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Une enquête menée dans les maisons médicales liégeoises met en évidence les écueils et les ambivalences du travail auprès des publics défavorisés. Devoir de vigilance. Comment aider vraiment chaque personne ? Sans se contenter de rendre supportables les inégalités ? Comment soutenir l’émancipation des gens ? Sans s’en tenir au seul bénéfice des intervenants ? Comment rester critiques par rapport à nos propres actions ?

Depuis 2008, le groupe Re-GERM, actif en région liégeoise a comme objectif de réfléchir et d’agir en tant que travailleurs de la santé sur les facteurs sociaux et environnementaux de la santé dans notre région. L’année dernière, le groupe a organisé l’enquête 9/9/9. La matinée du 9 septembre 2009, les travailleurs des maisons médicales ont interrogé leurs patients en consultation sur leurs priorités en matière de santé vue de manière globale. Les objectifs de cette enquête étaient d’encourager les patients et les soignants à porter ensemble un regard sur la santé globale, de recueillir et de diffuser la voix d’un certain nombre de patients sur les problèmes qu’ils rencontrent et les pistes qu’ils envisagent et d’alimenter la réflexion du groupe. Dans les suites de cette enquête, le groupe a décidé d’organiser des rencontres avec une série de militants d’autres associations sur le thème des inégalités sociales en santé. C’était la dynamique « vers le 10/10/10 ». Une enquête-sondage préalable dans les équipes avait trois objectifs : 1. Encourager les membres des équipes à un regard autocritique sur leurs actions en matière d’inégalités sociales de santé ; 2. Encourager les échanges d’expériences entre équipe sur ce thème ; 3. Faire un état des lieux avant nos rencontres avec des militants d’autres associations. Les membres du groupe ont contacté les équipes pour leur poser deux questions : – « Qu’avons-nous déjà fait dans l’histoire de notre équipe pour diminuer les inégalités en santé ? » ; – « Qu’est-ce qui dans notre fonctionnement et nos activités, aggrave les inégalités en santé ? » Ces questions ont été abordées en réunion d’équipe, avec, souvent, la présence d’un membre du groupe Re-GERM.

