Le cri d’espoir des médecins bruxellois
Christophe Barbut, Gwendoline Hoven
Santé conjuguée n°89 - décembre 2019
En 2018, la Fédération des associations de médecins généralistes de Bruxelles (FAMGB)1 avait tiré la sonnette d’alarme dans un Livre noir comprenant douze revendications pour davantage de soutien des médecins généralistes dans le domaine des soins de santé mentale. Cette année, la Fédération présente son Livre blanc : agir ensemble… une suite totalement préméditée.
Le Livre blanc2, appel à l’action, doit servir à lancer un débat sans exclure de voix, à fédérer et non à diviser. Dans ce nouvel opus, riche en récits glanés dans les cabinets bruxellois, les crises trouvent une issue, les suicides sont évités, les personnes à la dérive reprennent pied. Et ce, parce que les médecins traitants ont trouvé la bonne porte à pousser, ont pu tabler sur l’intervention déterminante d’une équipe multidisciplinaire, sont entrés dans une synergie rapide et efficace avec des spécialistes. Selon l’Institut scientifique de santé publique, c’est en Région bruxelloise que l’on trouve la plus forte concentration de personnes avec des difficultés psychologiques3. Quatre personnes sur dix y présentent des problèmes liés à la santé mentale4. Plus d’un jeune sur quatre âgé de quinze à vingt-quatre ans exprime un mal-être psychologique léger, comme l’indique l’État des lieux de l’enfance et de la jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles5. Mais si Bruxelles, comme beaucoup de métropoles européennes, concentre tous les facteurs à risque de souffrance psychique (facteurs socioéconomiques défavorables), elle regorge aussi d’intervenants qui secourent les plus fragiles mentalement. C’est le travail avec ces différents acteurs que le Livre blanc souhaite mettre en exergue sans pour autant viser l’exhaustivité. Même si la problématique de la santé mentale y est appréhendée à travers le prisme de la médecine générale, nombreux sont les témoignages qui mentionnent le coup de pouce décisif de tel ou tel service de soutien face à un cas clinique complexe.Helpdesk et une coordination centralisée
Aujourd’hui, les systèmes de soutien téléphonique mis en œuvre par de nombreuses structures constituent des ressources précieuses et pertinentes pour les omnipraticiens. Et ce, bien que leurs horaires ne collent pas toujours forcément avec ceux d’une pratique médicale. En contactant un helpdesk, le généraliste est appelé à reformuler le cas clinique. Cette reformulation exige du médecin qu’il prenne de la distance pour décrire au mieux la crise ; reverbaliser le cas permet au médecin de le retravailler et au patient d’entendre sa situation dépeinte, différemment, par un tiers. Il est également intéressant pour le médecin traitant de faire appel à un helpdesk quand bien même il a déjà un diagnostic en tête, voire la réponse à mettre en œuvre. Échanger lui permet de confronter sa vision et de s’ouvrir à d’autres solutions. Mais, si un helpdesk assume également une fonction de dépannage fort appréciée par les médecins, il faut encore que le médecin sache à quel helpdesk s’adresser. En effet, à Bruxelles les permanences téléphoniques sont légion, avec chacune sa spécificité, son secteur et sa zone d’activité. Un vrai labyrinthe pour le médecin généraliste qui perd systématiquement un temps précieux pour le patient et pour lui-même. Une coordination centralisée pour tout le territoire régional serait la bienvenue. Non pas un numéro qui se bornerait à transmettre un annuaire de numéros uniques, mais bien une cellule d’appui active sur les dix-neuf communes animée par des acteurs disposant de l’expertise nécessaire pour un aiguillage fin. Collaboration multidisciplinaire À Bruxelles, les médecins généralistes décrivent deux formes de collaboration multidisciplinaire : d’une part la collaboration interligne, qui s’établit entre l’ambulatoire et l’hospitalier, et d’autre part la collaboration intersectorielle qui englobe les échanges s’établissant avec tous les intervenants actifs de la santé mentale (les centres de santé mentale, les assistants sociaux, les structures d’appui…). Pour que cette collaboration puisse être fructueuse, le médecin généraliste doit avoir un réseau dont les composantes ont conscience de leurs interactions, à l’instar des maisons médicales qui ont souvent la chance d’avoir