins généralistes une information globale et scientifiquement validée sur l’ensemble des soins possibles pour une pathologie donnée. Pour Santé conjuguée, Thierry Wathelet avait alors rencontré une des premières visiteuses(…)
L’avenir des soins de santé… Pensons « soins » mais aussi « santé »
En ces temps de préparation de budgets publics marqués du sceau de l’austérité rigoureuse ou, subtilité sémantique, de la rigueur austère, les médias font écho quasi quotidiennement à des prises de position sur l’avenir de la(…)
Chapitre 1
Santé mentale en première ligne des soins, un modèle pluridimensionnel
Les travailleurs pluridisciplinaires de la première ligne perçoivent-ils toujours le bien-fondé de leur place centrale dans l’accueil, la prévention et le suivi des problèmes de santé mentale ? Pas assez sans doute… Vanni Della Giustina ouvre(…)
Santé et maladie : un couple indissociable
Selon les observations faites par l’Organisation mondiale de la santé, 25 % des gens souffrent d’un trouble mental au cours de leur existence et ce chiffre doublera probablement d’ici 2020. La santé mentale représente donc un(…)
Diagnostic : étiquetage ? Réflexions sur le tableau de bord des maisons médicales
Pour beaucoup de soignants, la santé mentale semble un peu « à part » dans le champ de la santé, notamment car elle touche directement à la personnalité des gens ; il leur apparaît souvent plus(…)
Soignants entre marteau et enclume
Le travail peut rendre malade ; le chômage aussi et même les politiques d’activation. Que peuvent faire les médecins pour les personnes qui en arrivent à l’impasse ? Réflexions de Frédérique Van Leuven.
Le diagnostic : vers une narration clinique collective
Trouver un langage commun aux questions de santé mentale : une question ancienne et inépuisable… qui prend des accents particuliers dans une équipe pluridisciplinaire souhaitant que le langage se mette au service de l’approche globale, intégrée,(…)
‘MMPP’ : une médicalisation, à quel prix ?
En 2011, le FOREM définissait une nouvelle catégorie de chômeurs, les ‘MMPP’ : soit les personnes présentant des problèmes de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique. Frédérique Van Leuven a vivement réagi à l’époque, exposant de(…)
Santé mentale en première ligne de soins, un modèle pluridimensionnel
Les travailleurs pluridisciplinaires de la première ligne perçoivent-ils toujours le bien-fondé de leur place centrale dans l’accueil, la prévention et le suivi des problèmes de santé mentale ? Pas assez sans doute… Vanni Della Giustina ouvre ce dossier(…)
Chapitre 2
Approche communautaire en santé mentale : c’est possible !
Développer une approche territoriale et communautaire : la bonne voie pour naviguer entre la rationalité gestionnaire, les enjeux politiques et les défis humains ? Peut-être bien, si l’on en croit Anouck Loyens : elle nous raconte(…)
Territoire et milieu de vie : une approche communautaire de la santé mentale
Ne pas se limiter aux savoirs spécialisés : voilà sans doute une bonne manière d’améliorer la santé mentale. En s’appuyant, à côté des soins, sur tout ce qui contribue au bien-être : le milieu de vie(…)
Approche communautaire : quand le désert devient fertile
Le manque de ressources est souvent désespérant, mais il peut aussi développer l’imagination : Latifa Sarguini nous raconte comment sa maison médicale a suscité la création d’un réseau à partir de pas grand-chose. Ou plutôt, à(…)
Continuité des soins ambulatoires à long terme : sur la piste du référent
Pas facile de suivre une personne à long terme en ambulatoire, de manière cohérente et respectueuse pour chacun : bien placés pour le savoir, des membres de l’association Similes ont mené un travail de réflexion –(…)
La position du mulet… de l’importance du niveau politique dans la mise en place d’un travail de réseau
