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La déclaration de politique régionale du nouveau Gouvernement wallon est porteuse d’espoir pour l’avenir de notre système de santé. On y lit, entre autres, qu’« une organisation territoriale de l’offre d’aide et de soins sera définie avec les acteurs de santé à partir des zones de soins de première ligne réparties sur l’ensemble du territoire wallon. Une cohérence entre la première ligne et les soins spécialisés, dont les futurs réseaux hospitaliers et les soins de santé mentale, sera recherchée ». L’air de rien, c’est un réel changement de paradigme.

Depuis des décennies, les politiques publiques se sont centrées principalement sur les soins spécialisés et les hôpitaux. Non sans raison : c’est là, avec le médicament, que se trouve l’essentiel de l’augmentation des budgets. Face aux défis du vieillissement et du développement des maladies chroniques, il est de plus en plus nécessaire de limiter les hospitalisations dont le coût augmente sans cesse si l’on veut à l’avenir maintenir une bonne accessibilité financière aux soins pour l’ensemble de la population. Cela suppose évidemment d’avoir une première ligne suffisamment outillée et organisée et de structurer la collaboration entre les lignes. C’est là que se situe le changement : l’idée de reconstruire le système de santé sur base territoriale à partir de la première ligne est une évolution radicale. Où en est-on ? Les premières initiatives d’organisation de la première ligne ont été prises par les maisons médicales au début des années 70. Ce mouvement spontané, très marginal au début et non soutenu par les pouvoirs publics, a vu éclore une quarantaine d’initiatives à la fin de la décennie. Leur développement s’est ensuite ralenti pour reprendre sa croissance dans les années 90 grâce au nouveau système de financement – le forfait. Cette croissance s’accélère depuis plusieurs années, on en compte aujourd’hui soixante-huit en Wallonie et cinquante-trois à Bruxelles. À ce stade, on peut faire deux remarques : -elles ne couvrent encore qu’environ 5 % de la population wallonne et 10 % à Bruxelles ; -si le modèle a démontré sa pertinence (notamment parce qu’il est le seul à intégrer les principales fonctions de première ligne), il ne permet pas de réaliser toutes les fonctions nécessaires à l’organisation d’une première ligne performante. Depuis les années 80, diverses initiatives ont été prises pour tenter d’améliorer l’organisation de la première ligne notamment la création des centres de coordination de soins et services à domicile (CCSSD), qui seront déclinés en deux variantes : les externes (ne disposant pas de service) et les intégrées (servant surtout à soutenir le développement des services d’aide et de soins des mutualités). On se retrouve ainsi dans les années 90 avec des endroits couverts par deux, trois voire quatre centres de coordination, externes et internes, sans cohérence territoriale. On a vu se développer par la suite, à l’initiative des différents niveaux de pouvoir selon leurs compétences, une série de dispositifs de type « réseau » sur des thématiques spécifiques : centres locaux de promotion de la santé, plateformes de santé mentale, plateformes de soins palliatifs, services intégrés de soins à domicile (SISD), réseaux assuétudes, relais social et santé (grande précarité), réseaux multidisciplinaires locaux (RML), réseaux 107 (santé mentale pour adultes), réseaux santé mentale pour enfants et adolescents, etc. Certaines initiatives intègrent la deuxième ligne, d’autres pas. On notera que leurs territoires ne correspondent pas alors que la plupart ont une dimension similaire, ce qui rend difficile l’articulation entre eux. On notera aussi que chaque dispositif (hormis les projets 107) est constitué en asbl et dispose de peu de moyens. Une refonte globale est nécessaire pour mieux utiliser les ressources, simplifier le système et le rendre plus visible. Aujourd’hui, peu de professionnels se retrouvent dans ce dédale et les usagers encore moins.

Un meilleur accès

L’un des objectifs de la territorialisation est que l’usager ait le meilleur accès possible à l’ensemble des services nécessaires à sa santé. L’accessibilité à ces services n’est pas la même selon de degré de spécialisation : un service de transplantation cardiaque peut se trouver à deux cents kilomètres de chez lui, pas son généraliste. On peut distinguer quatre niveaux de territoire : -la grande proximité : 5 000 à 10 000 habitants. C’est le quartier, un ou plusieurs villages, où l’on trouve le généraliste, le pharmacien, la maison médicale… -la proximité : 50 000 à 150 000 habitants. C’est la ville et les communes environnantes, où se trouve l’hôpital local ; -la sous-région : 100 000 à 500 000 habitants. C’est l’échelle de douze territoires des SISD par exemple et des réseaux hospitaliers ; -la région, ou encore l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles et les hôpitaux universitaires. Il faut aussi tenir compte de la densité de population. Elle n’est pas la même d’une ville à l’autre (Liège n’est pas Charleroi) ni dans les zones très rurales (le Luxembourg, le Namurois…) ou les zones semi-rurales qui couvrent à elles seules la majeure partie de la population, soit quelque 2 millions d’habitants. Dans sa récente réforme de la première ligne, la Flandre a opté pour la restructuration du système sur base du développement de zones de soins de première ligne de 75 000 à 125 000 habitants. Nous pensons également que cette taille de territoire est pertinente pour organiser la première ligne en Wallonie. Pourquoi ? Parce qu’elle est suffisamment grande pour regrouper un ensemble de services qui constituent un microsystème de santé permettant de répondre à 95 % des besoins d’une population, et qu’elle est suffisamment petite pour rester dans la proximité et éviter un trop grand nombre d’acteurs à coordonner de sorte que chaque « microsystème » puisse se développer en fonction de ses caractéristiques locales. Sur un territoire de plus ou moins 100 000 habitants en Wallonie, on trouve généralement une centaine de médecins généralistes regroupés en un cercle ou dans deux, les acteurs de soins et d’aide à domicile (infirmiers, kinésithérapeutes, dentistes, pharmaciens), au moins un service de santé mentale et un centre de planning familial, un centre spécialisé en assuétudes… et un hôpital1. Cette échelle permet de structurer les relations entre l’hôpital et l’ambulatoire, ce qui constitue un enjeu essentiel pour l’avenir étant donné la réduction progressive du nombre de lits hospitaliers et le transfert de soins vers l’ambulatoire. Cette dimension territoriale a aussi l’avantage de correspondre à la manière dont se structurent les bassins de vie. Hormis les grandes villes et les sous-régions très rurales, la Wallonie est constituée surtout de petites et moyennes entités, des pôles structurant la vie quotidienne avec commerces, écoles, hôpital, centres culturels, services divers… Une nouvelle territorialisation a été réalisée récemment par le Forum des associations de généralistes wallons (FAGW) en réponse à une demande de la ministre fédérale de la Santé en matière de définition des territoires des postes de garde. Ces territoires, pour la grande majorité, comptent entre 50 000 et 150 000 habitants. Ils ont été négociés entre associations de médecins généralistes, acteurs incontournables de la première ligne. Cette territorialisation, la seule du genre pour le moment, pourrait servir de base à l’élaboration des « zones de soins de première ligne » annoncées dans la déclaration de politique régionale wallonne.