un psychologue entre leurs murs. Il faut à la fois reconnaitre le rôle du médecin généraliste dans la sphère de la santé mentale, mais aussi reconnaitre et respecter le rôle de tous les autres intervenants. Ceci suppose que les maillons de la chaine de collaboration apprennent à mieux se connaitre, à cerner leur expertise respective et à se faire réciproquement confiance. La concertation entre les intervenants ne doit pas être oubliée. Lorsque l’omnipraticien réfère un patient vers d’autres acteurs, le manque de structure de concertation se fait ressentir : « nez sur le guidon », les médecins n’ont pas le temps ni les moyens de rassembler tous les intervenants autour du patient. Aucune structure ne le permet généralement et les intervenants ont, eux aussi, rarement le temps de s’y consacrer. Dès lors, la collaboration multidisciplinaire souffre d’une absence de concertation et d’un manque de dialogue, principalement avec la deuxième ligne. Or, la concertation est primordiale pour le suivi du patient.Accessibilité aux soins psychiatriques
La question de départ à laquelle se confrontent tous les généralistes dans la gestion de patients porteurs d’un problème de santé mentale est : « lequel doit-on orienter vers une thérapie et à partir de quel moment ? » Ainsi, dans la patientèle, on trouve des patients demandeurs d’une prise en charge spécialisée (la plupart du temps ils sont en situation d’urgence et le ressentent) et des non-demandeurs (pour lesquels on peut d’ailleurs s’interroger : qui serait l’interlocuteur le plus à même de les convaincre ?). De même, en termes de rapidité de réorientation du patient, les attitudes et les habitudes diffèrent d’un médecin généraliste à l’autre. Il y a ceux qui ont le réflexe de référer rapidement leurs patients vers une thérapie, et ceux qui attendent de constater un problème plus profond avant de les orienter. Lorsque le patient accède enfin à ce second échelon de soins, trop souvent non sans difficulté, il n’y a, à l’heure actuelle, généralement aucun retour du spécialiste vers le médecin généraliste. Pourtant, les généralistes aspirent à une relation équilibrée avec les psychiatres. On en revient donc à l’importance de la concertation entre les différents acteurs des services de santé mentale et la médecine générale. Les accompagnateurs psychosociaux et les infirmiers de liaisons hospitaliers doivent être plus présents, mais aussi mieux reconnus. Ces derniers remplissent des rôles primordiaux pour le patient, mais aussi pour les différents acteurs soignants autour du patient. Ils permettent une circulation fluide des informations vers chaque acteur concerné contribuant, de ce fait, à une prise en charge optimale du patient. L’an dernier, nous avions crié ; nous avions partagé des témoignages « noirs ». Aujourd’hui, nous voulons continuer d’avancer. Nous avons recueilli des récits de situations qui ont fonctionné, de trucs et astuces qui ont permis d’offrir le meilleur suivi possible au patient en difficulté. Nombreuses sont les tranches de vie qui mentionnent l’aide décisive des services de soutien lors d’un cas clinique complexe. Et le fait qu’une structure bruxelloise ne soit pas citée dans les témoignages ne signifie en rien qu’elle n’abat pas, elle aussi, un travail remarquable. Il n’est pas innocent que le sous-titre du Livre blanc soit Agir ensemble : contribution des médecins généralistes. Cet ouvrage doit servir à lancer le débat, à réunir. Nous sommes convaincus qu’en apprenant à nous connaitre, en prenant le temps de nous rencontrer pour échanger nos visions et nos expériences, nous ne pourrons que mieux travailler ensemble.Documents joints
- La FAMGB représente plus de 1 400 médecins et organise le service de garde à Bruxelles.
- Livre blanc de la santé mentale à Bruxelles. Agir ensemble : contribution des médecins généralistes, FAMGB, juin 2019.
- KCE, Enquête de santé 2013 – rapport 1 : santé et bien-être.
- Proportion des personnes présentant au moins deux diffi cultés psychologiques, identifi ées via le General Health Questionnaire (GHQ).
- Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, État des lieux de l’enfance et de la jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles 2017-18.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°89 - décembre 2019
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