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« Madame, je dois téléphoner à mon avocat ! »


Santé conjuguée n° 59 - janvier 2012

L’histoire de Damien est exemplaire. Elle nous montre combien l’intervention coordonnée de différents intervenants est nécessaire au patient mais en même temps comment les intervenants autour du patient deviennent eux-mêmes parties du système du patient. « Damien se constitue un réseau d’autres, qu’il appelle à une certaine fonction, dans une tentative de faire exister un peu ce manque humanisant qu’il tente par ailleurs de boucher à tout prix… cet appel insiste et vient aérer un système franchement mortifère. Encore fallaitil que chacun, appelé par Damien à cette place, y réponde présent… Même si le réseau officiel ne l’a pas prévu ».

Histoire de Damien

Damien, à 17 ans, vit seul avec sa mère (Mme S.) depuis des années. Ses parents se sont séparés quand il avait trois semaines. Son père a fait plusieurs séjours en prison. Damien nous dira qu’il est mort en 2009 d’une hémorragie ou bien tué par balle. Il a un frère de trois ans son aîné et plusieurs frères plus âgés du côté de son père. La mère de Damien ne travaille pas ; elle a, dit-elle, un syndrome de fatigue chronique. Il y a trois ans, la mère de Damien l’a fait hospitaliser une première fois. En effet, un épisode d’agitation et de violence envers sa mère a succédé à une période de dépression. A cette occasion, il a évoqué des hallucinations visuelles et auditives : il entendait la voix de son père mais ne comprenait pas ce qu’elle disait. Après plusieurs hospitalisations et une mise en observation aux Marronniers à Tournai suite à un épisode maniaque, Damien entre au Quotidien Adolescents, l’hôpital de jour où je travaille. Damien est presque mutique à son arrivée, dans un retrait total (très médiqué, il est vrai). Petit à petit, il sort de sa réserve. Plus souriant et détendu, il commence à tisser des liens avec l’un ou l’autre jeune. Il est parfois ironique, riant sous cape à propos d’un patient. Nous le découvrons aussi tyrannique, exigeant son repas, ordonnant qu’on le serve parce qu’il tremble et n’arrive pas à le faire lui-même. Lors des entretiens de famille, pendant lesquels Mme S. consulte souvent Damien pour savoir si elle a le droit de parler de tel ou tel sujet, ce à quoi Damien répond oui ou non, nous apprenons qu’il dort avec sa maman et malgré l’achat d’une « chambre », cela continue : il a un lit mais pas de sommier ni de matelas… Elle évoque aussi les crises de son fils, s’en plaignant et riant en même temps. Mme S. parle aussi, lorsque son fils est absent, de la masturbation de Damien, dans laquelle il tente de la faire intervenir en lui demandant de « sentir sa main ». Ca, quand même, dit-elle, c’est exagéré. Mme S. est souvent malade, blessée, plâtrée et Damien dit qu’il a peur que sa maman meure. Il reste parfois chez lui « Je dois aider maman, elle est dans le plâtre, elle peut rien faire ! ». La mesure de maintien de la mise en observation est confirmée à la suite d’une audience avec le juge de paix, qui aura lieu à l’hôpital de jour. Lors de cette audience, Mme S. dit que les choses se passent mieux à la maison, qu’il vient régulièrement au Quotidien, qu’une nouvelle hospitalisation n’est pas nécessaire… Le pédopsychiatre, notre chef d’unité, est nommé responsable du maintien. Damien a l’obligation de se soigner et donc, de venir au Quotidien Adolescents tous les jours. Damien est soulagé : le juge a décidé qu’il devait se soigner obligatoirement, mais qu’il ne devait pas retourner aux Marronniers. Cela reste sa crainte, comme si on le menaçait de l’enfer… Il doit donc venir tous les jours au Quotidien. Il est prévu qu’il rentre le soir chez sa mère et doit trouver le moyen que « ça se passe bien ». Après le jugement, Mme S. nous appelle de plus en plus fréquemment : Damien fait des crises à la maison. Il exige de l’argent, ne veut pas se lever, vide le frigo… Il tape dans les meubles et à l’occasion, la frappe. Le jeune homme arrive de plus en plus tard à l’Hôpital de jour. Il demande de plus en plus si le juge va l’obliger à retourner aux Marronniers parce que c’est ce dont sa mère et son frère le menacent. Il reste parfois tétanisé, après des moments très agressifs, sans pouvoir se lever, figé par la crainte d’être renvoyé à Tournai. Paradoxe… C’est à ce moment-là que commencent, lors de conflits la nuit ou le week-end, les appels au psychiatre, chef d’unité. Message de Mme S. : « Il s’énerve parce que je lui ai dit non pour un MP3. Il tape dans