Soins de santé primaires : permanence de la lutte
Morel Jacques
Santé conjuguée n° 47 - janvier 2009
Alors que 30 ans se sont écoulés depuis Alma Ata et que de nombreux pays ont compris l’importance d’un système de soins axé sur les gens et sur la santé (et pas uniquement sur la maladie) et organisé sur les soins de santé primaires (et pas principalement sur l’hôpital), la Belgique reste à la traîne. Constats et perspectives.
Proposer que la Plate-forme d’action Santé et Solidarité porte sa réflexion sur le développement des soins de santé primaires, c’est l’installer au cœur même de la déclaration issue de la conférence d’Alma Ata dont elle souhaite célébrer le trentième anniversaire. La conférence d’Alma Ata apparaît comme une première étape de la dynamique de la « Santé pour tous » proposée par l’Organisation mondiale de la santé ; elle montre bien combien la perspective des soins de santé primaires s’inscrit dans les principes d’une société solidaire. C’est elle qui donne sens et vision prospective à ce qui pourrait n’apparaître que comme un mode d’organisation des systèmes de santé, performant mais technocratique. On se rappellera que 1978, date de la conférence, est une période qui suit de quelques années les premiers chocs pétroliers et ouvre aux soubresauts d’une économie vacillante après une longue période dorée ; des consciences s’éveillent ; la santé qui jusque là « n’avait pas de prix » commence à avoir un coût et à connaitre ses premiers exclus ; les mesures de régulation diverses sont aux portes des systèmes de santé et les menaces réelles sur les mécanismes de solidarité. L’interview récente du Dr Mahler, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé à cette période rappelle cette option essentielle : l’organisation du système est au service de l’émancipation des individus et collectivités dans une société équitable. C’est pourquoi elle s’appuie sur la mobilisation sociale. En cela l’auteur insiste et fait le lien avec la participation et la mobilisation des peuples pour le développement. Les autres témoins belges comme Henri Van Baelen, Verkest, participants à cette conférence internationale, confirment cette lecture et cet état d’esprit. D’autres y verront l’occasion de cantonner le concept de soins de santé primaires aux pays en développement ou aux populations précarisées. Trente ans plus tard… Qu’en est-il des intentions et des réalisations ? Sur quels constats les acteurs de santé peuvent-ils s’appuyer ? Quels leviers peut-on actionner pour rencontrer les objectifs de la santé pour tous à travers le développement des soins de santé de première ligne ? Le trentième anniversaire de la déclaration d’Alma Ata (12.09.1978) fournit à la Plate- forme un cadre pour l’analyse et la construction de perspectives en matière de politique progressiste de santé, notamment en matière de développement des soins de santé primaires.Interroger l’actualité d’Alma Ata
Interroger l’actualité des propositions d’Alma Ata conduit à poser constats et questions sur les mobiles qui conduisent nos politiques sociales et de santé, à leur envisager un cadre global et à pointer quelques leviers stratégiques qui contribueraient à des changements utiles pour la première ligne. Ce sont les objectifs que le groupe de travail « soins de santé primaires » s’est assigné à travers les rencontres de l’année 2008, le Forum d’octobre et les suites à y apporter. La plateforme qui réunit aujourd’hui nombre d’acteurs de la santé – au sens d’avoir une volonté, voire une capacité d’agir sur des facteurs déterminants pour la santé des gens – offre une opportunité – rare – pour un éclairage, une analyse intersectorielle de l’actualité/ actualisation des principes et recommandations d’Alma Ata. Nous souhaitons que la démarche portée par le groupe de travail soit : • le fruit d’un panel large, rassemblant une diversité d’acteurs y compris d’usagers mais présentant un minimum de consensus vis-à-vis du texte fondateur de la plateforme ; • mobilisatrice pour la suite, support d’un certain nombre de revendications ; • plurielle et pluridisciplinaire (non corporatiste). Un cadre global : parce que la spécificité des soins de santé primaires ne peut se construire qu’en référence à un système et que celui-ci obéit à des principes qui le déterminent. « La politique de santé s’inscrit comme un des piliers d’une politique sociale solidaire et équitable, … ». La sécurité sociale n’est pas à l’abri de menace ; la santé n’est pas l’abri de s’inscrire dans une dynamique