Le médicament n’est qu’un des moyens, parmi d’autres trop souvent laissés au second plan, dont disposent la médecine et la société pour améliorer la santé des gens. S’il peut avoir de grandes vertus, il est rarement dépourvu d’effets secondaires. De plus, le chemin qui mène de la recherche pharmacologique jusqu’à l’utilisation par le patient est miné d’intérêts contradictoires, notamment économiques, qui souvent entravent son bon usage. Le Groupe de recherche et d’action pour la santé (GRAS) en fait le constat et fait 15 propositions pour revenir à un bon usage du médicament.
Voici les propositions politiques du GRAS asbl au 1er janvier 2010. Une recherche thérapeutique orientée « patient » et non « brevet » La recherche doit être au service du patient : les orientations de la recherche doivent être décidées sur base des priorités de santé publique et pas seulement, comme c’est le cas actuellement, en fonction de la rentabilité des investissements. A cet effet, un financement public doit compléter les initiatives privées au niveau européen et permettre, entre autres, une recherche appliquée en médecine générale et l’évaluation des thérapies non médicamenteuses. La recherche doit être centrée sur un bénéfice pour le patient et non sur l’obtention d’un brevet (patient centred et non patent centred). Le respect des droits des patients lors des expérimentations cliniques Il faut veiller au strict respect de la législation belge en matière d’expérimentation clinique au niveau de la pratique. Avant d’accepter de participer à un protocole de recherche, le patient doit avoir la possibilité de se faire assister par un médecin de son choix, étranger à l’équipe impliquée dans l’évaluation du nouveau traitement ; ce médecin doit cosigner l’accord, à l’instar de la procédure en vigueur en cas de dédommagement lors de séquelles suite à un accident de travail. Dans ce cadre, il faut également renforcer le rôle des comités d’éthique impliqués dans les études d’évaluation. Toute étude clinique doit être acceptée par un comité d’éthique compétent en la matière, avant d’être mise en chantier. Du point de vue légal, la mission du comité d’éthique doit être étendue à l’évaluation de la validité du protocole, de la pertinence de la question étudiée, du respect du protocole annoncé, de la disponibilité et de la publication des résultats. Les normes exigeantes proposées par l’Agence européenne du médicament pour les études présentées dans le dossier d’enregistrement pourraient servir de guide dans ce contrôle de processus (arrêté royal au Moniteur belge du 5-12-1992) : pas d’étude versus placebo quand un traitement de référence existe, pas de critères intermédiaires non validés, des critères de jugement composites cliniquement utiles… Un contrôle de la qualité du travail de ces comités doit avoir lieu à l’instar de ce qui se fait pour les laboratoires de biologie clinique. Une procédure de recours doit être prévue en cas de contestation de l’acceptation d’un protocole par un comité d’éthique. A terme, il serait bon de relancer la réflexion au sujet de ces comités d’éthique et entre autres des garanties d’indépendance (possibilité de conflit quand le rejet d’un protocole ou d’un élément de protocole peut impliquer une perte de financement pour l’institution dont les membres siègent au comité d’éthique), des places respectives laissées à la parole des experts et des usagers, de l’espace qui y est laissé aux aspects anthropo-sociologiques, philosophiques et spirituels. Tous les essais cliniques doivent être enregistrés et leurs résultats disponibles. Les effets indésirables sévères (SAE – Serious Adverse Events) doivent être enregistrés et communiqués aux services de pharmacovigilance officiels. Par respect pour les patients participant aux études et pour une évaluation correcte des traitements, il est en effet indispensable que tous les résultats de toutes les études réalisées soient connus. La dénonciation du façonnage de maladie (disease mongering) Pour vendre des médicaments, les firmes pharmaceutiques « fabriquent » de nouvelles maladies (disease mongering) et médicalisent le mal être de nos concitoyens. Le principe est d’élargir le plus possible les frontières du pathologique pour y inclure un maximum de personnes, soit en transformant un trouble mineur en maladie, soit en élargissant les critères d’une maladie existante, soit encore en invitant à traiter des facteurs de risques sans qu’en définitive le pronostic du patient