tout, je n’en peux plus. ». Message de Damien : « Ca ne peut plus durer ! Je veux aller dans un appartement supervisé, je dois me séparer de ma mère. ». Le psychiatre accuse réception des messages. Il propose qu’avec l’infirmière en santé communautaire, Damien cherche un hébergement, la proximité leur étant nuisible à tous les deux. Au Quotidien, Damien arrive de moins en moins souvent et de plus en plus tard, (disant qu’il est fatigué, qu’il n’arrive pas à se lever, que c’est la faute des médicaments…) mais presque toujours en me disant : « Je veux téléphoner à mon juge pour savoir s’il est d’accord que j’aie un appartement ». Il a même plusieurs échanges avec le greffier, à qui il demande s’il croit que le juge sera d’accord. Il faudra de nombreux appels pour éclaircir ce point : Damien n’ayant pas de dossier ’service de protection judiciaire’, mais bien une mesure de maintien dans le cadre d’une mise en observation, le juge précise que son intervention est terminée. Il a mandaté le psychiatre pour toutes les décisions relatives au traitement de Damien. C’est ce traitement qui est obligatoire dans le cadre de la mesure de maintien. Le juge n’a donc, nous explique–t-il, plus rien à dire ni pour une ré-hospitalisation, ni pour une décision de lieu de logement. Damien donnait au juge une fonction qui garantissait une distance entre lui et sa mère. J’ai demandé au juge s’il accepterait de rester un interlocuteur pour Damien afin qu’il puisse lui apporter son soutien symbolique à ce projet de vie décollé de sa mère. Le juge m’a répondu qu’il n’avait pas l’autorité de le faire. C’était une réalité d’autant plus difficile à comprendre pour Damien et sa maman que ce même juge était intervenu dans le cadre d’un dossier ’service de protection judiciaire’ pour son frère et était donc le juge de son frère, comme Damien disait « Mon juge », habilité à prendre les décisions à son sujet. Damien m’a demandé plusieurs fois « Mais alors, qui décide pour moi ? ». Néanmoins, me dit le juge, l’avocat peut être pour lui un interlocuteur. Les coups de fil de Damien et de sa mère au psychiatre se poursuivent. Mme S. m’appelle régulièrement pour me dire que ça ne va plus du tout à la maison : « il ne fait que des crises ». Pourquoi n’a-t-elle pas évoqué cela à l’audience puisqu’il semble que la vie avec Damien est si difficile ? « J’avais peur qu’il soit triste. Quand il était aux Marronniers, je ne pouvais presque pas aller le voir parce que je n’avais pas assez d’argent. Il était malheureux ». Aux requêtes de Damien (presque ses ordres), nous répondons « oui, mais, … », nous différons. Ce n’est possible qu’à la condition de rester non menaçant. Il peut alors supporter les petits manques que nous introduisons, si nous l’accompagnons pour les traverser. Damien arrive régulièrement en disant d’emblée de façon insistante « Madame, je veux téléphoner à mon avocat ». Je diffère, « Oui, bien sûr pour quoi ? ». Nous discutons de ce qu’il veut lui demander… Souvent il sort, claquant la porte et grommelant des injures, ce dont je ne lui reparle pas… En général, il revient me voir « Je voudrais lui demander son avis, si c’est une bonne idée d’habiter seul » ou « si je peux chercher un travail. ». Il téléphone chaque fois qu’il vient ; nous travaillons au fait qu’il n’y ait pas plus d’un appel par jour. L’avocate me contactera pour dire qu’elle n’est pas très sûre de la pertinence de ses réponses : lorsqu’elle a Damien au téléphone, elle soutient de toute façon ses projets. Fort bien… Souvent aussi, lorsque Damien est à l’hôpital de jour, il demande à téléphoner à sa mère « Je voudrais savoir si elle vient me chercher… Elle m’a dit qu’elle venait mais j’ai peur qu’elle oublie ». Bien sûr, lui dis-je, il pourrait téléphoner si c’était dans le cadre du travail, mais là, il me semble que c’est un appel privé, qui relève de son téléphone personnel. Je dois rendre compte des appels à la direction. « Mais je n’ai pas d’argent, je n’ai pas de crédit ! ». Je lui propose de s’arranger clairement avec sa mère le matin… Parfois il vient avec 0,50€ pour payer le coup de fil qu’il demande à donner. Il est arrivé à un éducateur d’interpeller Damien avec quelques exigences, en élevant le ton, lors d’une activité cuisine. Il s’en plaint, demandant que mon collègue soit vu par le psychiatre « Il doit se faire engueuler ! ». Je verrai Damien et mon collègue, lui disant qu’il est important de s’adresser avec une voix douce à Damien, même si on a une remarque à lui faire. Mon collègue répond qu’il fera attention à l’avenir