Les défis du travail dans le secteur des soins de santé
Selleslach Mark
Santé conjuguée n° 47 - janvier 2009
C’est à partir d’un modèle de soins global qu’il faut repenser les questions de pénurie de personnel soignant et de qualité du travail de soins.
Les conditions de travail dans le secteur des soins de santé constituent l’un des fondements du texte de la Plate-forme d’Action Santé et Solidarité : Défendre la qualité des soins et prôner de bonnes conditions de travail pour le personnel de la santé. Pour pouvoir offrir des soins de qualité, il faut disposer de personnel suffisant, formé convenablement et de manière permanente. Vu l’évolution démographique, la gestion, le planning et la rémunération des travailleurs de la santé constituent un fameux défi. Afin de pouvoir garantir un revenu adéquat et des conditions de travail correctes, il est nécessaire d’allouer suffisamment de moyens financiers au secteur des soins de santé, avec un système de financement adapté, et d’optimiser la répartition du budget. .S’agit-il des conditions de travail du personnel infirmier ou plutôt des conditions de travail du personnel soignant ? Le débat sur les conditions de travail ne peut être ramené aux seules infirmières (ou infirmiers) dans le secteur hospitalier et les maisons de repos. Notre point de départ est un modèle de soin plus global : nous considérons tout le personnel soignant dans tous les secteurs de soins. • Tous les secteurs de soins, cela signifie également les soins à domicile, les centres et services ambulatoires, les maisons médicales, les institutions de bien-être,… La prévention, l’information et la sensibilisation font également partie des soins, au même titre que le « bien-être ». • L’ensemble du personnel, pas seulement le personnel infirmier. Ces derniers forment naturellement un groupe essentiel dans le secteur des soins, mais si nous voulons nous baser sur un modèle de soins global, il ne peut pas être le seul groupe à considérer. Tous les éléments forment un tout, que ce soit l’aspect multidisciplinaire, les fonctions soignantes, les services d’encadrement des soins et les services généraux. C’est en tout cas la vision que nous défendons. Un modèle de soin global recherche « une unité dans la complémentarité », plutôt que des groupes distincts qui devraient se battre entre eux. Penser en termes de catégories divise les gens et ne permet jamais d’obtenir une image complète de la situation. .Il existe un lien direct entre d’une part, la qualité des soins offerts, et d’autre part la mise à disposition d’un personnel suffisant et la qualité des conditions de travail Le lien entre ces trois éléments est réellement au centre de la problématique. Une pénurie en personnel a un impact direct non seulement sur la qualité des soins, mais également sur la disponibilité et l’accessibilité des soins. Les conditions de travail ont un effet direct sur le nombre de nouveaux membres du personnel et sur les membres du personnel en service. Elles conditionnent en grande partie les mouvements (arrivées et départs) du personnel. Ou exprimé de façon plus positive : afin de pouvoir offrir davantage de perspectives en matière de soins de qualité à chacun, il va falloir disposer de suffisamment de membres du personnel, qui soient disponibles et restent à leur poste parce que les conditions de travail sont satisfaisantes. Et c’est précisément ce que nous défendons lors d’une journée de mobilisation ’La santé pour tout le monde’ (’Iedereen gezond’). Nous avons besoin de personnel en suffisance, et nous avons besoin de bonnes conditions de travail. Les deux éléments sont indissociables. Si tout cela est si évident, pourquoi n’est-ce pas le cas en pratique ? Pourquoi des actions sociales sont-elles menées depuis vingt ans dans ce sens ? Les défis sont colossaux ! Conditions de travail et personnel : aspects quantitatif et qualitatif .Observons d’abord l’aspect “quantitatif”… Cela fait au moins vingt ans que l’on parle de pénurie en matière de personnel. Ces dernières années, le problème est devenu extrêmement aigu : des postes vacants qu’on ne parvient plus à pourvoir, des centaines de milliers d’heures supplémentaires impossibles à rattraper, etc. Heureusement, de nombreuses actions ont déjà été entreprises. Des milliers de postes ont été créés grâce aux accords du non-marchand. Ils ne sont pas apparus tous seuls : pratiquement tous les postes supplémentaires dans le secteur des soins de santé et du bien-être ont pu être générés grâce à un combat social acharné durant des années, soutenu par des actions et manifestations. Et pourtant, tout qui se penche sur la réalité concrète du secteur des soins de santé réalise immanquablement qu’il souffre encore et toujours de pénurie de personnel, et même d’une grande pénurie. La nécessité d’engager davantage reste une constante et cela ne fera probablement qu’augmenter, à moins qu’on ne parvienne à inverser le cours des choses et qu’on ne prenne des mesures drastiques. La pénurie en personnel se traduit sous différents aspects, qui