Soigner ceux que le monde oublie peu à peu
L'équipe de Médecins du Monde
Santé conjuguée n° 46 - octobre 2008
Médecins du Monde est une association de solidarité internationale qui porte secours aux populations les plus vulnérables et lutte pour que tous aient accès aux soins de santé. En Belgique, Médecins du Monde mène depuis fin 1999 des actions destinées à favoriser l’accès aux soins et le droit à une couverture santé. La diversité et la spécificité des initiatives nationales de l’organisation non gouvernementale sont les premiers témoins des difficultés rencontrées par une certaine frange de la population. Médecins du Monde renforce aujourd’hui sa mobilisation avec l’ouverture d’un centre d’accueil, de soins et d’orientation (CASO) à Bruxelles. Focus sur l’action de l’organisation non gouvernementale auprès des exclus des soins de santé au sein de cette nouvelle structure d’accueil.
Ouvert depuis le 1er avril 2008, le CASO prend le relais du projet d’assistance aux exclus des soins lancé par Médecins sans Frontières il y a près de dix ans. Les premiers centres d’accueil, de soins et d’orientation ont vu le jour en France il y a plus de vingt ans. Les médecins qui revenaient de missions humanitaires dans les pays du Sud ont pris conscience qu’il existait également dans leurs pays une partie de la population qui accédait très difficilement aux soins de santé. Révolté par la situation critique de ce quart monde exclu des soins au sein- même de pays développés, Médecins du Monde a alors lancé ses premières missions en Europe. Aujourd’hui, des centres d’accueil, de soins et d’orientation ont ouvert leurs portes à travers toute l’Europe : Espagne, Grèce, Angleterre, Allemagne, Belgique… A côté du CASO, trois autres missions d’aide aux exclus des soins existent déjà à Bruxelles et sont prises en charge par des équipes de bénévoles : consultations généralistes pour les sans-abri hébergés par le CASU (Centre d’aide sociale urgente), consultations spécialistes au sein de la clinique Baron Lambert et une mission d’écoute et de consultations gynécologiques pour les femmes. Tous ces services sont gratuits et offerts par des bénévoles médicaux et non médicaux.Le triple rôle du CASO
Une enquête1 publiée par Médecins du Monde en 2007 révèle qu’en Belgique, 99 % des sans-papiers peuvent théoriquement bénéficier d’une couverture santé, alors que dans la pratique, seuls 14 % parviennent à faire valoir ce droit. Le CASO a pour mission d’accueillir, soigner et orienter les personnes vers le système de santé de droit commun. Le centre propose, non pas de se substituer aux structures existantes, mais d’orienter au mieux les patients pour les aider à faire valoir leur droit aux soins de santé. Le CASO comprend trois pôles d’activités complémentaires : Pôle social : l’équipe d’assistants sociaux informe le patient de ses droits, l’oriente vers la structure sanitaire ou le médecin généraliste et facilite les démarches administratives. Ce service d’orientation agit comme interface entre le patient, l’administration et les prestataires de santé. Ce travail de référence se fait prioritaire- ment vers les médecins généralistes et se déroule dans le cadre normal de la continuité des soins entre les différents niveaux de prise en charge (des médecins généralistes ou maisons médicales vers les structures de soins de type hospitalier). La référence des patients précarisés vers la médecine institutionnelle de première ligne demande la mise en place d’une information de qualité auprès des médecins bénévoles mais également auprès des médecins vers lesquels les patients sont référencés. Médecins du Monde est donc présent pour informer les médecins, les encadrer et les soutenir en cas de besoin. Pôle médical : les personnes exclues des soins ont parfois besoin d’une consultation médicale gratuite, en urgence et dans un endroit accessible. Les consultations médicales permettent aussi aux personnes exclues temporairement du système classique de recevoir des soins. Des patients peuvent être dépannés en médicaments et des pathologies peuvent être détectées avant de s’aggraver. Pôle psychologique : les consultations psychologiques permettent de prendre en charge les personnes en souffrance, de stabiliser leur détresse et de déterminer si elles nécessitent une prise en charge institutionnelle à plus long terme. Les spécialistes de la santé mentale, grâce à un travail d’équipe avec les accueillants, les travailleurs sociaux et les médecins améliorent la gestion globale de la prise en charge psychologique. En effet, ils transmettent à l’ensemble de l’équipe des outils plus adéquats pour faire face aux situations de grande détresse. En résumé, les consultations offertes par le CASO permettent un accueil des patients sans imposer de contraintes (respect des codes culturels…), d’adapter les