et demande à Damien de l’excuser. L’incident est clos. Face à son attitude autoritariste, nous nous montrons extrêmement faillibles, manquants, ce qui lui permet de s’adoucir. « Dites à l’infirmière de terminer de taper mon curriculum vitae et de l’envoyer. ». Je lui réponds qu’elle sera dans l’impossibilité de le faire sans lui, que sa présence est indispensable… Les difficultés entre Damien et sa mère sont de plus en plus massives. Il cherche tous azimuts avec l’infirmière sociale un autre lieu de vie. Ils trouvent finalement : Damien est accepté dans un service résidentiel pour jeunes où ils ont quatre places pour grands adolescents, avec des éducateurs qui passent pour les aider à assumer la vie quotidienne. Il semble très content d’être admis mais la situation est tellement difficile avec sa maman qu’il la frappe. Le psychiatre décide qu’il passera la semaine précédant son entrée au service résidentiel pour jeunes, aux Marronniers. Lorsque le médecin prend cette décision, Mme S. demande « Est-ce que ça va remettre en question son entrée en institution ? ». Nous entendons l’équivocité de sa question. Damien, lui, a préparé sa valise depuis 15 jours. Il entre fin septembre dans cette habitation protégée. Il est prévu qu’il vienne les jours de semaine au Quotidien Adolescents et rentre chez sa mère le week-end. Son séjour durera trois mois. Le début est enchanteur : Damien vient tous les jours, arrive à l’heure, détendu et souriant, fabrique des cadeaux à donner à sa maman le vendredi… Assez vite, la situation commence à se détériorer. Les éducateurs du lieu qui l’héberge ont un accompagnement très éducatif qui convient à de nombreux jeunes. Damien, lui, est très interprétatif. Chaque jeune doit assumer la vaisselle, le nettoyage, la préparation des repas, le rangement… Damien a peu d’expérience en la matière et il a l’impression de faire ce qu’on attend de lui. Mais les remarques, conseils et plus tard reproches vont être de plus en plus fréquents. Il entend chaque remarque comme une persécution supplémentaire. « Je dois tout le temps ranger, nettoyer, faire la vaisselle. Je ne suis pas leur esclave ! ». Il nous dit que les autres jeunes le maltraitent, que l’institution vole les allocations familiales à sa mère, qu’ils (les éducateurs) devraient lui acheter un abonnement de tram… Les week-ends avec sa mère se passent plutôt bien et au Quotidien, s’il arrive de nouveau moins souvent et plus tard, il est assez apaisé. Il s’y plaint beaucoup des éducateurs de l’autre institution. Au psychiatre, à qui il explique cela, il dit qu’il veut retourner vivre chez sa mère. Le médecin lui rappelle que la vie avec sa mère est impossible ; le travail de Damien est d’arriver à vivre dans cet appartement. Une éducatrice nous téléphone de temps en temps pour nous dire son inquiétude : Damien est fragile. Elle se rend compte qu’il a besoin d’un autre type d’encadrement. Petit à petit, il cesse de se laver. Il refuse de se lever et injurie celui qui l’éveille. Comme il reste dans son logement la journée, ce sont les éducateurs d’une autre structure de la même institution qui doivent intervenir. Damien nous dit que les jeunes de son habitation le frappent, qu’on se moque de lui, en lui demandant de recommencer les tâches qu’il vient de terminer… Il dit qu’un des éducateurs le bouscule. Il souille sa chambre parce qu’il craint d’en sortir pour aller aux toilettes. L’éducatrice nous transmet qu’ils ne pourront bientôt plus faire face à la situation. Damien demande à partir de là. Il VEUT retourner chez sa mère. Il s’adresse à nouveau au psychiatre, « celui qui décide pour lui ». Le médecin lui répond qu’un retour chez sa mère lui ferait faire marche arrière. Puisqu’en effet, il semble que le service résidentiel pour jeunes soit devenu trop menaçant, comment pourrait-il quitter ce lieu sans retourner chez elle ? Damien, après réflexion, propose de se faire hospitaliser à Fond’Roy où il a déjà été, le temps de trouver une autre institution. Nous mettons cette hospitalisation en place avec lui, en commençant par ailleurs, à chercher d’autres pistes pour un nouvel hébergement dont l’accompagnement prête le moins possible à interprétation. L’éducatrice de son logement organisera une petite fête pour son départ dont il sera très content. Hospitalisé à Fond’Roy, Damien me téléphone plusieurs fois pour avoir des nouvelles des autres hébergements. Un jour, il vient au Quotidien s’assied dans mon bureau et me dit : « Ma maman et moi, on devrait vivre chacun de notre côté mais on n’y arrive pas. ».