en soit amélioré. Les consensus d’experts déterminant les limites entre le pathologique et le normal doivent également faire connaître leur méthodologie ainsi que leurs conflits d’intérêt. Les firmes pharmaceutiques lancent des campagnes d’« information » sur des « maladies » qui n’ont pas pour but de faire de la prévention ou de la promotion de la santé mais bien de convaincre le public de l’existence d’une nouvelle pathologie pour laquelle un traitement médicamenteux est proposé implicitement ou explicitement. Ce type d’information est, en fait, un des éléments de la campagne promotionnelle d’un médicament. Il est indispensable d’étudier, de surveiller et de faire connaître cette stratégie nouvelle des firmes pharmaceutiques. Davantage d’indépendance et de transparence dans les décisions en matière de santé- Dans les procédures d’enregistrement : Les données cliniques du dossier d’enregistrement d’un médicament doivent être disponibles pour les praticiens dès l’enregistrement de celui-ci, avec publication des conflits d’intérêt éventuels (passés et actuels) des experts impliqués dans le processus de décision ;
- Dans la fixation des prix des médicaments : Les éléments du dossier remis aux services publics fédéraux des Affaires économiques lors de la fixation du prix initial doivent être accessibles à tout demandeur ; une augmentation de prix lors d’une modification galénique mineure, lors d’une modification du statut du produit (en le faisant, par exemple, passer de « médicament » à « complément alimentaire ») doit être refusée lorsque cette demande est contemporaine ou suit une demande de déremboursement ;
- Dans les décisions de remboursement des médicaments par le ministre des Affaires sociales : Le dossier d’expertise réalisé par la commission de Remboursement des médicaments doit être systématiquement et totalement rendu public par l’INAMI. Les résultats détaillés des votes intervenus dans les différentes commissions intéressées par l’enregistrement, le remboursement et la fixation du prix du médicament doivent être connus, conformément aux directives européennes sur la transparence.
- fiable : étayée par des données probantes (mentionnant les sources de données), non biaisée, et mise à jour ; avec transparence totale sur les auteurs et leur financement (ce qui permet de rejeter l’information influencée par des conflits d’intérêts) ;
- comparative : présentant les bénéfices et les risques de l’ensemble des options thérapeutiques existantes (y compris, le cas échéant, l’option consistant à ne pas traiter) et expliquant l’évolution naturelle de la maladie ou du symptôme ;
- adaptée aux utilisateurs : compréhensible, facilement accessible et adaptée au contexte culturel. Dans le cadre d’une information pertinente pour le patient et plus largement pour une information indépendante au niveau des médicaments, le GRAS participe à des actions communes nationales, européennes et internationales : collectif Europe médicaments (Medicines in Europe Forum – www. prescrire.org/cahiers/dossierEuropeMedAccueil.php), Santé Solidarité (www.santesolidarite.be) et ISDB (www.isdbweb.org).
Un statut pour les associations de patients
Les pouvoirs publics doivent apporter le financement nécessaire aux associations de patients pour leur permettre de ne pas être (entièrement) dépendantes du secteur privé, et notamment des firmes commerciales et pharmaceutiques.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 52 - avril 2010
Les pages ’actualités’ du n° 52
Action communautaire en santé : un observatoire international des pratiques
Agir sur tout ce qui détermine la santé implique de déployer des approches intégrant les dimensions communautaires et politiques.
Pour un bon usage du médicament en Belgique
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L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande, depuis plus de 10 ans déjà, de sortir des logiques hospitalières pour favoriser, tant que possible, l’accompagnement des personnes qui présentent des troubles mentaux, dans leur milieu de vie.(…)
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Introduction
Sources
Quelques sources utilisées pour construire ce cahier
– Guide pratique : Évaluation d’impact sur la santé lors de l’élaboration des projets de loi et règlement au Québec : http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2006/06-245-01.pdf – Les expériences d’évaluation d’impact sur la santé au Royaume-Uni et leur traduction dans(…)