Centre de santé du Miroir : en quête de plus d’égalité
Edouard Mairlot
Santé conjuguée n° 63 - janvier 2013
Il y aura bientôt dix ans que Edouard Mairlot a quitté le centre de santé du Miroir. Celui-ci est né en 1980 de la rencontre entre un besoin et un désir. Le médecin nous livre aujourd’hui le récit de cette expérience qui se voulait pluridisciplinaire et la plus égalitaire possible. Des souvenirs qu’il évoque avec une certaine tendresse.
Au départ, il y avait la demande d’une infirmière sociale espagnole qui rencontrait de gros problèmes parmi les émigrés de son pays et demandait l’aide d’un médecin. Elle rencontrait le désir d’un médecin généraliste, sorti de l’université un an avant, de travailler en équipe pour mieux rencontrer les besoins d’un milieu pauvre. On put démarrer avec une kinésithérapeute, et bientôt un second médecin, au centre du quartier des Marolles à Bruxelles… A l’époque, nous inspirant du GERM (Groupe d’étude pour une réforme de la médecine), on décida de s’appeler « centre de santé » plutôt que « maison médicale », pour insister sur la dimension pluridisciplinaire. Le centre serait « intégré ». Ce n’était pas innocent. Il rendrait ainsi de meilleurs services aux patients. Ne rêvait-on pas qu’un jour existerait un groupe de patients qui pourrait se développer avec un vrai droit à la parole ? On se voulait aussi le plus égalitaire possible entre les « travailleurs » du centre. Parmi les toutes premières maisons médicales nées avant 1980, certaines poussèrent ce besoin d’égalité en assurant les mêmes revenus à chacun qu’ils soient ou non médecins. Ce besoin était lié à un style de vie plus ou moins profondément communautaire. Mai 68 continuait à inspirer… Au Miroir, cette recherche d’égalité s’est concrétisée de diverses façons. De l’information à la prise de décision Au niveau du travail quotidien, le partage de l’information concernant les patients du centre allait de soi. Si certains pouvaient poser des problèmes plus complexes, la réunion hebdomadaire était un moment privilégié pour partager l’information, l’analyser et prendre une décision commune si besoin. Mais c’était aussi l’occasion de partager les compétences techniques propres à chaque profession et d’élargir ainsi la formation de chacun à d’autres savoirs. Dans les débuts, il n’était pas rare que l’infirmière, qui assurait encore un rôle d’accueil, puisse en écoutant les plaintes et l’histoire du patient, reconstituer une réelle anamnèse. Nombre de nos patients connaissaient aussi des problèmes sociaux. L’infirmière espagnole qui les voyait à domicile nous ouvrait à bien d’autres dimensions que ce qui était strictement santé. Très nombreux étaient en effet ceux qui dépendaient du CPAS. Ce fut l’occasion d’un vrai travail d’équipe avec l’équipe des infirmières et des aides familiales du CPAS. Le médecin se mettait à leur service… et surtout à leur écoute. Puis vinrent, déjà, les premières coupes et la réduction des équipes, limitées strictement à leur travail… Mais tout cela permit aux gens du Miroir de faire l’apprentissage d’une prise en charge plus globale de nos patients au plan social. N’était-ce pas un objectif primordial des « centres de santé » ? Peu après, l’infirmière espagnole – toujours elle – découvrira bien des cas de psychiatrie lourde, surtout parmi les jeunes, dont personne ne s’occupait. Le centre de santé du Miroir découvrira un hôpital psychiatrique particulièrement précieux pour les traiter et il intégrera bientôt les consultations d’un psychiatre de langue espagnole en ses locaux. Pour réaliser un vrai travail d’équipe, on voulait en arriver à une réelle égalité lors de la prise de décisions concernant le fonctionnement et l’avenir du centre. Cela supposait un partage réel et complet de l’information, y compris au plan financier. Ces conditions remplies, prendre une décision se faisait aisément tout en respectant une stricte égalité entre chaque membre de l’équipe. Un vote, bien rarement utile d’ailleurs se faisait en accordant une voix identique à chacun(e).Partager recettes et dépenses