se renforcent mutuellement. Il s’agit des aspects suivants. La pression au travail est trop élevée et ne cesse d’augmenter. La pénurie en personnel ne fait qu’accentuer cette pression au travail : absence de remplaçant, remplacement retardé, postes vacants, fermeture de lits,… En outre, la complexité du travail augmente ainsi que la charge administrative. Le manque de personnel augmente la pression au travail et la pression accrue entraîne à son tour le départ des membres du personnel… un véritable cercle vicieux ! Un slogan comme « Trop peu de main(s) (d’oeuvre) » a un double sens : il y a trop peu de travailleurs + ces travailleurs n’ont que deux mains ! Les soins doivent rester humains/devenir plus humains ! La pénurie de personnel ne peut être considérée comme un problème mathématique. Il faut aussi et avant tout veiller à offrir une attention humaine et des soins suffisants au patient et à son entourage. Quels types de soins voulons-nous ? A l’avenir, les besoins vont encore s’accroître. Le vieillissement de la population est le facteur le plus évoqué mais n’est plus le seul problème : d’autres secteurs de soins de santé sont confrontés à des listes d’attente ont des défis à relever pour les soins à domicile, etc. Sur la base de chiffres provenant d’une fédération d’employeurs – qui s’est basée elle-même sur les chiffres du Bureau fédéral du plan – 63.000 postes supplémentaires seront nécessaires d’ici 2013. Cette croissance nécessaire représente 2,7 %, par opposition à une croissance moyenne de 1,2 % dans d’autres secteurs ! Nous avons donc besoin d’une croissance double de la croissance normale dans le secteur de l’emploi. Mais ce chiffre traduit seulement les besoins de nouveaux postes supplémentaires sur base de l’accroissement des besoins. Il ne tient pas compte du remplacement nécessaire pour faire face aux flux sortants, départs prématurés et fin de carrière. Evaluons le flux sortant de fin de carrière : sur la courbe d’âge des travailleurs du secteur, un groupe très important se situe dans la tranche d’âge de 45 à 50 ans. Les personnes appartenant à ce groupe devront prendre leur pension à partir de 2015. La génération plus jeune qui lui succède vieillit en même temps, mais ce groupe est bien plus petit en nombre. Outre les 63.000 ressources supplémentaires requises pour pallier l’accroissement des besoins, il faudra donc remplacer le groupe de personnes dans cette tranche d’âge, et cela dans une période durant laquelle, d’une façon générale, la population disponible sur le marché du travail va diminuer. A supposer qu’on soit capable de maintenir le flux actuel de nouveaux étudiants, on sera malgré tout confronté à une pénurie de personnel énorme dans le secteur ! Les autorités politiques n’ont visiblement pas encore intégré les chiffres de cette manière. Enfin, il faudra veiller à limiter constamment les conséquences des départs prématurés sans quoi la situation ne fera qu’empirer. L’attractivité de la profession et des conditions de travail peuvent jouer un rôle important à ce niveau. De même qu’il ne sert à rien de laisser couler de l’eau dans une baignoire quand le bouchon n’est pas fermé, il serait insensé de veiller à attirer des ressources dans le secteur sans chercher à les retenir par la suite. .Que faire ? • Des programmes d’emploi ambitieux doivent être mis en oeuvre (par exemple : un renforcement de la mesure pour l’emploi du ’maribel social’). Ceci est possible dans une programmation ne dépendant pas des – ou n’étant pas soumise aux – fluctuations de la législature politique. Il faudra veiller à poser les bons choix politiques en fonction aussi de leurs conséquences budgétaires. • Le maintien et l’élargissement du « Projet 600 », qui permet aux personnes soignantes de devenir infirmières (infirmiers) tout en gardant leur salaire ; veiller en même temps à attirer de nouveaux soignants dans le secteur. Enfin, le projet de formation 600 doit bénéficier d’un financement structurel. • La diversification dans les fonctions soignantes et les qualifications dans les fonctions relatives aux soins (comment trouvera-t-on du personnel si, comme le suggèrent certains, on supprime les infirmières A2). • Le secteur des soins présente un pourcentage extrêmement élevé de travailleurs à temps partiel. Beaucoup souhaitent augmenter leur temps de travail contractuel, mais ne parviennent pas à l’obtenir. Il s’agit là d’un potentiel non exploité qui pourrait être activé facilement. • Contrer le ’flux sortant’ par un travail plus attractif, une rémunération normale du travail et des prestations irrégulières, davantage de mesures pour améliorer l’équilibre travail-vie de famille, une meilleure politique des horaires, … • Que penser du recrutement du personnel des soins de santé venant des autres pays ? Le recrutement à l’étranger se limite actuellement trop souvent à une ’déclaration’ sans plus. Déplacer le problème ne le résout pas. Ceci ne veut évidemment pas dire que ceux qui viennent travailler chez nous ne devraient pas pouvoir compter au minimum