Note sur la condition humaine

Comme beaucoup d’autres cliniciens, il nous paraît intéressant d’un point de vue très pratique, d’entendre les usages problématiques pour lesquels les jeunes nous sont adressés comme un traitement. Ce que le patient traite, comme ce que nous traitons nous aussi sur un mode plus léger, relève de la condition humaine. En effet, la condition humaine n’est pas confortable. L’humain n’a pas le mode d’emploi de sa condition. L’animal est résolument réglé, programmé pour sa survie, pour la survie de l’espèce. Tout, chez l’être vivant animal est déterminé. Chaque individu de la faune se situe de façon équivalente, ou va se loger à la place prévue pour lui avec exactitude. Voilà un fonctionnement fixe, qui ne s’altère pas puisqu’il n’y a pas d’altérité… Ce n’est pas que c’est facile, mais il n’y a pas de question sur les choix à faire. On connaît peu d’abeilles qui lors de leur première sortie de la ruche se disent « J’hésite vraiment entre Reine et ouvrière… ». Pas d’avant ni d’après, pour l’animal. L’être parlant, d’être pris dans le langage, est boiteux. Le langage est, par nature équivoque. C’est d’ailleurs cette dimension qui fait un effet de drôlerie parfois, et certains en usent pour nous faire rire. Les blagues racontées, les mots d’esprit sont constitués par l’équivoque du langage1. Il suffit de nommer l’objet le plus usuel (une table) pour nous le représenter chacun de façon personnelle : la voyez-vous ronde ou rectangulaire, avec quatre pieds ou un pied central ? Epoque du Bauhaus ou Louis XVI ? L’objet réel de la table est raté par le mot qui le nomme. Il n’y a pas de représentation universelle pour l’être humain. « Ca ne marche pas », ça cloche, ce n’est jamais tout à fait adéquat… Avec le langage, une part d’indétermination entre dans la causalité humaine, et c’est cela qui nous donne à penser, rêver, espérer, supposer… Chacun tente donc, avec plus ou moins de bonheur, de mettre au point un nouage qui tienne le coup avec cette indétermination, avec la liberté de l’homme et avec le lien social aussi, avec « les autres »… En effet, si le comportement humain n’est pas fixé, ce qui le lie à l’autre non plus. On peut appeler ce nouage « symptôme », même si ce qui est mis en place n’est pas problématique, comme la pratique de la peinture, la passion de la lecture ou du karaté ou le goût pour la finance… Il n’est pas fixe, bien sûr. Il se module et s’altère en fonction de l’histoire, des rencontres… Ce symptôme, au sens large, est donc une façon de s’arranger avec la condition humaine, avec le monde. Parfois, le nouage ne tient plus. Le montage qui permet de traiter la condition humaine (ce que nous repérons comme nos habitudes, nos répétitions,…) devient problématique pour quelqu’un ou pour son entourage. La demande d’hospitalisation arrive au décours de ce processus. Les patients hospitalisés ont un rapport au monde, à la langue, qui ne leur permet pas, temporairement, de mener une vie sociale habituelle. Le symptôme souvent anodin jusque là, fait des ravages.

