La notion de système local de santé – ou SyLoS – mis en place notamment à Malmedy trouve sa source dans des expériences de coordination menées en République du Congo et en Amérique du Sud.
Le département de Santé publique (DSP) de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers1 s’intéresse depuis la fi n des années 70 à la manière de coordonner les acteurs des deux lignes de soins pour renforcer leur complémentarité. Son expérience de terrain à Kasongo a rapidement montré que la notion de « district de santé » était parfaitement adaptée à la situation rurale prévalant à cette époque en République démocratique du Congo. Originaire des pays anglo-saxons, le district de santé suppose que les lignes de soins sur un territoire défi ni travaillent en bonne coopération pour être complémentaires et pour offrir un service de santé non seulement effi cace, mais aussi effi cient. Dès la conférence d’Alma-Ata en 1978, cette politique de district est adoptée sous le nom de « soins de santé primaires » qui, contrairement à l’acception belge, inclut les deux lignes de soins. Il y a un rationnel relativement simple à la base de cette option : un soignant de première ligne qui ne pourrait compter sur le soutien d’un service hospitalier en cas d’urgence ou de problème plus spécialisé perdrait rapidement la confi ance des usagers. De même, un hôpital qui n’aurait pas de relation avec la première ligne pour lui envoyer des patients et pour les contre référer ensuite arriverait peut-être à fournir des soins efficaces (et encore !), mais au prix d’une inefficience dramatique. Au niveau international, la notion de soins de santé primaires a aussi eu du mal à être comprise dans son acception initiale. Si bien qu’en 1987 l’OMS a organisé une nouvelle rencontre à Harare (Zimbabwe) entièrement dédiée à la politique de mise en place de districts sanitaires.Un modèle
En parallèle du projet de Kasongo, le DSP avait commencé à répliquer son modèle dans de nombreuses autres situations rurales et urbaines, dans diff érents continents. L’objectif n’étant plus de valider le « modèle » de district, mais d’analyser son adaptabilité à d’autres contextes. La notion de modèle nécessite d’être précisée : le modèle n’est pas prescriptif, mais un point fi xe auquel se référer et à utiliser comme une boussole pour s’adapter au mieux au contexte. Il ne s’agit donc pas de reproduire le projet de Kasongo, mais de l’étendre en l’adaptant à d’autres contextes. Le modèle peut au minimum être résumé comme suit : les deux lignes de soins sont complémentaires et ne peuvent fonctionner au mieux qu’en se coordonnant pour que toutes les situations soient couvertes sans trous dans le système et en évitant les chevauchements inutiles. Dans un système bien coordonné, il faudrait : 1) que le patient soit encouragé à utiliser le niveau le plus adapté à son problème ; 2) que, si nécessaire, sa référence et sa contre référence soient organisées ; 3) tout en assurant le transfert des informations le concernant. La notion de « système local de santé » (SyLoS) est née de l’observation par l’équipe du DSP de la situation en Amérique latine (sistema local de salud) où, contrairement à l’Afrique à l’époque, l’offre de soins n’était pas faite principalement par les autorités publiques, mais aussi par des prestataires privés avec ou sans but lucratif. Dans ces conditions, concevoir et mettre en oeuvre une politique de coordination de l’offre de soins sur un territoire donné impliquait de considérer l’ensemble des acteurs, publics comme privés à finalité publique. Le DSP a obtenu en 1997 un financement du SPF Santé pour tester l’adaptation du principe de coordination de l’off re de soins dans diff érents SyLoS belges. Cela supposait de confi er à des acteurs du système la responsabilité de coordonner les deux lignes de soins à l’image de ce qui, dans le Sud, est connu comme « l’équipe cadre de district ». Dans l’expérience belge, cette fonction essentielle a pris le nom de « groupe de pilotage ». Une recherche-action a été menée durant cinq ans avec des équipes des services de santé de Gand, Bruxelles, Anvers, Ath et Malmedy, ces personnes remplissant le rôle de coordination des lignes de soins. Postulant que les acteurs eux-mêmes peuvent prendre en charge la modération des réunions, la recherche- action s’est trouvée contredite par les faits : ils ne sont pas formés à cette tâche et ne souhaitaient pas s’engager dans cette voie par la suite. En revanche, les faits ont montré l’importance du rôle de modérateur. La réflexion du DSP se poursuit dans ce domaine et ce rôle pourrait aussi être proposé dans les districts et Sy LoS existant au Sud, où souvent l’absence d’un tiers neutre rend difficile sinon impossible la coordination entre les lignes. Précisons encore que, dans tous les contextes, le SyLoS existe de facto : qu’elles le veuillent ou non, qu’elles en soient conscientes ou pas, les lignes de soins sont dépendantes les unes des autres.L’exemple de Malmedy