Vanni Della Giustina aborde ici la ‘Clinique de concertation’, soutenue par Jean-Marie Lemaire, psychiatre et formateur à Flémalle. Cette approche, c’est qu’elle permet de réintroduire le pôle ‘politique’ trop souvent oublié (ou perçu comme dangereux) par(…)
Santé mentale à La Perche : une approche communautaire
Située à quelques encablures de la célèbre Barrière de Saint-Gilles, le collectif de santé La Perche vit depuis longtemps en grande proximité avec son quartier. Elle n’a jamais mis les questions de santé mentale entre parenthèses(…)
De la pertinence du f(l)ou
Définir, structurer, organiser : c’est une nécessité pour tous les systèmes humains – et les systèmes de santé n’y échappent pas. Mais l’être humain écrira toujours dans les marges… A partir d’une histoire très simple et(…)
Entre révolte et lien social
Pauvreté, problèmes psycho-sociaux, cercles vicieux… Comment les intervenants peuvent-ils éviter la lassitude ? Peut-être en changeant de lunettes : telle est l’expérience qu’Anouck Loyens raconte ici, après s’être initiée à l’approche anthropologique dans le cadre d’une(…)
Chapitre 3
Les soins primaires de santé mentale : importance et composantes clé pour l’optimisation des services
La Belgique n’est pas la seule à vouloir réformer son système de soins en santé mentale. Beaucoup de ceux qui s’y attellent ailleurs constatent l’importance de la première ligne, de la pluridisciplinarité, du travail en réseau.(…)
Réforme de la psychiatrie et milieux de vie : enjeux
Les réformes en santé mentale initiées dans divers pays européens portent toutes en elles une volonté politique de désinstitutionalisation. Toutefois, pour les auteurs de cet article, il importe de questionner l’application sur le terrain de ces(…)
‘Psy 107’ : une réforme à la hauteur de ses ambitions ? Regards croisés
Depuis 2010, la réforme belge des soins de santé mentale ‘psy107’ est mise en oeuvre dans tout le pays. Va-t-elle métamorphoser le paysage, mieux répondre aux besoins des usagers ? Marinette Mormont a fait le point(…)
Réforme ‘psy 107’ : une invitation pour les maisons médicales ?
Reconnues pour leur travail pluridisciplinaire et en réseau, les maisons médicales sont sans doute des partenaires tout indiqués pour prendre part aux réseaux qui se construisent, ici et là, dans le cadre de la réforme des(…)
Psy107 à Liège : un machin de plus ou une occasion à saisir ?
Une action pour améliorer la santé mentale ne peut être efficace que s’il existe une réelle articulation entre les différentes interventions, généralistes et spécialisées, mais aussi avec l’entourage et le milieu de vie de la personne.(…)
Une équipe mobile à Bruxelles
HERMESplus est, à côté du projet mené sur l’Est de Bruxelles, l’un des deux projets bruxellois mis en place dans le cadre de la réforme de la psychiatrie. Particularité principale : l’initiateur n’est pas un hôpital(…)
Les maisons médicales à l’ère du ‘psy 107’
La réforme ‘psy 107’ n’a pas fini de faire parler d’elle ! Quelle place ont les maisons médicales dans cette réforme, quelle place veulent-elles y prendre, dans quelles limites, avec quels moyens ? Réflexions d’Olivier Mariage(…)
Réforme de la psychiatrie : pour une culture en invention
La réforme en santé mentale modifie les dispositifs de soins ; va-t-elle pour autant désinstitutionnaliser la folie mentale ? Là se situe la question fondamentale aux yeux d’Yves-Luc Conreur, qui nous invite à bousculer les évidences(…)
La réforme en santé mentale nécessite-t-elle une révolution ?
Réformer sans trop bousculer le modèle hospitalocentrique ? Ou renverser résolument la pyramide en mettant la première ligne au centre ? Les auteurs de cet article questionnent la réforme ‘psy107’, à partir de leur pratique en(…)