Que traite Damien

Damien vit dans le prolongement de sa mère. Aussitôt qu’il s’en éloigne un peu, il en appelle à elle… Si le manque est la condition qui produit l’humain, si ce manque est ce avec quoi chaque être parlant se débrouille tant bien que mal, Damien et sa mère le traitent d’une façon particulière : elle est celle qui doit le compléter absolument : argent, objets, sexualité… Il est celui qui doit la compléter absolument : sa béquille, son protecteur, sa future source de revenus. Peut-on dire qu’avec ce lien absolu, il s’agit, à tout prix de réduire à néant le manque constitutif de la condition humaine ? Dans ce montage à deux où l’un s’accroche à l’autre sitôt qu’il s’en éloigne, qui délirera le premier ? Et pourtant, Damien cogne, il « fait des crises » si forte que la maman doit faire appel à un autre médical. Ils doivent sortir de leur duo fou sous peine de mort. Ils nous disent, à deux voix, que Damien a d’abord fait une grosse dépression et ensuite les crises sont apparues. Le système de complétude s’effondre, à l’adolescence (et dans différentes conjonctures) et les crises ont très vite un effet de séparation dans la réalité puisque Damien, à la demande de sa mère, est hospitalisé. Le prix à payer est cher, pour Damien. Il nous parle des Marronniers, sans visite de sa mère, comme du lieu de l’horreur, où les autres le persécutaient tellement qu’on a dû le changer de service. Aussitôt qu’il est dans un lieu de vie, un climat de persécution s’identifie assez rapidement. Il veut donc quitter le lieu le plus vite possible et rentrer chez sa mère. Chez elle, la situation est un peu différente puisqu’elle est en même temps son point de collage et son point de persécution… Ca rend fou, en effet ! Lorsqu’il est ailleurs (hospitalisé à temps plein ou en appartement supervisé), leur lien s’apaise. Le point d’insupportable est ailleurs. Son passage au Quotidien ne sera pas équivalent. Damien ne parvient pas à venir tous les jours et rentre le soir chez sa mère. Il n’est pas certain que le temps de séparation soit suffisant pour imprimer de la séparation, justement… Néanmoins, lors d’une supervision, nous nous donnons comme priorité de favoriser tous les éléments qui peuvent l’aider à venir au Quotidien, même pour quelques heures. Chaque moment à distance de sa mère est un temps de perte favorable… Mais si cette distance n’est pas consentie, elle ne peut qu’amener Damien à appeler sa mère dans un hurlement. Par ailleurs, nous accueillons réception de toutes les plaintes de Damien, concernant les jeunes, concernant les collègues, ou des intervenants extérieurs. Toute plainte est recevable et nous multiplions les interventions en triangle qui l’apaisent, à l’image de l’intervention que j’évoquais avec mon collègue. Cet appel à l’autre qui se multiplie sans s’inscrire est particulier. Englué avec sa mère, Damien en appelle au psychiatre, à « son juge », à « son avocat » dont il parle toujours au masculin… En conflit avec les éducateurs de l’habitation protégée, il nous en parle beaucoup, s’en plaint, nous demande d’y téléphoner… Je voudrais faire référence à un schéma qui m’aide beaucoup dans mon travail clinique. Le schéma L2 Le schéma tel qu’il est dessiné ici fonctionne pour beaucoup de gens : le