L’égalité entre membres n’allait pas jusqu’à des rentrées financières identiques pour chacun(e). La différence entre salariés et indépendants fut respectée sur ce point. Mais quant aux relations entre les deux groupes il n’était pas question d’entrer dans des relations de subordination ou de pouvoir. Chacun accomplissait son travail selon des critères définis ensemble et en se faisant pleinement confiance, quel que soit le statut. Mais comment assurer une réelle égalité, entre les seuls professionnels cette fois, pour la participation aux frais du centre ? Il ne s’agissait nullement d’exiger de chacun une participation identique : du médecin le plus occupé, à la doctoresse qui va accoucher durant l’année, et moins encore d’un kinésithérapeute par rapport à un médecin. Un principe tout simple résolut ce problème : chacun participe aux frais du centre selon l’importance de ses rentrées. Une fois l’an, connaissant exactement la somme des dépenses de l’année, chaque indépendant communiquait le chiffre brut de ses rentrées durant cette même année. On se faisait confiance quant au chiffre d’affaire réalisé annuellement. Connaissant ainsi la somme des rentrées ainsi que celle des dépenses totales, un simple calcul fixait quel était le pourcentage de ces rentrées à destiner aux dépenses du centre. Ce chiffre tournait chaque année autour de 9-10%. Ce même pourcentage, appliqué aux entrées de chacun, fixait alors ce que chacun payerait concrètement pour couvrir les frais du centre, qu’il soit médecin plein temps, ou kinésithérapeute à temps partiel. Au nouveau venu, il n’était demandé aucune participation durant ses premiers mois de travail, tant que ses rentrées restaient insuffisantes. Ce système fonctionna parfaitement durant toutes ces années et l’équipe ne connut jamais la moindre tension au sujet de questions d’argent. Le centre utilisait des locaux loués, ce qui facilitait ce mode de fonctionnement. On sait qu’il y eut des problèmes là où les fondateurs étaient en même temps propriétaires des locaux de la maison médicale. Un médecin nouveau venu dans l’équipe était-il locataire du cabinet où il exerçait ses consultations ou, au contraire, pouvait-il – voire devait-il – devenir aussi copropriétaire et ce selon quelles modalités ? Pareilles questions furent parfois posées. Viendra ensuite l’idée d’une asbl propriétaire des locaux, ce qui pourra rendre les relations plus égalitaires au sein de l’équipe.10 ans plus tard…
Le médecin fondateur porta bientôt la casquette du président de l’asbl qui se forma par la suite. N’était-il pas celui par lequel tout passe ? Cependant quand, de façon imprévue d’ailleurs, je dus communiquer à l’équipe ma décision de me retirer dans les deux mois, la transmission de chacune de mes responsabilités était réalisée depuis un bon moment. Je terminai la dernière dont je restais responsable : achever de mettre de l’ordre dans les archives du centre. C’était en 2003… Bientôt dix ans plus tard, c’est une grande paix et un grand bonheur qui m’envahit au souvenir ce que j’ai pu contribuer à mettre en place : un centre de santé, la Fédération des maisons médicales. Aux suivants, s’ils le choisissent, de s’inspirer de ces valeurs pour tracer leur propre chemin ! A leur tour, au moment de la vérité, ils ne seront pas déçus !Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 63 - janvier 2013
Les pages ’actualités’ du n° 63
Peut-on soutenir des grèves lorsqu’on est une association d’employeurs ?
La particularité des maisons médicales autogérées est que la plupart du temps les travailleurs sont aussi des employeurs. Alors une association d’employeurs qui soutient l’une ou l’autre grève, ce n’est pas banal. Quel sens cela a-t-il(…)
Un service pour le bien-être au travail dans des associations bruxelloises
L’accord non-marchand signé en 2010 entre la Commission communautaire française – COCOF et les partenaires sociaux des associations de service à la personne prévoit une mesure « Emploi-Bien-être ». Elle se concrétise par des projets menés(…)
Réforme de l’état : et la solidarité dans tout cela ?
2015 devrait voir l’application de la 6ème réforme de l’Etat, décidée en 2011. Pour la première fois, la sécurité sociale est concernée puisqu’il est notamment prévu que l’entièreté des allocations familiales et certaines branches de l’assurance-maladie(…)
Et maintenant ? Jeter un pont vers la démocratie économique
Et maintenant ? Jeter un pont vers la démocratie économique
Au terme de ce cahier, nous sommes dans l’ambivalence. Nous avons l’impression d’avoir réussi une partie de notre pari. Notre approche des différentes définitions du capital a permis de déconstruire le concept d’autogestion. Nous avons ouvert(…)
Le capital : les facettes du diamant
Le capital : les facettes du diamant
Le capital n’est pas seulement lié à l’argent, il revêt bien d’autres aspects. Des aspects qui peuvent même parfois sembler contradictoires. Les problèmes et conflits autour de l’autogestion ne viendraient-ils pas d’ailleurs de ces contradictions, non(…)
Quelques clés pour lire l’autogestion dans les maisons médicales
Organisation et décision : l’empreinte de l’humain
Dans le cadre de son master en sciences de gestion à finalité en management des entreprises sociales (HEC-ULg), Elodie De Pauw rédige un mémoire sur les modèles organisationnels de quatre maisons médicales. En 2011, elle réalise(…)
Décider ensemble, oui et comment ?