Discussion et perspectives

Alors que le thème des inégalités est très présent dans les maisons médicales, c’était la première fois, pour de nombreuses équipes, qu’elles tentaient collectivement de répondre à ces deux questions, particulièrement à la deuxième. Même si elles ont été fournies, ces réponses, paradoxalement, n’ont pas été évidentes d’emblée. Les 10 équipes contactées ont accepté de participer à l’enquête. Certaines personnes ont regretté que leur équipe n’ait pas été consultée : il était prévu de les interroger toutes mais cela n’a pu se faire par manque de temps. L’ensemble des réponses est un inventaire à la Prévert. On s’est demandé si les interventions citées avaient toujours été mises en place avec l’objectif a priori de diminuer les inégalités ou si cet effet avait été estimé a posteriori. Les campagnes d’éducation à la santé, par exemple, pourraient être vues comme diminuant les inégalités car le public des maisons médicales est plus défavorisé. On pourrait cependant considérer qu’elles les augmentent car elles ne touchent pas le public le plus vulnérable. Il ne s’agissait pas par cette enquête de vérifier l’efficience des actions sur la réduction des inégalités, mais plusieurs ont exprimé leur désir d’en discuter les impacts réels. Parfois, cela n’apparaissait pas clairement, par exemple dans le cas d’une rencontre avec un représentant politique. On a posé aussi la question du sens de certaines actions. Il apparaît, à travers cette enquête, une certaine capacité d’autocritique des travailleurs des maisons médicales, avec un relevé significatif d’actions ou de fonctionnements qui peuvent contribuer à l’aggravation des inégalités. On a noté aussi que les plus âgés apportaient plus de réponses que les plus jeunes : parce qu’ils ont été témoins de plus d’expériences sans doute, mais aussi peut-être parce qu’ils ont une plus grande capacité de conceptualisation. Peut-être aussi que les motivations à travailler en maison médicale ont évolué avec le temps. Si le militantisme engagé était fréquent aux origines, d’autres motivations peuvent maintenant pousser des jeunes qui joignent les maisons médicales et flottent sur la vague sans nécessairement toujours s’approprier le projet, plus « par méconnaissance que par opposition ». D’où l’importance évoquée de formations politiques. Il faut aussi reconnaître une ambivalence sur la relation entre maisons médicales et inégalités : si beaucoup n’aiment pas être considérés comme « soignants réservés aux pauvres », on essaie cependant d’avoir des actions destinées aux plus défavorisés. Le débat entre l’engagement pour la mise en place de stratégies de lutte contre les inégalités et le soulagement des victimes d’une société injuste a été posé. C’est la question du bras droit et du bras gauche de l’Etat selon Bourdieu. La première stratégie, politique, a ses limites et la deuxième ses effets pervers (rendre tolérable une politique injuste) : entre ces deux pôles d’actions, n’y a-t-il pas une troisième voie qui nous donne une place spécifique dans le monde des soignants ? Celle où les travailleurs des maisons médicales contribuent à redonner aux défavorisés une meilleure image d’eux-mêmes, à augmenter leur autonomie et donc leur capacité d’agir… On insiste sur l’équilibre à trouver, pas évident, entre le travail curatif individuel et l’action collective. Tout cela justifie et impose en tout cas le travail en groupe. Un inventaire à la Prévert Quelques réponses parmi beaucoup, beaucoup d’autres. « Qu’avons-nous fait pour diminuer les inégalités en santé ? » : -Traduit des folders en 7 langues. -Etabli un contrat avec une pharmacie, organisé une banque de médicaments. -Accueilli des sans-papiers, sans mutuelle, sans rien. -Renvoyé aux patients une image positive d’eux-mêmes. -Développé le projet Peau Neuve (pour la petite enfance défavorisée). -Fait plein de campagnes. -Engagé une esthéticienne sociale. -Soutenu la publication d’un livre sur les troubles musculo-squelettiques au travail. -Abandonné le système de rendez-vous pour ceux qui ne pouvaient s’y faire… « Qu’est-ce qui dans notre fonctionnement et nos activités aggrave les inégalités en santé ? » : -Le danger de banalisation des plaintes. -L’assistanat qui va à l’encontre de l’autonomie. -La tendance à moins insister sur certains comportements à risque chez des gens qui ont d’autres priorités. -Les réponses à la demande plutôt qu’au besoin. -Tout ce qui passe par l’écrit, zappant le problème de l’illettrisme. -Le manque d’échanges entre intervenants. -Le manque de lien avec les lieux de pouvoir qui influencent la vie quotidienne des gens. Au niveau éthique, il faut prendre garde de ne pas imposer notre vision médicale du monde et de la société idéale à notre public. Plutôt que d’imposer notre grille de lecture, que met-on en place pour réellement l’écouter ? Des actions réservées au public défavorisé (qui reste aussi à définir par ailleurs) ont sans doute leurs limites. Comment réellement aller à la rencontre de notre population et aborder ces questions avec nos patients – citoyens ? La question de l’accessibilité n’est pas loin. Il est en tout cas salutaire de se poser la question de ce qu’on fait, de l’analyser en termes de projets mais aussi de processus et de résultats, avant de choisir de nouvelles actions. Ces questions sont à articuler avec d’autres niveaux d’action, à l’intergroupe liégeois dans le groupe promotion de la santé et à la commission politique et ailleurs. Cet inventaire pourrait donner des idées d’actions à certaines équipes, mais en tant que tel, il ne sera sans doute pas un moteur majeur. Une idée est lancée, que les équipes approfondissent l’évaluation de leurs actions au niveau des inégalités de santé et échangent entre elles les succès et les échecs de leurs expériences. On sait cependant la difficulté de l’évaluation. Même le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), avec des moyens très importants a éprouvé des difficultés à évaluer la pratique au forfait, mais il faut reconnaître qu’il ne s’est pas centré sur le thème de notre enquête. Les expériences des uns peuvent nourrir les idées des autres. On aurait pu poser une troisième question, qui devrait, au long cours, rester ouverte : « Que pouvons-nous faire dans nos maisons médicales pour diminuer les inégalités en santé ? » Nous y reviendrons. Cet inventaire est aussi un plateau à présenter à des acteurs sociaux avec lesquels le réseau des maisons médicales pourrait ou devrait s’articuler pour construire des alternatives aux réalités sociales actuelles. Le groupe Re-GERM a déjà organisé deux rencontres très fructueuses. L’une avec Vincent Grignard, adjoint au secrétaire général de la Régionale Liège-Huy-Waremme de la FGTB, a eu lieu autour d’une analyse lucide et radicale des enjeux des mouvements sociaux aujourd’hui. Nous avons pu mesurer la méconnaissance de notre mouvement dans le monde syndical malgré la riche histoire commune des institutions. L’autre, avec un des membres fondateurs de la Plateforme d’action Santé et Solidarité, Jean-Marie Léonard, a fait émerger des perspectives d’action dans nos maisons médicales, en résonnance avec les préoccupations d’acteurs majeurs de la transformation sociale. D’autres rencontres sont prévues pour poursuivre ce travail d’ouverture de notre mouvement à d’autres acteurs. Le groupe Re-GERM est déjà en marche vers le 11/11/11.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 56 - avril 2011

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