pratiques médicales au patient (recours à des interprètes…), d’aider le patient à adopter des comportements préventifs visant à réduire les risques et d’aider les patients à récupérer leurs droits afin d’accéder au dispositif public de soins. Ce système d’accueil, de soins et de référence de première ligne évite ainsi une trop longue attente entre la déclaration de la maladie et sa prise en charge. Les difficultés administratives, les problèmes linguistiques, les déplacements dans l’agglomération sont souvent sources d’un retard entre la déclaration d’une pathologie et la prise en charge effective du patient. Les conséquences se répercutent alors sur le patient (aggravement de la pathologie) et sur le système de soins classique (surcharge pour les urgences hospitalières). Les patients de Médecins du Monde sont en majorité des migrants en séjour précaire (demandeurs d’asile, personnes en séjour illégal, détenteurs de visa sans ressource, etc.). De par leur statut et leur condition sociale, ils sont souvent préoccupés par leur avenir, stressés par leurs conditions de vie et parfois englués dans des souvenirs douloureux ou même traumatisants. Ils ont une grande méfiance par rapport aux structures officielles, y compris médicales, au sujet desquelles ils sont par ailleurs mal informés. Les problèmes de santé qui amènent les patients au CASO révèlent souvent leurs mauvaises conditions de vie. Les pathologies les plus fréquentes sont ostéo-articulaires (liées au travail irrégulier et dans de mauvaises conditions), gastro-intestinales (liées au stress), respiratoires (favorisées par de mauvaises conditions de logement), gynécologiques, dermatologiques (liées à la promiscuité et au manque d’hygiène). Engagement des médecins bénévoles Conformément à la charte des valeurs de Médecins du Monde, le CASO s’appuie sur l’engagement de bénévoles médicaux et non médicaux. En plus d’une équipe salariée de cinq personnes, l’équipe bénévole comprend une dizaine de médecins généralistes, quatre psychologues, des accueillants et interprètes, ces derniers facilitant la prise en charge des patients tout en créant un climat de confiance. Afin de renforcer son travail auprès des plus démunis, Médecins du Monde lance un appel aux médecins généralistes prêts à s’engager aux côtés de l’organisation non gouvernementale. Les consultations ont lieu en journée ou en soirée par tranche de 3 ou 4 heures. « Nous recherchons une quinzaine de généralistes bénévoles », précise Isabelle Poplemont, chargée des ressources humaines. « Les médecins désireux de s’engager sont d’abord reçus par le service des ressources humaines et assistent à un briefing sur le projet. Ils participent ensuite à une journée d’immersion : ils rencontrent l’équipe et travaillent en co-consultation avec un médecin sur place. Est enfin organisé un briefing sur leurs motivations ». Les personnes intéressées peuvent prendre contact avec Isabelle Poplemont, au 02.648.69.99 ou par e- mail : rh@medecinsdumonde.be. Au-delà du soin, le lobbying politique La mission de Médecins du Monde n’est pas seulement de soigner mais aussi de témoigner. En effet, il ne s’agit pas uniquement d’apporter une « béquille » pour pallier aux défauts du système mais bien de proposer des changements de fond pour améliorer la situation de ceux à qui l’association vient en aide. Suite à la publication de l’enquête menée par Médecins du Monde sur les difficultés d’accès aux soins de santé en Europe, l’organisation non gouvernementale demande aux pouvoirs publics de revoir en profondeur les conditions d’application de la loi sur l’AMU (aide médicale urgente) par les CPAS. En effet, la complexité des procédures et le manque de volonté de certains CPAS ont pour conséquence que les droits des patients ne sont pas systématiquement appliqués. Le rapport publié par Médecins du Monde montre qu’une partie de la population vivant dans l’Union européenne n’a accès ni à la prévention la plus élémentaire, ni aux soins essentiels alors même qu’il s’agit de personnes vivant dans des conditions particulièrement néfastes à la santé. Les obstacles les plus fréquents à l’accès et à la continuité des soins concernent principalement la méconnaissance des droits et des lieux de soins, le coût des traitements, les difficultés administratives, la peur d’une dénonciation et de la discrimination et les barrières linguistiques et culturelles. L’accès aux soins et à la santé est un préalable incontournable pour répondre aux valeurs de l’Union européenne et de la Belgique. Oublier d’intégrer les populations les plus pauvres dans le processus d’amélioration des systèmes de santé serait une faute fondamentale en termes financier, humain et de santé publique.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 46 - octobre 2008
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