Décider ensemble, c’est parfois long et laborieux. Ne perd-on pas un temps précieux qui pourrait être investi dans la relation avec les patients, dans les projets de l’équipe ? Pourtant, on constate que les décisions prises(…)
Gouverner le capitalisme ?
Isabelle Ferreras est sociologue et politologue, chercheure au Fonds national de la recherche scientifique (FNRS) à Bruxelles et à l’université d’Harvard et professeure à l’université catholique de Louvain. Elle vient de publier un petit ouvrage :(…)
Quelques clés pour lire l’autogestion dans les maisons médicales
Certaines alternatives existent depuis longtemps, d’autres continuent de se créer. Ces pratiques peuvent s’appuyer sur les expériences passées ou contemporaines, tout en restant en tension avec le contexte dans lequel elles évoluent. En tension, mais aussi(…)
Regards d’ailleurs
Syndicats : pas leur tasse de thé !
Jean-Marie Léonard est membre fondateur de la Plate-forme d’action santé et solidarité. Mais c’est en tant qu’ancien permanent national du SETCa non-marchand qu’il nous apporte ici son point de vue sur l’autogestion. Son regard balaye le(…)
Le Début des Haricots cultive l’autogestion
Le Début des Haricots est une association d’éducation relative à l’environnement née en 2005. Elle promeut l’autogestion dans son fonctionnement interne comme dans ses services, en tant que levier d’émancipation et de réappropriation du pouvoir. Brève(…)
Sud:quand les communautés prennent part à la santé
Deux personnes, deux regards. L’une venant du Nord, l’autre du Sud. Deux regards singuliers mais complémentaires sur les notions de cogestion, ou de partage du capital, dans les pays du Sud.
Maisons médicales : la confrontation des idées
Maisons médicales : la confrontation des idées
Transmission ou innovation, utopisme ou pragmatisme, c’est la diversité des points de vue qui fait la richesse d’un groupement ou d’une fédération. Prendre en compte cette diversité, c’est avant toute chose remonter aux sources, revenir aux(…)
Chacun se bat, et c’est bon pour la santé !
Chez Claire Geraets, cofondatrice de la maison médicale La Clé, médecine et politique s’entremêlent inexorablement. Elle nous détaille avec conviction le sens, ou plutôt les sens, du capital des maisons médicales. Un capital qui est financier,(…)
Entretenir le feu
« Le combat, c’était de s’opposer au système capitaliste. Et aux hiérarchies. » Henri De Caevel était généraliste dans une maison médicale, à Tournai, au vieux chemin d’Ere, une équipe qui existe toujours, mais qui n’est(…)
Centre de santé du Miroir : en quête de plus d’égalité
Il y aura bientôt dix ans que Edouard Mairlot a quitté le centre de santé du Miroir. Celui-ci est né en 1980 de la rencontre entre un besoin et un désir. Le médecin nous livre aujourd’hui(…)
Egalité salariale : chronique d’une mort annoncée ?
Après une belle et longue carrière à la Confédération des syndicats chrétiens – CSC, Fernand Antonioli met à profit son temps libéré pour exercer un mandat de conseiller communal. Mais son intérêt pour nous est qu’il(…)
Maisons médicales : une communauté d’usage
C’est à la lumière de la micropolitique des groupes de David Vercauteren, que Gilles Henrard examine la question du pouvoir dans les maisons médicales. Un pouvoir qui se possède, qu’on exerce, qu’on se réapproprie, qu’on se(…)
L’autogestion à travers le rétroviseur
Sophie Darimont a été infirmière en maison médicale. Aujourd’hui enseignante, elle jette en arrière un regard critique sur son expérience du « décider ensemble ». Une expérience de participation qui reste une chance, nous confie-t-elle, mais(…)