La recherche-action a commencé en 19992. Suite aux premiers constats de terrain, les modalités de la mise en place du groupe de pilotage du SyLoS ont prévu explicitement que les acteurs y participant devaient être mandatés par le groupe qu’ils représentaient. C’est important pour pouvoir répercuter ensuite les décisions du groupe de pilotage vers leurs mandants. Depuis le début, trois associations locales de médecins généralistes (Malmedy, Waimes, Stavelot) mandatent leurs représentants. La clinique Reine Astrid (CRA) mandate son directeur médical, deux spécialistes et la directrice du nursing. Depuis une dizaine d’années, les infirmières de première ligne – libérales et d’institution de soins à domicile – ont deux mandataires. L’infirmière-chef de la principale maison de repos et de soins est aussi impliquée dans la dynamique. Des assistantes sociales, des responsables d’associations de soins à domicile sont régulièrement invitées aux réunions de même que, selon le sujet traité, d’autres spécialistes de la CRA ou le responsable de l’association des pharmaciens d’officine. Les réunions mensuelles abordent tous les sujets mis sur la table par les acteurs eux-mêmes, pour autant qu’ils concernent les deux lignes de soins. Il s’agit souvent de problèmes de communication, de choix de procédures pour la référence et la contre référence. Souvent, la révélation d’un incident critique permet de réfléchir à un problème d’organisation. La résolution de l’incident lui-même n’est pas du ressort de la réunion, car il sera traité par les acteurs concernés. Le groupe de pilotage essaie alors d’établir une procédure pour que ce type d’incident ne se produise plus. Les discussions font parfois apparaitre des problèmes internes à une ligne de soins. Dans ce cas, le problème est renvoyé au niveau concerné. Les évolutions dans l’off re de soins des différents niveaux sont aussi abordées : création d’un service de gériatrie à la CRA, création d’un centre médical offrant une permanence ouverte de consultation de médecin généraliste à deux pas de la CRA, installation à cet endroit d’un dispensaire de soins infirmiers. Le rôle du modérateur est d’encadrer les discussions en veillant à rester centré sur le sujet et en identifiant des questions de coordination réelles qui n’auraient pas été perçues par les acteurs. En aucun cas, il ne propose de sujets de discussion. Un compte-rendu est systématiquement envoyé à tous les membres du comité de pilotage, à tous les généralistes des trois associations, à l’ensemble des spécialistes de la CRA et à toutes les infirmières-chefs de service. Les principales propositions d’organisations et décisions y sont mises en évidence. L’expérience des SyLoS remplit un vide dans le paysage institutionnel sanitaire belge : l’absence de personnes effectivement chargées de coordonner, dans une entité donnée, les lignes de soins pour rendre leur complémentarité nécessaire effective.Documents joints
- Bien que l’IMT ait pour principal centre d’intérêt les problèmes de santé du tiers-monde, l’équipe du DSP était depuis sa création impliquée dans une réflexion sur le système de santé belge. Ses membres fondateurs étaient membres du Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM) et encadraient le travail des chercheurs qui appuyaient le mouvement des maisons médicales, Monique Van Dormael et Jean Van der Vennet.
- Diverses expériences en découlent : à Liège, autour des deux grands hôpitaux régionaux (grâce au soutien du département de Médecine générale de l’ULg), à Huy, et à Bruxelles (à l’initiative des médecins généralistes et de deux grands hôpitaux du centre-ville et avec le soutien de la Fédération des associations de médecins généralistes de Bruxelles).
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°89 - décembre 2019
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