Débat café sur la marchandisation des services au public
Gilot Marie-Agnes
Santé conjuguée n° 47 - janvier 2009
Conditions de travail, qualité de soins et commercialisation des soins de santé : un ménage à trois où il y a toujours des perdants. Témoignage autour d’un verre.
Deux travailleuses se retrouvent dans un café, fin de semaine, histoire de breaker un peu. M-A : Salut Nath, comment va ? Nath : Fatiguée, … Tu sais… Fin de semaine, mais aujourd’hui j’ai eu fini plus tôt. M-A : Ah, bon, c’est pas mal ça. Nath : Tu parles. Tu sais que je travaille en salle d’op et cet après midi, un médecin indépendant avait loué la salle avec son personnel. Nous avons donc été priées de laisser les locaux. Quand tu vois la liste d’attente des opérations, c’est incroyable de faire attendre les patients et permettre à ceux qui ont les revenus les plus élevés de profiter des infrastructures. Vive l’outsourcing… Tu parles, quelle catastrophe pour chacun. M-A : A chacun son secteur et à chacun ses soucis. Chez nous, dans les services de soins à domicile, on nous demande d’être rentables. On doit donc sélectionner nos patients pour trouver ceux qui seraient financièrement intéressants, ceux dont les soins ne demandent pas trop de temps et qui rapportent beaucoup. Bonjour le respect de la personne !!!! Eve : Salut. Qui a parlé de rentabilité ? M-A : C’est malheureusement moi. Eve : Ah bon, tu as changé de boulot ? Tu n’es plus dans un service de soins à domicile, d’aide aux usagers ? M-A : Si bien sûr, mais tu sais, on nous demande plus de répondre aux exigences économiques qu’aux exigences professionnelles. On bascule de la qualité à la quantité. Et qui subit cette politique ? Ce sont les patients et les travailleurs, évidement. Eve : Qualité, quantité… Dans mon secteur, l’accueil de l’enfance, on nous édicte un paquet de normes de qualité à raison, mais en parallèle, le politique accepte la création d’une multitude de structures privées, à but lucratif, sans réel contrôle, et inaccessibles pour la majeure partie des parents. Les parents ne paient donc plus en fonction de leur revenus mais bien sur base d’un forfait, que l’enfant vienne ou pas. Nath : L’argent, toujours l’argent. Les hôpitaux raccourcissent bien souvent l’hospitalisation des patients, parfois même sans précaution, car le maître mot est la rentabilité. Et nous les travailleurs, on assiste à ça chaque jour, impuis- sants et face à des familles qui ne comprennent pas mais qui subissent. M-A : Et ce sont des services comme les nôtres qui assument après. Mais de moins en moins parce que les prestataires de service indépendants sont passés de 40 % à 60 % en moins de dix ans. Enfin, indépendants, ou faux indépendants… Nath : Décidément, nous allons finir par devenir des recruteurs : chercher la clientèle la plus solvable. Tu ajoutes à cela le benchmarking : on doit rester concurrentiel et chaque hôpital réalise ses propres statistiques pour fonctionner avec le minimum de personnel en place. Pff… Au fait, c’est donc bien vrai que des services de soins infirmiers sont « côtés » en bourse ? M-A : Oui, depuis 2006. C’est incroyable, les soins de santé sont payés en grande partie par la sécurité sociale, et donc par la collectivité et ces services privés profitent du système. Et tu penses bien que le tri des patients est réalisé à outrance. Les infirmiers indépendants n’adhèrent pas forcément à la convention INAMI. Ils demandent donc les honoraires qu’ils veulent : « Bonjour madame, c’est pour un soin lourd, qui demande du temps, … Nous pouvons le réaliser… Mais cela vous en coûtera trois fois le prix. ». Sauf que ce n’est pas dit ouvertement ! Nath : Tu parles : « Bonjour Monsieur, … Oui, …. Vous avez la carte Visa ++++, vos revenus sont de 5.000 euros par mois, … Mais bien sûr nous pouvons vous soigner dans notre hôpital, et vous offrir un frigo dans la chambre, des menus différenciés, internet, … A quand le jacuzzi ! ». Et à côté de cela, on chipote pour certaines opérations bien nécessaires. Eve : Et puis viendra la suite logique et marchande pour ces clients intéressants, à la sortie de l’hôpital, après l’accouchement. S’ils sont intéressants pour le secteur soins de santé, ils le seront pour l’accueil de l’enfance. « Bonjour Madame, vous souhaitez mettre votre enfant en garde. Bien sûr, nous vous proposons des titres services à domicile, qui garderont votre enfant à partir de 6 heures du matin, feront votre ménage en plus, vos courses avec l’enfant dans la poussette histoire de faire une petite balade, le jardinage,… ». Seb : Salut, désolé d’arriver si tard mais pas moyen de quitter le boulot à l’heure. Vous parliez de marchandisation de vos boulots ? Nath : Oui, ça devient grave chez nous. Pas chez toi ? Seb : Evidemment, on n’échappe pas à la tendance. Tu sais que depuis trois ans des places en maison de repos se transforment en maison de repos et de soins avec plus de moyens financiers bien sûr. Ce sont les subsides pour personnes fortement dépendantes. M-A : C’est plutôt bon, les personnes sont mieux soignées, il y a plus de personnel, c’est plus confortable… Seb : Tu rêves ! Ce sont des grands holdings internationaux qui rachètent les petites institutions. Ils font des investissements dans le mobilier, sous-traitent les services d’entretien, de buanderie ou de repas et raflent les subsides pour les aspects plus « sociaux » et donc moins rentables. Moralité : ils sont de plus en plus grands et peuvent influencer les décisions politiques dans le sens qui leur convient. Eve : Si je te suis bien, cela devient de plus en plus cher d’aller en maison de repos ? Seb : Ca dépend… Mais si tu veux de la qualité, tu as intérêt à pouvoir payer. Et si tu es vraiment riche, tu pourras même trouver quelque chose à la Côte d’Azur ou en Espagne. Evidemment, si tu as une petite pension… Tu devras te contenter d’une maison de repos publique ou gérée par une petite asbl. Nath : Mais le personnel profite quand même indirectement des nouveaux subsides ? Ils sont plus nombreux, ils ont plus de matériel… Seb : Tu crois ça ? Pour le personnel, on compte au plus juste et je te prie de croire que les conditions de travail sont pénibles. Nath : On est bien loin des beaux discours : accessibilité des soins pour tous, pratique des soins de façon humaine en respectant la personne, ou encore « des travailleurs qui se sentent bien travaillent bien ». Quand tu vois que la proposition de la Fédération des entreprises de Belgique est de rentabiliser certaines périodes plus creuses en faisant venir de riches patients étrangers pour garantir un taux d’occupation maximum. M-A : La marchandisation de nos services précarise l’emploi, mais aussi la représentation syndicale des travailleurs, éparpillés dans des petites équipes d’indépendants. On demande aux travailleurs d’être des opérateurs d’un produit et plus d’un service aux personnes. Eve : Non seulement les emplois sont plus précaires, mais dans mon secteur, cette privatisation « déprofessionnalise » le métier, l’encadrement du personnel d’accueil n’est plus adéquat, voire inexistant. Les pouvoirs publics perdent la maîtrise du fonctionnement et de cette sacro sainte qualité. M-A : Mais nous ne voulons pas d’une telle société, nous voulons une Belgique sociale, respectueuse des besoins de ces citoyens ! Tous : Allez, santé pour nous et… santé pour tous ! .Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 47 - janvier 2009
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Perspectives
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