premier lien de l’enfant à l’autre, strictement imaginaire (son corps est une extension du corps de l’autre et inversement) se trouve interrogé, perturbé, interrompu et mis sur un autre axe par l’inscription de l’Autre, l’inscription dans l’Autre, dans le monde du savoir, le monde de la langue, le monde de la culture… Le sujet advient, bancal, certes puisqu’il cesse d’être complété par le corps de l’autre, mais désirant, puisqu’il existe toujours un manque à être… Le voilà inscrit sur un axe symbolique. (Ceci est une lecture à voir d’un point de vue structurel et non chronologique comme ma formulation le laisserait entendre…). Si nous considérons que Damien se place pratiquement dans tous ses liens sociaux dans un registre imaginaire, en miroir, un lien qui ne peut être que du côté de l’amour ou de la haine… Avec sa mère, je me demande si on ne peut pas dire que c’est comme si l’axe a-a’ était ramené en un point : a a’ L’axe a disparu, ravalé en un point. Le corps de Damien est le prolongement du corps de l’autre. Il n’a pas de corps propre… Pourrait-on considérer les crises comme des tentatives d’étirer un axe d’abord, entre a et a’, de décoller les deux termes, une mise à distance obligatoire : a_______________a’ Les appels à certains autres (a1, a2, a3), qu’il met à une place particulière (instance d’autorité, instance de décision) permettraient alors de créer des espaces dans cette ligne dessinée, comme si l’intervention permettait de la séparer en pointillés dans une tentative de laisser une place, même fugitive, à une sorte de manque, une tentative d’humanisation, en somme… Comme si cette intervention de l’autre (ou même déjà l’appel à cette intervention) était une façon de mettre de l’air entre deux parois aimantées. a1 a2 a3 … a – – – _____________a’ Damien ne peut pas se passer de l’intervention dans la réalité… Le recollage imaginaire, se produit aussitôt après le décollage. Pour le dire autrement, si le levier éloigne les deux aimants, il ne les dés-aimante pas pour autant. Sitôt que l’intervention a fini de raisonner, les deux aimants s’assemblent à nouveau… Nous pourrions dire que Damien se constitue un réseau d’autres, qu’il appelle à une certaine fonction, dans une tentative de faire exister un peu ce manque humanisant qu’il (ou « ils », sa mère et lui) tente par ailleurs de boucher à tout prix… Malgré tout, cet appel insiste et vient aérer un système franchement mortifère. Encore fallait-il que chacun, appelé par Damien à cette place, y réponde présent… Même si le réseau officiel ne l’a pas prévu ! L’avocate et le greffier s’y prêtent, le psychiatre, mes collègues et moi, nous nous y essayons aussi.

Documents joints

  1. Dans le film « Ridicule », Patrice Leconte met en scène un jeune aristocrate provincial qui doit séduire Louis XVI par son esprit, pour pouvoir faire entendre sa requête. Le roi lui demande de faire un mot d’esprit avec pour sujet, lui, Louis. Le jeune baron Ponceludon de Malavoy lui répond « Sire… Le roi n’est pas un sujet… ».
  2. J Lacan, « Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique », in Le Séminaire.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 59 - janvier 2012

Les pages ’actualités’ du n° 59

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