assurantielle commerciale privée. « Le système organise une offre de services en rapport avec les besoins, échelonnée et articulée dans sa réponse aux demandes de soins, de prévention et de revalidation ». Le système est accessible à chaque niveau ; articulation et coordination font problème pour les utilisateurs et pour les coûts publics induits. « Si l’articulation est essentielle pour un système de soins efficients (qualité/ coûts), la reconnaissance de paradigmes différenciés entre les soins de santé primaires et les soins spécialisés est aussi essentielle… ». L’organisation du système de formation reste pour tous le fait de l’hôpital et de son modèle. « Les soins de santé primaires sont universels, destinés à l’ensemble de la population… Ils ne sont pas une réponse spécifique à la précarité, ni le modèle privilégié pour les pays du Sud ; leur adéquation aux besoins et leur lecture globale de la santé les amène à prendre en compte et à chercher des réponses plus adaptées aux facteurs non biologiques déterminant la santé : particulièrement les facteurs sociaux, éducatifs, culturels et environnementaux. » Les pratiques de soins de santé primaires sont stigmatisées comme « médecine sociale pour pauvres ». « Ces paramètres sont ceux du développement social et à ce titre, la santé est le fait de l’action de nombreux acteurs et secteurs de la société, et pas seulement des professionnels de santé. » La promotion de la santé est encore « contre- culturelle », la démédicalisation de la santé est difficile. L’option en faveur d’un service public ou privé n’est pas banale ; privatisation, marchandisation sont en route ; hélas bureaucratisation, politisation, aussi. Ces commentaires/constats sont issus de la première réunion du groupe préparatoire sur le sujet. En parallèle, le groupe pointe dans Alma Ata des éléments à réinterroger dans le contexte actuel : 1.Soins de santé primaires : what’s today ? 2.Besoins = ? Que sont-ils ? Quel rôle de la culture, des medias, du marketing commercial ? De notre formation ? 3.Etre acteurs – participation 4.Intersectorialité ; les professionnels du soin sont un des aspects parmi d’autres, pour l’amélioration de la santé… Quelle relation ? Quelle synergie ? 5.« A la mesure des capacités de la société…. » 6.Toutes les accessibilités, financières, culturelles, géographiques…1. Les défis d’un monde qui change (the challenges of a changing world) ; 2. L’évolution et le soutien de la couverture universelle (advancing and sustaining universal coverage) ; 3. Soins de santé primaires : les gens d’abord (primary care : putting people first) ; 4. Des politiques publiques pour la santé du public (public polities for the public’s health) ; 5. Leadership et Gouvernement efficace (leadership and effective government) ; 6. Aller de l’avant (the way forward). Extrait de l’intervention de Jan De Maeseneer.
Priorités pour faire émerger un nouveau modèle
Le forum du 18 octobre a traité de ces différents thèmes qui paraissaient caractériser les soins de santé primaires. Les résultats des travaux ont largement confirmé l’importance de maintenir une référence explicite à un ensemble de valeurs qui leur fassent sens et perspectives : la solidarité et l’équité sont de celles-là et appartiennent à un projet de société démocratique. Plus spécifiquement dans le champ de la santé, la préoccupation de faire émerger un modèle aux caractéristiques spécifiques est le fait de tous les acteurs contributifs, professionnels ou non. La complexité est au centre de l’appréhension des problèmes de santé dans la proximité de la population. Ce lien fort traduit le rapport déterminant de multiples facteurs sur l’état de santé : le social mais aussi le culturel, l’économique, l’environnemental… Ces constats sont le fait de toutes les catégories professionnelles ; ils impliquent des pratiques renouvelées où cette complexité est davantage rencontrée par une approche plus globale que permet (devrait permettre) l’équipe, la pluridisciplinarité et au-delà, la coordination et l’intersectorialité. La question de la formation de base ou continuée est posée transversalement ; dans quelle mesure est-elle adaptée au modèle ambulatoire, à sa manière d’être confrontée aux problèmes et à leur insertion dans la complexité des existences physiques mais aussi relationnelles et sociales. Les priorités retenues ont été : • les aspects politiques et financiers ; • les aspects de renouvellement de la pratique ; • les questions de formation et de recherche ; • les modes d’organisation