sur un soutien, un encadrement et une formation suffisants. Or, c’est rarement le cas. Un tel recrutement pose des questions éthiques. Attirer un personnel soignant indispensable à l’étranger, sur la base de nos salaires plus attractifs et réagir ensuite de façon choquée à la pénurie de soins dans ces mêmes pays ? Il faudrait au minimum un code éthique ainsi qu’un plan de soutien global et mutuel. Les salaires peu élevés à l’étranger sont un facteur ’déformant’ en soi. Il faut donner la possibilité aux travailleurs étrangers de s’organiser dans leur pays afin de réclamer de meilleures conditions salariales et de travail, et recevoir le soutien nécessaire pour les obtenir, plutôt que se contenter de faire venir ces travailleurs chez nous. La commercialisation de ce recrutement est totalement inadmissible. Les premiers signes d’un tel phénomène sont pourtant déjà présents dans notre pays (pas de marché du personnel de la santé ! !). Que nous apprend l’analyse de l’utilisation de ressources étrangères sur le potentiel de travail des jeunes/travailleurs allochtones chez nous ? Que l’on tend vers une approche plus multiculturelle des soins… .Après l’aspect quantitatif, étudions l’aspect “qualitatif” Aborder les aspects qualitatifs des conditions de travail et de la pénurie de personnel revient à rendre la profession plus attractive pour attirer de nouvelles recrues et limiter les départs ! Heureusement, de nombreux éléments ont évolué à ce niveau au cours de ces dernières années. Les accords du non-marchand ont amélioré les conditions de travail et ont permis de sortir les secteurs en question de la situation d’infériorité dans laquelle ils se trouvaient. Ici aussi, il est intéressant de réaliser que ces améliorations ont été acquises grâce à un combat social acharné qui s’est déroulé sur des années. On peut également se poser la question : n’est-ce pas encore suffisant ? Les personnes moins impliquées se disent probablement qu’on en veut toujours plus. Mais toute personne qui se penche de près sur la situation du secteur, sait qu’en effet, tout n’est pas encore en ordre. A certains niveaux, c’est même loin d’être le cas. Cet aspect de la problématique va également exiger des choix politiques et avoir des implications financières significatives. L’offre de soins de qualité pour chacun requiert du personnel en suffisance et des conditions de travail intéressantes. L’un et l’autre sont indissociables.A quoi peut-on s’attendre ?
De nouveaux accords du non-marchand doivent être conclus dès octobre 2010. La ministre Onkelinkx songe à un Plan pluriannuel d’attractivité articulé autour de quatre axes principaux : diminution de la pression au travail, qualifications, rémunération, reconnaissance et participation. Actuellement, le budget est très réduit. La concertation sociale va jouer un rôle à ce niveau. Il faut veiller à définir un modèle de soins global (cfr introduction) et à rester cohérent dans la politique et la concertation sociale. Quels sont les facteurs importants à considérer pour rendre la profession attractive ? • la pression au travail trop élevée ; • la charge physique et psychique ; • l’amélioration de la politique en matière d’horaire de travail irrégulier et d’organisation du travail ; • la rémunération ; • des mesures pour un meilleur équilibre entre travail et vie de famille.Conclusion
Les défis pour maintenir et améliorer la qualité et l’accessibilité des soins sont gigantesques. D’autant plus si on les observe sous l’angle des relations que nous avons établies entre la nécessité de disposer de personnel en suffisance, l’augmentation des besoins et la nécessité d’offrir des conditions de travail plus attractives. Le maintien et le développement de soins de santé de qualité basés sur un modèle solidaire ne concernent pas seulement les travailleurs, ou leur syndicat. Notre modèle de soins concerne chacun de nous ! En outre, il a déjà été prouvé que nous pouvons aussi agir dans ce sens, plutôt que de regarder de loin et compter sur d’autres pour s’occuper de nous… Nous devons forcer le Gouvernement à faire les bons choix et à prendre les bonnes décisions. Ceci est d’ailleurs également l’une des motivations ayant donné lieu au développement d’une plate-forme d’action pour la Santé Solidarité. Sans cela, nous finirons par être dévorés par toutes sortes de peurs : peur pour nos économies, peur pour notre pension (restera-t-il assez d’argent ?), peur de tomber malade (y aura-t-il encore assez de soins ?), peur de la vieillesse (où vais-je bien pouvoir aller ?), peur de perdre ses revenus et son travail, peur de l’immobilisme politique, peur de tout et de rien. Plutôt que de se laisser entraîner par nos craintes vers un tel contexte social, mieux vaut décider d’agir ensemble de façon constructive, en s’aidant mutuellement. Le fait que nous pouvons obtenir des résultats de cette façon ne devrait que nous inspirer plus de courage.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 47 - janvier 2009
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