Faire comme en Flandre ?

La Flandre a décidé de mettre en place des « conseils de soins ». Constitués en asbl et sub- ventionnés par la Région, ils sont composés de représentants des différents métiers de soins et d’aide de première ligne, de représentants d’usagers (et leurs proches) et de pouvoirs locaux. Leur rôle est d’organiser l’offre d’aide et de soins de manière pluridisciplinaire sur le territoire local. Un modèle similaire pourrait être envisagé en Wallonie où d’autres missions pourraient leur être confiées, comme celles d’organiser les gardes, de visibiliser l’offre existante via la création de « guichets uniques », de soutenir les initiatives locales en matière de promotion de la santé, d’identifier finement l’adéquation de l’offre aux besoins pour conseiller le politique dans ses choix, etc. Mais la définition de zones de première ligne ne règle pas tout, loin de là. Qu’advient-il dans ce scénario des structures de « réseau » évoquées plus haut ? Certaines d’entre elles pourraient se fondre dans les conseils locaux, comme les réseaux multidisciplinaires locaux (liés aux cercles, leur territoire correspondant en tout ou en partie à celui des postes de garde). Ou encore les centres de coordination de soins et services à domicile qui ont actuellement une action sur des territoires similaires. À côté de cela, d’autres dispositifs travaillent sur des territoires plus grands : services intégrés de soins à domicile, réseaux assuétudes, centres locaux de promotion de la santé, réseaux psy 107, plateformes palliatives… Il sera sans doute nécessaire de garder cet échelon intermédiaire entre le local et le régional, mais il serait judicieux d’en harmoniser les territoires et de les regrouper, éventuellement dans une structure commune, pour réduire l’éparpillement des moyens et développer une approche plus transversale. On peut s’interroger aussi sur la pertinence d’avoir sur des territoires similaires, mais différents, des structures différentes comme les réseaux assuétudes, les plateformes de santé mentale et les réseaux 107. La Flandre a prévu de le faire dans son décret du 26 avril 2019 et Bruxelles l’a en partie réalisé avec Brusano. Pourquoi pas la Wallonie ?

Des freins

Cette vision qui semble rationnelle a aussi ses détracteurs, et parmi eux ceux qui redoutent une limitation du libre choix. Il faut être clair à ce sujet : le libre choix doit être préservé. Une telle organisation est nécessaire pour les soins complexes, et surtout les personnes en perte d’autonomie. Qu’un usager choisisse de consulter un généraliste à proximité, un psy à cent kilomètres, un kinésithérapeute dans la ville d’à côté et de se faire hospitaliser à Bruxelles pour une intervention, cela ne pose pas de problème tant qu’il peut coordonner lui-même l’ensemble, ce qui est fort heureusement le plus souvent le cas. Par cette réforme, il s’agit simplement d’offrir à la population la plus fragilisée un ensemble de services structurés et mieux coordonnés qu’actuellement. Libre à chacun d’en profiter ou pas, la territorialisation n’a pas pour objectif de créer des frontières. Un autre point sensible à l’heure d’écrire ces lignes, c’est la constitution des réseaux hospitaliers. La ministre fédérale de la Santé a prévu sept réseaux en Wallonie alors que la région compte douze zones de soins. Chaque réseau doit couvrir environ 500 000 habitants et l’ensemble des réseaux doit couvrir l’ensemble du territoire, ce qui implique de facto une territorialisation. Or, on s’aperçoit que les découpages annoncés ne correspondent en rien aux zones de soins de Wallonie et que les territoires des postes de garde, plus petits, ne sont pas pris en compte non plus. Ceci tient sans doute au fossé abyssal entre le monde hospitalier et celui de l’ambulatoire : deux mondes qui ne se parlent jamais au niveau politique. L’occasion ou jamais d’amorcer ce dialogue essentiel ?

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°89 - décembre 2019

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