et d’accessibilité des patients au système. .Aspects politiques et financiers La volonté politique de traduire le concept de soins de santé primaires dans l’organisation du système de santé a été depuis Alma Ata très inégale en Europe mais force est de constater (les travaux de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), du NIVEL (Nederlands instituut voor onderzoek van de gezondheidszorg) le confirment que Belgique, France et Luxembourg sont sans doute les plus réfractaires à la mise en place de politiques de soins de santé primaires. Angleterre, Pays-Bas, Pays nordiques d’une part mais aussi Espagne, Portugal ou Italie ont des modèles identifiés et légiférés de soins de santé primaires. Le professeur Jan De Maeseneer, de l’université de Gand dresse un panorama et des perspectives : quels sont les leviers d’un potentiel développement de soins de proximité capables de faire face aux défis de la société actuelle et de répondre aux besoins de la population ? Il dresse les contours d’une identité spécifique de pratique renouvelée et l’itinéraire de leur mise en oeuvre. Bart Criel, de l’université d’Anvers et de l’Institut de médecine tropicale complète la réflexion sur le volet des moyens : il faut davantage de moyens en première ligne mais sans doute est-il pertinent de rechercher à rendre les modalités de financement plus adéquates au regard des objectifs que l’on poursuit. .L’accès à une pratique différente Les questions d’accès aux soins sont de plus régulièrement posées et de nombreuses mesures tentent d’y répondre pour des populations en difficultés. Coralie Ladavid, assistante sociale et chargée de projet à la Fédération des maisons médicales montre dans l’article suivant combien la nature de l’offre des maisons médicales donne accès à une large population précarisée mais combien la multiplication des mesures compensatoires ne résout évidemment pas les causalités d’une précarisation grandissante. La prise en compte des déterminants de la santé est aussi de cet ordre… Linda Wittevogel, coordinatrice d’un centre de santé à Gand présente le travail d’équipe et la mise en opération de la pluridisciplinarité et la coordination intersectorielle au niveau local. Se donner les moyens de ses ambitions peut- être, de tenter de répondre aux problèmes dans leur complexité sans doute. .La formation L’invitation aux centres universitaires de médecine générale n’a pas pu se concrétiser malgré l’intérêt de la grande majorité pour l’ouverture de ce débat ; il sera remis sur la table dans les suites de cette journée. Des initiatives sont prises dans plusieurs facultés et écoles supérieures ; comment les encourager ? Sur quel paradigme de soins de santé primaires ces programmes sont-ils construits, mis en perspectives ou tentent-ils de répondre ? Le rôle des académies et hautes écoles est très important dans la construction même de ce modèle. La question de la recherche devrait également faire l’objet d’une exploration particulière, tant la légitimité et la validité du travail effectué sont banalisées par les milieux scientifiques. .Une organisation des soins de santé « utilisable » par les usagers La Ligue des usagers des services de santé- LUSS qui regroupe un grand nombre d’associations d’usagers et de groupes d’entraide en appelle au dialogue avec les professionnels de santé et du social. On veut pouvoir s’y retrouver ! On veut circuler en toute connaissance de cause ! On veut en savoir davantage ! On veut comprendre et agir ! On veut savoir – on veut être ! .Message du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Margaret Chan, médecin 1. Réformes en matière de couverture universelle qui garantissent des systèmes de santé où équité, justice sociale et fin de l’exclusion sont réels (universal coverage reforms that ensure that health systems contribute to health equity, social justice and the end of exclusion) ; 2. Les réformes en matière de délivrance de services qui réorganisent les services de la santé en fonction des besoins et attentes de chacun (Service delivery reforms that reorganize health services around people’s needs and expectations) ; 3. Des réformes en matière de politique public qui assurent une meilleure santé (Public policy reforms that secure healthier communities) ; 4. Réforme du leadership (Leadership reforms). Extrait de l’intervention de Jan De Maeseneer.
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 47 - janvier 2009
Les pages ’actualités’ du n° 47
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